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La vérité sur l’accouchement est-elle toujours bonne à dire ?

Muriel Lefevre

Certaines femmes racontent à leurs connaissances, ou en ligne, à quel point leur accouchement fut monstrueux. Mais parler d’accouchements horribles traumatise-t-il les autres femmes ou est-ce que, au contraire, cela les aide, se demande The Guardian?

Clare Cashion raconte son horrible grossesse. Lorsqu’elle n’est qu’à 28 semaines, elle perd les eaux lors de vacances de Noël en Irlande. Les médecins parviennent à postposer un peu l’accouchement et son fils naitra finalement avec deux mois d’avance. Il viendra par césarienne, mais avec une péridurale qui ne prend pas. Suite au cri de la future maman, on va finir par lui faire une anesthésie générale. Tous les deux en sortiront vivants, mais certainement pas indemnes. « On ne cessait de me dire: « le bébé est vivant, tu es vivante : tout va bien ». Sauf qu’à l’intérieur j’étais une épave. Je me concentrais sur des choses stupides, comme une maison qui devait être impeccable. Je contrôlais trop les choses parce que je n’avais aucun contrôle sur ce qui m’était arrivé à l’hôpital. »

Publier son histoire sur Facebook a été la manière la plus simple de dire aux amis ce qu’elle traversait tout en permettant à ceux qui ne voulaient pas connaître les détails sanglants de passer outre. Pour elle, il était crucial de pouvoir dire la vérité. « Si vous avez vécu quelque chose de traumatisant, mais que vous n’en parlez pas, c’est comme mettre un filtre. Vous pensez que vous êtes la seule dans votre cas, vous avez l’impression d’avoir échoué. »

C’est suite à une telle histoire que Catriona Jones, sage-femme, va, bien malgré elle, provoquer une polémique au Royaume-Uni en suggérant que le partage d’histoires de naissance monstrueuses sur les réseaux sociaux pouvait contribuer au fait que certaines femmes aient peur d’avoir des enfants. Selon Jones: « il suffit de taper « accouchement » sur Google pour être confronté à un tsunami d’histoires horribles. Je pense que cela peut être très effrayant pour les femmes. » Il n’en fallait pas plus pour mettre le feu aux poudres de l’autre côté de la Manche. Contrite, elle jure mordicus que son but n’était pas de réduire au silence de tels témoignages. Ce serait même le contraire, puisqu’elle prône un programme qui permet de détecter les femmes anxieuses au début de la grossesse et de les aider.

Mais « c’est vrai que l’un des facteurs impliqués dans cette anxiété serait les réseaux sociaux, selon des recherches récentes menées par le Canada. Celles-ci suggéraient des niveaux plus élevés de nervosité chez les femmes qui ont lu beaucoup d’histoires de naissance, mais on ne sait pas pourquoi. Il est possible que des femmes déjà anxieuses soient plus susceptibles de chercher, par exemple », dit-elle encore.

Ce que la polémique provoquée par Jones révèle surtout, c’est à quel point le sujet semble sensible. Si les femmes étaient si prêtes à croire qu’une sage-femme voulait les réduire au silence, c’est parce que beaucoup d’entre elles ont l’impression qu’elles ne peuvent dire et encore moins se plaindre de leur accouchement. Un fardeau qui, pour une raison quelconque, n’est pas imposé aux survivants d’autres traumatismes médicaux.

À l’autre bout du spectre, il y a aussi ces femmes qui ont eu des accouchements dits « normaux » et qui se sentent gênées de raconter leur histoire par peur de vouloir se montrer trop parfaites ou insensibles. « Vous avez l’impression que c’est quelque chose dont vous devez avoir honte ou que vous devez taire par peur d’ostraciser les autres femmes ou de les faire se sentir mal dans leur peau », déclare Clover Stroud, auteur d’un mémoire sur la maternité, Wild Other, qui a cinq enfants et admet la joie qu’elle a ressentie lors de toutes ses naissances. Elle trouve dommage « qu’on entende généralement que les pires choses. On finit par croire que c’est juste une expérience épouvantable, dégradante, violente et terrible, et de fait c’est une expérience violente et douloureuse, mais c’est aussi une chose humainement extraordinaire à vivre. » dit-elle.

C’est vrai que sur internet on retrouve surtout les deux extrêmes. Soit d’un côté les accouchements de l’horreur et de l’autre les accoucheuses sauvages, celles qui accouchent dans la nature et sans aucune aide médicale. Comme Simone Thurber qui a filmé son accouchement il y a deux ans et dont la vidéo a été vu 76 millions de fois sur YouTube. Le problème, c’est que cela donne l’impression fausse qu’il n’y a le choix qu’entre « j’ai accouché au clair de lune et c’était orgasmique » ou « c’était la chose la plus horrible qui me soit arrivée » », explique Rebecca Schiller, une doula (elle propose un accompagnement et un soutien émotionnel, relationnel, physique et informatif aux mères) et PDG de Birth Rights, une organisation qui revendique le droit des femmes à choisir comment elles accouchent. « Les deux extrémités du spectre existent, mais la plupart des femmes vivent quelque chose situé quelque part entre les deux. »

Si imparfaites qu’elles soient, les conversations franches et libres sur la naissance que l’on peut trouver sur Internet pourraient bien servir de soupape de sécurité. « Les gens ont besoin d’un moyen qui leur permet traiter ce qui leur est arrivé et si vous n’obtenez pas cela de la société, des services de santé, d’un médecin généraliste débordé qui a environ 20 secondes pour vous parler, vous devez le trouver ailleurs » conclut Fraser.

L’importance d’en parler et la tocophobie

D’où la nécessité de diversifier les témoignages. « Il est bon d’entendre aussi bien les mauvaises que les bonnes histoires » dit encore Clover Stroud. Le principal est d’en parler et de ne plus voir son accouchement comme un petit secret coupable, une chose que l’on doit cacher aux femmes qui n’ont pas encore eu d’enfants ou aux autres mères.

Cette chape de silence fait que, jusqu’il y a peu, la peur de l’accouchement était un sujet qui a fait l’objet de très peu de recherches. Ce n’est qu’en 2000, lorsque la psychiatre Kristina Hofberg a publié un article sur la peur grave et morbide de l’accouchement aussi connu sous le nom de tocophobie, que le terme a commencé à être reconnu.

Jusque-là, la terreur de l’accouchement qu’avaient certaines femmes était considérée comme peu intéressante. On estime pourtant qu’entre 6% et 25% des femmes pourraient être tocophobes. À des degrés divers, les plus atteintes décidant de ne jamais tomber enceintes même si elles souhaitent une famille. Certaines ont même tellement peur de ne pas survivre à l’accouchement qu’elles se protègent de manière obsessionnelle.

Les causes de la tocophobie ne sont cependant pas encore bien comprises, même si l’on a établi des liens avec des abus sexuels antérieurs. Sans surprise, elle est également très fréquente chez les femmes qui ont déjà été traumatisées par une naissance précédente et qui souffrent suite à ça d’un syndrome de stress post-traumatique. Ce syndrome est plus souvent associé aux vétérans ou aux survivants d’attaques terroristes. Pourtant, selon les estimations, 20 000 femmes par an – soit environ 4% des mères qui viennent d’accoucher- en seraient victimes (à titre de comparaison, environ 9% des soldats déployés en Irak et en Afghanistan sont rentrés avec un tel syndrome). Et tous ne sont pas déclenchés par une naissance problématique. L’une des explications serait que même les accouchements sans risque et sans complications sur le plan clinique peuvent être choquants par rapport aux attentes des femmes ou aux expériences du quotidien. Selon les chiffres de l’Office for National Statistics, 41,9% des mères ayant accouché l’an dernier ont subi une déchirure et plus d’un quart d’entre elles ont subi une césarienne. Or ce que les médecins considèrent comme normal peut être ressenti comme violent par une femme déjà au bout du rouleau. C’est pourquoi la façon dont réagit le personnel médical lorsque quelque chose ne va pas pourrait aussi être déterminante. Se sentir en sécurité, mais aussi pouvoir parler de ce qui les a traumatisés permettrait d’atténuer le choc.

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