© Samuel Szepetiuk

Pierre Kroll nous parle de sa passion du sport : « Le cyclisme me ramène à l’enfance »

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

A quel sport vouent-ils une véritable passion ? Pourquoi ? Depuis quand ? Et avec quel impact sur leur vie privée comme professionnelle ? Cette semaine : le caricaturiste Pierre Kroll raconte son admiration pour les « forçats de la route », évoque sa pratique du vélo et sa conquête du mont Ventoux. Avant de sprinter vers son nouvel hobby, la plongée sous-marine. Un fil rouge : le retour à ses jeunes années.

Ses dessins font rire aux éclats, voire réfléchir ou rêver, parfois. Son regard est judicieux ou décalé. Pierre Kroll est l’un des Belges francophones les plus connus et les plus appréciés. Dans son atelier graphique, sur les hauteurs de Liège, là où il conçoit la plupart de ses caricatures, notamment pour Le Soir et la RTBF, trône son instrument de détente préféré : un vélo blanc en carbone.  » J’ai aussi un rouleau et une appli qui me permettent de rouler à l’intérieur en ayant l’impression de faire le Tourmalet « , s’amuse-t-il. En s’empressant de préciser qu’il reste un sportif amateur, sans plus. Et qu’il préfère rouler dehors.  » Le cyclisme est incontestablement la pratique sportive qui a compté le plus dans ma vie. J’entretiens ma santé chaque semaine en allant courir quelques kilomètres dans les bois proches de ma maison. J’ai joué un peu au tennis quand j’étais gosse, mais ça m’a vite ennuyé et j’ai trouvé les autres snobs. Même chose pour le golf, très à la mode aujourd’hui. Le vélo, en revanche, j’adore.  »

Pourquoi il aime le vélo

Si la petite reine fait partie de la vie du dessinateur, c’est pour une raison très simple :  » Le vélo me ramène à quelque chose de l’enfance. On en a tous possédé un quand on était petit. Je regardais les courses cyclistes à la télé. Quand j’avais 10 ans, c’était la génération d’Eddy Merckx. J’habitais dans la banlieue de Liège et nous faisions le tour du bloc chronométré. Je jouais aux petits vélos et c’était toujours Merckx contre Bernard Thévenet ou Felice Gimondi. J’ai d’ailleurs eu la chance, un jour, de courir avec Gimondi, à l’occasion d’une compétition organisée pour l’inauguration du vélodrome de Ans. Il avait 65 ans, mais je devais m’accrocher pour le suivre.  »

J’ai, à peine, dépassé le stade où je fais des commentaires dans ma tête.

Chaque fois qu’il roule, Pierre Kroll retrouve ce plaisir de l’enfance.  » Je m’imagine que je participe au Tour de France. J’ai, à peine, dépassé le stade où je fais des commentaires dans ma tête : « Kroll a attaqué, il réduit son retard à moins de cinq minutes ». J’ai grimpé les côtes mythiques des classiques ardennaises : la Redoute, le mur de Huy où, par moments, on a l’impression de ne pas bouger, tellement c’est dur…  »

Le vélo, le dessinateur ne l’a jamais laissé tomber.  » J’ai arrêté quelques années quand j’étudiais l’architecture à Bruxelles parce que je me la jouais un peu intellectuel de gauche et je ne pratiquais aucun sport, sourit-il. Mais après cette période, je n’ai jamais arrêté. C’est devenu un cadeau : j’ai reçu un vélo pour mes 30 ans, un pour mes 40 ans, un pour mes 50 ans. En fer, en alu, en carbone… Mais pas pour mes 60 ans, parce que j’étais diminué après une chute et une fracture du crâne.  »

MES HÉROS: Eddy Merckx et Claudy Criquielion
MES HÉROS: Eddy Merckx et Claudy Criquielion « Merckx, c’est une légende. »© photo news

Pourquoi il est fasciné par le Ventoux

Son amour pour le deux-roues a trouvé son incarnation dans l’ascension du mont Ventoux.  » Je partais chaque année en vacances dans la même région de Provence, raconte-t-il. Et je faisais du vélo, toujours tout seul. Avec une carte : grave erreur, il ne faut jamais se fier à une carte parce qu’un vélo, ça n’a pas de moteur : vous pensez faire une balade de quatre heures et, quatre heures plus tard, vous êtes toujours en train de ramer dans l’ascension d’un col. J’ai connu toutes les galères d’un cycliste amateur. En 2000, je tombe sur Claudy Criquielion ( NDLR : coureur belge, notamment champion du monde en 1984, décédé en 2015) au départ d’une course à Avignon. Je le connaissais un peu des plateaux de télévision. Il me demande : « Tu as déjà fait le Ventoux » ? C’est vrai que dans la région, chaque fois qu’on monte un petit col, il y a le Ventoux derrière, qui vous nargue. C’est pour ça que cette montagne est mythique. On ne fait d’ailleurs pas le Ventoux pour aller quelque part, on le fait simplement parce qu’on est masochiste, avant de redescendre. Criquielion me dit alors : « Quelqu’un qui n’a pas fait le Ventoux ne peut pas parler de vélo. » Putain… Trois ou quatre jours plus tard, je suis parti tout seul de notre maison, sans même dire à ma femme où j’allais, pour attaquer le Ventoux.  »

A mi-chemin de l’ascension, Kroll… fait demi-tour pour ne pas arriver en retard parce que des amis sont invités à la maison.  » J’appelle alors un ami médecin. On y retourne ensemble quelques jours après. Un peu tard dans la journée. Malgré les avertissements d’un local nous mettant en garde contre le « chapeau » au-dessus de la montagne, on se lance. On a eu des grêlons et des éclairs dans tous les sens, c’était dantesque. Mais je voulais aller au bout. Quand je suis arrivé au sommet, il n’y avait rien. Je me suis retrouvé nez à nez avec un inconnu qui arrivait de l’autre côté : nous nous sommes embrassés en tremblant.  » Depuis, il fait cette ascension chaque année.  » En deux heures et demi, confie-t-il. C’est lent. Marco Pantani ( NDLR : coureur italien, notamment vainqueur du Tour de France en 1998, décédé en 2004) l’a fait en cinquante-six minutes. Mais lui, il est mort.  »

Le Ventoux ? C’est  » La Mecque du vélo  » et Pierre Kroll ne tarit pas d’éloges pour ces sportifs de haut niveau qui partent à son assaut avec deux cent kilomètres dans les jambes. Il en rapporte des anecdotes : ce jeune homme pédalant sur un vélo de facteur qui le dépasse à toute allure, ou cet Italien équipé comme une star, escorté de bimbos, mais qui s’écroule dans l’un des derniers virages.  » C’est une aventure humaine. Les passionnés de vélo peuvent en parler pendant des heures. « 

MES HÉROS: Eddy Merckx et Claudy Criquielion Criquielion, c'est l'un des personnages les plus dramatiques du vélo. Et c'est aussi l'homme qui m'a incité, un jour, à grimper le Ventoux.
MES HÉROS: Eddy Merckx et Claudy Criquielion Criquielion, c’est l’un des personnages les plus dramatiques du vélo. Et c’est aussi l’homme qui m’a incité, un jour, à grimper le Ventoux. « © belgaimage

Pourquoi il admire ces forçats de la route

Le caricaturiste n’est pas du genre à suivre toutes les courses à la télévision.  » La seule fois que j’ai regardé une étape en ligne pendant quatre heures, avec Rodrigo Beenkens qui égrenait ses statistiques, j’ai eu du mal. C’est comme si on suivait un match de foot pendant une journée : il y a un moment où on a envie d’aller prendre un verre. Il faut dire que les sports ont tous quelque chose d’un peu absurde : au golf, pourquoi tape-t-on pour mettre une balle dans un trou, franchement ? Mais au milieu de ça, il y a des courses qui sont des films, des épopées, des westerns…  »

Observateur de l’actualité au quotidien, Pierre Kroll a forcément suivi les affaires de dopage. Une grande imposture ?  » Bien sûr, on ne peut pas le nier quand on voit Lance Armstrong ( NDLR : coureur américain, vainqueur de sept Tours de France, entre 1999 et 2005, titres qu’on lui a ensuite retirés). Mais quand un journaliste me demande qui sont mes maîtres, je réponds toujours : « Je n’ai ni dieu, ni maître, sauf les coureurs cyclistes. » Après avoir monté le Ventoux, en souffrant, je ne comprends pas comment ces sportifs font pour aller aussi vite et attaquer, qui plus est. Ce sont des extraterrestres ! C’est vraiment dur, d’autant plus qu’il n’y a aucun luxe : pour arriver à faire ce qu’ils font, ils doivent rouler chaque jour de l’année. Il faut se souvenir d’Antoine Blondin ( NDLR : légendaire journaliste français, qui a couvert 27 Tours de France), des premières étapes du Tour bien plus longues que celles d’aujourd’hui, de ceux qu’on appelait les « forçats de la route »… C’est devenu une imposture, oui, mais enlevez leurs médicaments à ces coureurs, vous ne pourrez quand même pas les suivre.  »

MON DESSIN: Le vélo trop long
MON DESSIN: Le vélo trop long  » Contrairement à ce qu’on croit, ce n’est pas facile à dessiner. De profil, oui. Mais la plupart du temps, les gens peinent à recréer la machine en mouvement. Je le dis toujours : pour bien dessiner un vélo, il faut en faire. Et quand, parfois, je dessine un vélo en le faisant trop long, ce n’est pas par hasard : c’est pour montrer que le cycliste est entraîné loin dans son élan. « 

En guise de boutade, le dessinateur lâche parfois qu’on devrait faire en cyclisme comme on fait en Formule 1, où il y a le championnat des pilotes et des constructeurs : ce serait un championnat des coureurs et un autre des médecins.  » La recherche médicale dans ce domaine est incroyable et elle n’est pas publiée. Chris Froome ( NDLR : coureur britannique, vainqueur de quatre Tours de France, le dernier en date en 2017) est en régime de famine : on le transforme en une sorte de machine avec seulement les calories indispensables à sa route. Quand on est forcé de jeûner, il arrive un moment où on se sent très bien parce que le corps se dit qu’il doit chasser l’antilope. On met les coureurs dans des états pareils. Bien sûr que ce n’est pas bien. Mais ça ne doit pas occulter leurs incroyables efforts. « 

Le caricaturiste ne peut s’empêcher de citer Merckx.  » C’est une légende. Je n’ai vu que deux personnes pour lesquelles une foule s’écartait pour les laisser passer : le roi Albert II et Eddy Merckx.  » Kroll estime aussi Claudy Criquielion, l’homme du Ventoux.  » C’est l’un des personnages les plus dramatiques du vélo. Je me souviens de ce championnat du monde perdu peu avant l’arrivée ou ce final de légende de Liège-Bastogne-Liège, en 1987, où il se fait battre par Moreno Argentin dans la dernière ligne droite.  »

Intarissable, Kroll parle évidemment de dessin. Dans un de ses derniers recueils, publié par son nouvel éditeur, les Arènes, il évoque la façon dont il traite le vélo.  » Contrairement à ce qu’on croit, ce n’est pas facile à dessiner. De profil, oui. Mais la plupart du temps, les gens peinent à recréer la machine en mouvement. Franquin, dans ses Idées noires, était un maître du genre. Un caricaturiste, quand il dessine un personnage fâché, il grimace… Je le dis toujours : pour bien dessiner un vélo, il faut en faire. Et quand, parfois, je dessine un vélo en le faisant trop long, ce n’est pas par hasard : c’est pour montrer que le cycliste est entraîné loin dans son élan. « 

MA DÉCOUVERTE : La plongée
MA DÉCOUVERTE : La plongée  » Oui, c’est bien moi sur cette photo prise par mon fils. Quand vous voyez votre premier requin, vous avez une dose d’adrénaline incroyable et puis vous comprenez qu’ils n’attaquent jamais les plongeurs parce qu’ils préfèrent les poissons à un animal aussi grand qu’eux avec une bouteille en fer sur le dos. « © Guillaume Kroll

Pourquoi la plongée sous-marine

Depuis le début des années 2000, avec ses fils, Pierre Kroll a trouvé une autre passion.  » Quand j’ai le temps et les moyens, j’aime pratiquer la plongée sous-marine au bout du monde. Même si ce n’est pas exactement un sport. Enfant, j’avais été fasciné par Cousteau. Il se fait que l’université de Liège a un centre de recherches sous-marines en Corse, où on peut apprendre à plonger. J’y suis allé passer mon baptême. Quand je suis sorti, après vingt minutes, un vieux m’a demandé :  » Alors, ça t’a plu ?  » Et comme j’ai acquiescé, il m’a dit : « Tu sais où va partir ton fric maintenant ! »  »

C’est une merveilleuse façon de voyager, s’enthousiasme Kroll, qui s’est rendu à Bornéo, au Belize, en Micronésie, à Sao Tomé…  » On se lasse assez vite de voir des mérous en Méditerranée, rit-il. Même si j’apprécie toujours ce moment où on saute d’un bateau pour basculer dans un autre monde, à vingt ou trente mètres sous l’eau, où tout est lent et fascinant. Quand vous voyez votre premier requin, vous avez une dose d’adrénaline incroyable et puis vous comprenez qu’ils n’attaquent jamais les plongeurs parce qu’ils préfèrent les poissons à un animal aussi grand qu’eux avec une bouteille en fer sur le dos. Je m’y suis sans doute mis à 40 ans parce que c’est un âge où on veut réaliser ce qu’on rêvait étant petit. L’enfance, on y revient toujours…  »

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