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PS, MR, CDH, PTB, DéFI… Comment les partis mettent en place une stratégie anti-écolo

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Contre la prééminence des thématiques environnementales (climat, qualité de l’air, énergie) sur l’agenda médiatique et politique, les partis concurrents d’Ecolo affinent leur stratégie de campagne. Avec deux objectifs : d’abord exposer les failles de leur rival, et ensuite parler d’autre chose.

 » Mais combien de temps ça va encore durer ?  » Dans les petites guérites des staffs, dans les vestiaires embués, sur la moquette des appartements présidentiels, à tous les étages des autres partis, on se le demande, la tête parfois dans les mains, comme au Constant Vanden Stock après un changement d’entraîneur et deux mercatos ratés. Combien de temps Ecolo va-t-il encore jouer à domicile, sur un terrain qu’il occupe depuis si longtemps qu’il est tout vert, désespérément vert, et qu’il a planté lui-même ? Sur le gazon climatique, Ecolo n’encaisse plus rien. Les climatosceptiques sont hors jeu, les lignes écoréalistes sont débandées, la contre-attaque écosocialiste est parée. Les cris qui s’élèvent des tribunes sont ceux d’une jeune foule enthousiaste, chorale chauffée au vert pour porter ses couleurs vers une victoire joyeuse au coup de sifflet final du 26 mai prochain. Et les arbitres médiatiques semblent aussi impartiaux, face à tous ces  » Allez les verts ! « , que s’ils étaient tombés dans le chaudron de Geoffroy-Guichard, le stade mythique de L’AS Saint-Etienne, quand ils étaient tout petits.

PS, MR, CDH, PTB, DéFI... Comment les partis mettent en place une stratégie anti-écolo
© N. MAETERLINCK, T. ROGE, F. SIERAKOWSKI, P.-H. VERLOOY, B. FAHY/BELGAIMAGE

 » Non mais vraiment, est-ce que ça va durer encore longtemps, ces déplacements permanents ? « , se plaint-on dans tous les autres partis qu’Ecolo. Et pas seulement parce que ce n’est pas bon pour le bilan carbone : parce qu’Ecolo, tant que le climat et l’environnement sont la première préoccupation de l’agenda politique, médiatique, et social, est imbattable. Chez lui. Tellement que guette l’excès de confiance. Tellement qu’on s’y compose déjà, mine de rien, les noyaux de cabinets ministériels (Le Vif/L’Express du 7 février).

Non, il faut trouver quelque chose. Un transfert profitable, une tactique imparable.

Tous les adversaires sont d’accord pour changer de terrain de jeu.

Dans les autres partis, où tout le monde n’est pas sot, on y travaille. Sans s’être concertés, la volonté converge : il faut forcer Ecolo à sortir de ses bases. Donc, parler d’autre chose. Déplacer les débats sur d’autres thématiques que climatique : sociale, migratoire, communautaire. Ils ne le disent pas, mais tous les adversaires sont d’accord pour changer de terrain de jeu. La fameuse bipolarisation sur le socio-économique profitera aux deux plus grosses équipes, socialistes et réformateurs. C’est le Clasico, entre les bleus et les rouges qui s’y opposent avec une telle intensité, se débordant avec acharnement, flanc gauche, flanc droit, que la rencontre rassemble toujours les meilleures audiences. Les rouges disent les verts trop droitiers pour y participer. Les bleus les trouvent trop gauchers. Les deux les excentrent.

Il y a le topper aussi, chants flamands qui grondent, fumigènes noirs et jaunes qui craquent, pétards wallons qui éclatent, peur chez les supporters de base, recrudescence des abonnements. Et il reste les excès des hooligans au crâne rasé, les insultes qui choquent mais que certaines foules anonymes entonnent, alors on fait semblant de s’en offusquer tout en disant que bon, quand même, il faut écouter la colère du noyau dur. C’est là, sur ces trois terrains, qu’ils vont tous essayer de faire déjouer Ecolo.

A ce jeu, chacun s’est fignolé une stratégie. Voici leurs plans pour la contre-attaque.

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Au PS, la fin du mois avant la fin du monde

Le premier réflexe socialiste, où on garde encore vives les contusions d’une bataille toujours pas soldée avec le PTB, est de taper : Ecolo lui aussi menace l’hégémonie séculaire du PS sur la gauche francophone. Le second réflexe est de se garder des excès du premier. On se souvient, au grand congrès idéologique de novembre 2017, qui fit officiellement du PS une formation  » écosocialiste  » – sans encore qu’au quotidien des politiques publiques communales et régionales cette marque soit, jusqu’à présent, fort ressentie -, que les congressistes et les observateurs n’avaient retenu de la nouvelle appellation qu’une méchante allusion de Pierre-Yves Dermagne.  » Notre ambition écosocialiste à nous n’est pas qu’on vende à Uccle des poulets de ferme impayables au marché bio-bobo du samedi matin « , avait-il dit, très applaudi. Ça, c’était taper, premier réflexe.

Penser était le second : le programme sorti du chantier des idées, était très vert, si bien que les Ecolos, à sa lecture, étaient tous d’accord en théorie. La dialectique socialiste prendra cette tournure bifide. D’une part, des gens qui tapent sur la cherté des dispositions écologistes et la nécessité de s’occuper prioritairement des questions sociales (il y aura Ahmed Laaouej, Pierre-Yves Dermagne, sans doute aussi Laurette Onkelinx, sur cette ligne), pour conserver une base populaire qui a parfois peur. D’autre part, des gens qui rappellent la nécessité d’adopter des dispositions écologistes, contre le dérèglement climatique bien sûr, mais contre le capitalisme aussi, il ne faut pas rigoler. Ce sera le rôle de Paul Magnette, l’homme qui murmure à l’oreille des céréales biologiques qu’il pétrit chez lui.

L’utilité de ce second réflexe réside moins dans la séduction d’un électorat qui hésiterait entre PS et Ecolo que dans la perspective d’alliances postélectorales avec un parti dont les socialistes auront besoin pour revenir ou pour rester au pouvoir, dans les Régions mais pas seulement. Face à des écologistes qui crient à l’urgence d’une transition écologique et solidaire, les socialistes ne craindront pas de rétorquer bravement que ce qu’il faut, au contraire, c’est une transition solidaire et écologique. Eviter la fin du monde pour arriver à la fin du mois d’un côté, ne pas souffrir à la fin du mois pour s’épargner une fin du monde de l’autre, mais l’un dans l’autre entrer dans des gouvernements.

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Au PTB, Red is the new green, green is the new blue

Ils sont dans les manifestations, les écologistes aussi, mais les socialistes pas. Ils crient de beaux slogans, les écologistes un peu moins, et les socialistes pas. Ils rameutent chez les jeunes, les écologistes aussi, mais les socialistes pas. Ils ne gouverneront pas avec les libéraux ni avec personne, les socialistes et les écologistes peut-être.

C’est bien la preuve que les socialistes ne sont ni socialistes ni écologistes, et que les écologistes ne sont ni écologistes ni socialistes, et que le PTB est la vraie gauche sociale et écologique, non ?

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Au CDH, les faiseurs ne sont pas des diseurs

Ils sont postmatérialistes, les écologistes aussi. Ils sont dans les gouvernements, les écologistes pas. Ils ne crient pas de beaux slogans, les écologistes bien. Ils ne rameutent pas chez les jeunes, les écologistes bien. Carlo Di Antonio roule en Tesla, les écologistes pas. Céline Fremault a fait adopter une ordonnance interdisant les sacs plastique sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale, les écologistes pas.

C’est bien la preuve que les écologistes ne sont pas écologistes, et que le CDH est le vrai parti écologique, non ?

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Chez DéFI, les vrais libéraux

Les communales d’octobre dernier n’ont pas été très bonnes, la thématique de la bonne gouvernance n’a pas vraiment pris, et les verts, qui ont passé une législature à demander à Theo Francken et surtout à Charles Michel où étaient  » les vrais libéraux « , ont fait de bons résultats dans les places fortes cossues de l’ancien FDF. L’ex-partenaire du parti libéral fera donc une campagne de vrai libéral social. En montrant aux citoyens de leurs places fortes cossues que les écologistes manifestent avec les syndicats et sympathisent avec la gauche wallonne. Et en imposant François De Smet, tête de liste à la Chambre, ancien directeur de Myria et vrai philosophe libéral, comme alternative réaliste à la politique migratoire de la droite flamande.

Jean-Luc Crucke (MR) avec Anuna De Wever et Adelaïde Charlier, deux figures de proue du mouvement des jeunes pour le climat.
Jean-Luc Crucke (MR) avec Anuna De Wever et Adelaïde Charlier, deux figures de proue du mouvement des jeunes pour le climat.© ERIC LALMAND/BELGAIMAGE

Au MR, contre le chaos écologique

C’était pourtant la grande leçon du 14 octobre, disait-on au siège du parti, boulevard de la Toison d’Or, à Bruxelles : le MR avait trop insisté sur les effets quantitatifs de ses politiques (le pouvoir d’achat, les créations d’emploi, etc.), et pas assez sur ses dimensions qualitatives :  » la qualité de la vie  » est une expression qui, pendant au moins trois semaines, est revenue avec entêtement dans toutes les déclarations libérales. On déplorait alors la perte d’un électorat plutôt diplômé, urbain, cosmopolite.  » Les mecs qui passent sur leur trottinette électrique à Bruxelles, vous les voyez ? Ben c’est eux « , disait l’un.  » C’est la fille qui roule en Smart et vote Ecolo dont le père roule en BM et vote pour nous « , disait l’autre.

Écolo lui aussi menace l’hégémonie séculaire du PS.

Il semble depuis qu’on se soit rendu compte du danger de poursuivre trop effrontément ce public perdu, au boulevard de la Toison d’Or. On s’est rappelé que le petit quart de la population francophone qui avait continué à voter MR l’avait fait pour des raisons quantitatives, ou pour une position dure sur les questions migratoires. On s’est aperçu que tout le monde, de la base au sommet du parti, ne marchait pas complètement dans cette affaire de réchauffement climatique et que, d’ailleurs, les deux idéologues réformateurs, Corentin de Salle et Richard Miller, s’étaient un peu frottés sur le sujet pendant la confection du dernier manifeste du parti.

Et puis aussi Charles Michel et les autres sont revenus à l’évidence : leur qualité de vie politique passera bien plus par la droite flamande au fédéral que par la gauche francophone dans les Régions. Alors ils vont servir à la jeune fille en Smart et au mec qui passe en trottinette l’histoire mise à jour des écologistes taxateurs régressifs et gestionnaires chaotiques, islamo-gauchistes ayatollahs verts amis des syndicats, et pour tout dire avant-garde masquée du socialisme,  » au plan soviétique « , disait même Corentin de Salle, le 12 février, dans L’Echo. Avec deux nouveautés enchâssées dans ce bon vieux récit. D’abord une préoccupation, quand même, pour une qualité de vie que les nouvelles technologies et le marché doivent améliorer (en mobilité, en services, en énergie, etc. : c’est l' » écologie bleue « ). Ensuite un vice-président fort engagé, lui, dans la lutte contre le réchauffement climatique : Jean-Luc Crucke, le ministre wallon de l’Energie, qui aimerait le rester et qui donc doit ménager, lui, la gauche francophone plutôt que la droite flamande.

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