Zineb El Rhazoui, ancienne journaliste de Charlie Hebdo, militante des droits de l'homme. © P. TOHIER/PHOTOMOBILE/PANORAMIC

Zineb El Rhazoui: « S’ils me tuent, des milliers d’autres se lèveront »

Le Vif

Pour avoir appelé l’islam à  » se soumettre à la critique « , Zineb El Rhazoui, l’ex-journaliste de Charlie Hebdo, s’est vu menacer de mort. En guise de réponse, elle propose de réintroduire du lien, de l’humain et du fraternel.

 » Il faut que l’islam se soumette à la critique, qu’il se soumette à l’humour, qu’il se soumette aux lois de la République, qu’il se soumette au droit français.  » Les propos, mi-décembre dernier, de la journaliste Zineb El Rhazoui sur la chaîne d’information continue CNews ont suscité un torrent d’injures et de menaces, y compris de mort, sur les réseaux sociaux.

Aviez-vous imaginé les réactions qu’allait engendrer cette phrase et notamment ce verbe,  » soumettre « , qui a une résonance particulière pour les musulmans ?

Je ne me suis même pas posé cette question. Comme je ne me suis jamais demandé non plus :  » Et si, à Charlie Hebdo, on avait dessiné le prophète plus souriant, que se serait-il passé ?  » Il n’y a pas de négociation terminologique ou intellectuelle à avoir avec des gens qui veulent vous punir de mort. Et puis, mes propos – je suis navrée – sont en fait très anodins. Se retrouver menacée pour avoir dit de telles banalités, ça démontre que mon diagnostic est lucide, que mon combat est juste, que j’ai poussé cette frange de la population extrêmement dangereuse à montrer son vrai visage.

Vous voyez, dites-vous, dans  » cette campagne de haine « , le signe qu’il y a en France  » un abcès qu’il faut crever « …

Il est temps qu’on arrête de se mentir. Il y a des gens parmi nous – puisque ce sont des compatriotes -qui, en m’entendant, se sont dit :  » Il faut lui mettre une balle entre les deux yeux.  » Une partie de la population trouve ce raisonnement-là tout à fait normal, estime que l’islam est supérieur à tout, et qu’ils ne doivent se soumettre à personne, sauf à Allah. Une partie de la population qui, non seulement ne se sent pas française, mais ne souhaite pas se sentir française, et trouve même que c’est mal de se sentir français. Il est d’ailleurs temps d’arrêter de dire que, si ces gens ne se considèrent pas comme des citoyens français à part entière, ce serait à cause des Blancs, de la colonisation, etc. Il est temps qu’on arrête de considérer nos compatriotes musulmans comme des enfants, des faibles congénitaux, des gens dont on devrait attendre moins que ce qu’on attend du reste de l’humanité. Tous ceux qui, à gauche notamment, ont ce travers-là sont en fait des racistes. Leur différentialisme culturel me choque. Pour ma part, je considère nos compatriotes musulmans comme des égaux, comme des gens pour qui j’ai les mêmes exigences que pour toutes les composantes de la société.

Au-delà du fond, vous estimez que ce qui dérange vos détracteurs, c’est aussi votre personne. Vous seriez, dans leur logique, une  » traître à votre race « .

Cette hargne est en effet due à ma personne, à ma gueule, à mon ton. Parce que je suis femme, parce que je suis née et que j’ai grandi au Maroc, parce que je suis apostate. Parce que je suis libre, que je bois, fume et me maquille. Parce que j’ai décidé d’échapper au joug de la domination collective que ces gens-là voudraient imposer à toute la communauté musulmane. Dans leur esprit, je n’aurais pas dû tenir des propos pareils. Pour eux, je ne suis autorisée qu’à porter un foulard sur la tête, à dire  » wesh cousin  » et jurer sur  » le Coran de La Mecque « . Mais, puisque je ne suis pas dans ce schéma-là, puisque je dis que la République passe avant l’islam, c’est vécu comme une trahison. Cette campagne de menaces de mort et de viol est la deuxième que je connais en quelques mois. Il y en a eu une similaire en septembre. Déjà, à l’époque, j’avais été choquée par le racisme des propos tenus contre moi : la  » bougnoule « , la  » blédarde « . Ces gens-là me disent de rentrer au Maroc, moquent mon accent. L’un d’entre eux était exaspéré que je dise  » nous  » pour parler des citoyens français. En fait, ils me reprochent d’être intégrée, tout en considérant que je ne suis pas digne de l’être, puisque pas née en France. Parce que, pour eux, il existe des sous-races auxquelles j’appartiendrais en tant que  » blédarde « . Ils se plaignent d’être victimes du racisme, mais ils sont eux-mêmes extrêmement racistes. Ils sont imbibés par le communautarisme, par l’indigénisme qui est quand même la seule pensée qui, aujourd’hui en France, ose introduire l’argument biologique dans le débat public. Ses militants parlent de  » racisés « , organisent des rassemblements où les Blancs – forcément coupables et méchants – sont interdits, classent la société par couleur de peau. Ces gens-là sont quoi, sinon des racistes ?

Finit-on par s’habituer aux menaces ?

Je ne m’habituerai jamais, jamais, jamais à ça. Au même titre que je ne me suis jamais habituée au fait que, en tant que femme, j’étais considérée au Maroc comme un citoyen inférieur. Jamais. Si nous nous habituons aux menaces, nous sommes foutus. Il est au contraire grand temps d’isoler cette minorité, de désigner les ouvreurs de portes de l’islamisme, tous ces gens qui ont pourri le débat, semé la discorde, disséminé la haine dans notre société. Il nous faut les combattre en réintroduisant du lien, de l’humain et du fraternel entre nous, qui avons été trop longtemps divisés par leur pensée. Qu’on leur dise qu’on ne laissera pas faire et que, même s’ils me tuent, des centaines, des milliers d’autres se lèveront à ma place pour affirmer la même chose. Que nous ne voulons pas de leur poison qui peut amener à plus de sédition, plus d’affrontements, comme le poussent à le faire, ensemble, islamistes et extrême droite.

Entretien : Gérald Andrieu

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire