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La moitié de la vie sur terre a disparu

La vie sur terre sera encore durement touchée par le réchauffement climatique. De nombreuses espèces, terrestres et marines, sont déjà en mauvais état. Malgré tout, les cris d’alarme des scientifiques sont encore souvent traités « d’absurdes ».

La moitié de la vie sur terre a disparu depuis le début de la civilisation humaine. C’est là la conclusion d’une étude de grande ampleur de la revue scientifique Proceedings of the National Academy of Sciences. Elle exprime la vie en biomasse: le « poids » que pèsent toutes les espèces ensemble. On a toujours supposé que les bactéries réunies avaient la plus grande biomasse, car elles sont présentes partout et sont incroyablement abondantes, mais l’étude révèle de manière surprenante que les plantes terrestres représentent 80% du total. Suite à la déforestation et d’autres adaptations du paysage, l’homme a fortement réduit la végétation et la terre a perdu la moitié de sa biomasse.

La biomasse humaine et celle de notre bétail sont 22 fois supérieures à celle d’autres mammifères. La biomasse des mammifères terrestres sauvages a été divisée par sept fois au cours de la période étudiée et celle des mammifères par cinq. Ce sont des chiffres hallucinants. Ils importent peu pour le bien-être de la terre, mais il est révélateur de notre domination et de notre relation avec les autres espèces.

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Si vous examinez les chiffres pour les différents groupes d’animaux, c’est encore pire. Au cours des cinquante dernières années, le nombre d’insectes – non exprimés en espèces, mais en individus – a diminué de 75% dans nos régions. Aussi n’est-il pas étonnant que les oiseaux qui mangent des insectes, comme les hirondelles, aient tant de mal. L’Indice Planète Vivante (IPV) de l’organisation environnementale WWF montre que depuis 1970, le nombre de vertébrés dans le monde a diminué de plus de moitié. Selon les chiffres du New Scientist, un huitième de toutes les espèces d’oiseaux au monde est menacé d’extinction. Il s’agit de 1469 espèces sur les 11 000 connues.

Pas moins de 1091 de ces espèces sont menacées par la conversion de leur biotope en terres agricoles à grande échelle. Les estimations de l’évolution du paysage montrent qu’il y a maintenant six fois plus de terres agricoles sur la planète qu’il y a trois siècles. Pas moins de 38% de la masse terrestre est maintenant utilisée à des fins agricoles. Mais les autres n’ont pas été épargnés: environ trois quarts des terres de la planète ont été affectés d’une manière ou d’une autre par l’activité humaine.

Le lion devient un animal nocturne

Les mammifères sont particulièrement touchés. Après la disparition des dinosaures, les mammouths, les tatous géants, les singes géants, les ours et les lions des cavernes ont longtemps dominé. Jusqu’à ce que survienne l’homme. Tous les grands animaux ont dû – et doivent – y passer. Parmi les plus grandes espèces, telles que les tigres et les rhinocéros, les nombres restants se comptent presque individu par individu: il n’y en a pas plus de quelques milliers. Une étude parue dans Science conclut que les mammifères sont en bonne voie de devenir en moyenne plus petits qu’ils ne l’ont jamais été au cours des 45 millions d’années précédentes.

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Une autre étude démontre que les mammifères, selon les mécanismes de survie darwiniens, adaptent largement leur comportement à la présence humaine. À l’ère des dinosaures, la plupart des mammifères étaient non seulement minuscules, mais ils étaient également actifs la nuit pour échapper aux plus grands prédateurs. Ils recommencent à le faire. Dans les réserves naturelles, seulement 17% de l’activité des lions a lieu la nuit, en dehors des réserves, ce chiffre atteint les 80% – l’homme est devenu le grand prédateur. En moyenne, les 62 espèces étudiées étaient environ 20% plus actives la nuit qu’elles ne l’étaient autrefois. Nous avons conquis le jour, eux doivent se contenter de la nuit. Certains scientifiques supposent qu’ils en sont capables, car ils n’ont pas encore perdu tous les instincts de survie nocturne.

Afin de donner une chance aux animaux et aux plantes en voie de disparition, on travaille à un réseau de zones protégées, tant sur terre que sur mer. Mais cela ne se passe pas comme prévu, surtout à présent que des esprits éclairés comme le président américain Donald Trump remettent en cause des projets de protection de grande ampleur. Trump laisse également son gouvernement éroder les réserves naturelles pour prolonger les oléoducs. En Europe aussi, les réserves naturelles sont sous pression.

Pas moins d’un tiers des soi-disant zones naturelles protégées souffrent fortement des activités humaines. C’est là la conclusion surprenante de Science. Plus précisément, cela concerne 6 millions de kilomètres carrés. Bon nombre de ces zones sont encore considérées comme « protégées », ce qui a pour effet d’hypothéquer les efforts de protection de nouvelles zones, car « il y en a déjà eu assez ». La réalité est probablement encore pire, car les critiques de l’étude ont souligné que les démolitions à grande échelle causées par les animaux migrants ne sont pas incluses. Un quart des espèces en danger souffriraient en outre des espèces exotiques introduites par l’homme.

Pour les océans non plus, l’avenir n’est pas rose. Il y a quelques semaines, la revue Current Biology calculait qu’à peine 13% de nos mers n’étaient pas touchées par les activités humaines. Dans les mers entre l’Europe et l’Amérique du Nord et entre l’Afrique et l’Amérique du Sud, il n’y a presque plus de « désert ». Ce n’est que dans les régions polaires qu’il y aurait encore des eaux biologiques, et ici et là dans le Pacifique, mais la question est de savoir combien de temps cela durera. Seulement 5% de la réserve marine existante est protégée par l’une ou l’autre mesure internationale.

Il reste difficile de sensibiliser l’opinion publique, et donc les autorités de régulation, à ce problème. Les gens ont tendance à se déconnecter de la nature et à penser qu’elle est à leur disposition – les différentes religions et la montée de l’agriculture y ont joué un rôle de premier plan. Pourtant, la nature fournit beaucoup de services écosystémiques, dont profitent principalement les agriculteurs et les horticulteurs: la fertilisation des cultures par les abeilles, la distribution de semences par les oiseaux, le recyclage des déchets végétaux par les vers, etc.

Mcdonaldisation

Mais en cette ère populiste, les cris d’alarme des scientifiques et des défenseurs de l’environnement sont facilement taxés d' »absurdités » et de « drame inutile ». Comme le décrit New Scientist, ils sont considérés comme « le prêchi-prêcha pitoyable d’une élite qui a perdu son lien avec la réalité ». La recherche sur la conservation de la nature et la perte de biodiversité est l’une des premières victimes de l’austérité, car sa nécessité est considérée comme limitée. Ce qui n’aide pas non plus, c’est que la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) fondée en 2012, le pendent biodiversité du fameux Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), est désespérément divisé sur les procédures à suivre. La semaine dernière, Nature publiait un rapport sur le processus grippé de l’IPBES, en raison de dissensions apparemment inconciliables: les experts en sciences exactes et humaines sont fondamentalement en désaccord, tout comme les représentants des pays riches et en développement. Si la plate-forme nous a appris quelque chose jusqu’à présent, c’est que le consensus sur l’approche de la lutte contre la perte de biodiversité n’est pas évident.

Il y a aussi beaucoup d’attention pour les soi-disant voix dissidentes, qui déclarent que la perte de biodiversité n’est localement pas si terrible, car les espèces qui disparaissent sont remplacées par de nouvelles. Les nouveaux arrivants sont souvent des migrants amenés par l’homme, mais aussi des espèces qui colonisent de nouvelles zones par elles-mêmes, par exemple parce qu’elles bénéficient du changement climatique. Le monde change constamment, dit-on, y compris le monde naturel. Le fait qu’un tel processus mène à ce que les scientifiques appellent le McDonaldisation de notre nature est négligé par commodité.

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Les oies continuent à voler

Le changement climatique provoque déjà des changements dans le comportement des animaux. Les scientifiques expliquent dans Current Biology comment les bernaches doivent adapter leur comportement migratoire au réchauffement du Grand Nord. Ces oiseaux couvent dans la région arctique et viennent hiberner chez nous – ils doivent chaque fois parcourir une distance de 3000 kilomètres. Généralement, ils faisaient quelques escales pour reprendre des forces. Mais de nouvelles constatations indiquent qu’au printemps ils volent d’une traite, car sinon ils arrivent trop tard pour avoir des conditions nutritionnelles optimales pour leurs jeunes: suite au réchauffement de la planète, tout éclot plus tôt dans les régions où ils couvent. Cependant, les oies ont tellement voyagé qu’elles gardent moins d’énergie pour élever leur progéniture. Bien sûr, ce n’est pas une bonne stratégie. Reste à voir comment cela va évoluer. Dans nos régions, la bernache semble devenir de plus en plus un résident, pour ne pas dire un oiseau de parc. La question est de savoir si c’est ce que nous voulons.

Les scientifiques continuent de nous bombarder de prévisions sur la force de réchauffement de la Terre. Il y a six mois, Nature publiait une analyse bien étayée qui se lisait comme une malédiction. Les chercheurs sont arrivés à la conclusion que les modèles climatiques qui prédisent le mieux ce qui se passe actuellement sont aussi ceux qui prédisent qu’il fera plus chaud que prévu – quand nos petits-enfants auront atteint leur retraite, la température aura augmenté de 4 °C en moyenne.

Cela doit avoir des effets sur la biodiversité. La science a publié une analyse montrant qu’un réchauffement climatique d’environ 3,2 °C – c’est le chiffre que la plupart des scientifiques considèrent aujourd’hui comme réaliste, à moins de mesures drastiques rapides – aura des effets majeurs sur les chances de survie des animaux et les plantes. La moitié des insectes, près de la moitié des plantes et un quart des vertébrés perdraient alors plus de la moitié de leur habitat. Dans les régions tropicales, de nombreux animaux et plantes vivent déjà près de leurs limites de température. Dans les zones polaires, les animaux aimant le froid n’ont plus la possibilité de migrer vers les températures auxquelles ils sont habitués. Et entre-temps, les écosystèmes menacent de se dérégler, car de nombreuses espèces devront procéder à des ajustements majeurs à court terme, par exemple en recherchant d’autres endroits.

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Guerres de poisson

Les changements humains vont souvent trop vite pour donner l’opportunité aux mécanismes de survie darwiniens de concevoir des solutions. La première espèce animale disparue à cause du réchauffement climatique est un fait. Ce n’est pas un animal qui préoccupe beaucoup de gens: c’est le Melomys rubicola de Bramble Cay, un petit rongeur issu d’une île au nord de la Grande Barrière de corail australienne qui ressemble à un rat terrestre. L’animal a définitivement disparu du globe, notamment suite à l’élévation du niveau de la mer.

Bien entendu, l’écosystème marin sera également affecté par le réchauffement climatique. Depuis 1982, le nombre de jours avec des températures de la mer extrêmement chaudes a doublé, rapportait récemment Nature. Les périodes de chaleur se prolongent et s’étendent sur une surface de plus en plus importante, atteignant désormais 21 fois la période préindustrielle. Cela a des conséquences majeures sur la vie marine, car les températures plus élevées poussent de nombreux animaux à des endroits différents de leur superficie normale. Elles provoquent la prolifération d’algues toxiques, la mort à grande échelle de récifs coralliens importants sur le plan écologique et la mortalité massive chez les poissons, y compris chez les espèces commercialement utiles.

Certaines des « guerres du poisson » récentes entre pays sont également une conséquence du réchauffement climatique, car les stocks de poissons se déplacent largement vers les zones où ils trouvent leurs conditions de vie normales. Par exemple, la « guerre du maquereau » qui a débuté en Europe en 2007 est due au fait que de nombreux maquereaux provenant des eaux internationales ont migré vers les eaux territoriales islandaises, ce qui a empêché de nombreux pêcheurs de maquereaux d’y accéder.

Un autre rapport remarquable publié dans Science révèle à quel point l’effet de l’influence humaine sur les animaux marins peut aller loin: les mammifères marins comme les lamantins ont perdu un facteur de protection contre l’empoisonnement par les phosphates. Tous les mammifères marins descendent d’animaux qui vivaient autrefois sur terre. Ils y avaient une certaine enzyme (paraoxonase 1) qui était utile pour leur métabolisme des graisses. Mais en mer, ils n’en avaient manifestement pas besoin, et puisque la nature n’investit pas facilement dans quelque chose de superflu, l’enzyme a disparu de la gamme dont disposent les animaux. Généralement, il n’y a pas d’empoisonnement au phosphate dans la mer, mais entre-temps, tant de composés phosphatés provenant de l’agriculture se déversent dans la mer que les animaux en sont affectés. Leur adaptation naturelle initialement utile les rend désormais vulnérables à la pollution. C’est indéniable: l’homme est un désastre pour toutes les autres formes de vie sur terre.

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