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Raviver l’élevage du ver à soie, un pari pour la région frontalière gréco-turque (en images)

Le Vif

Ioanna travaille depuis vingt ans dans cette salle, dans le village de Soufli, côté grec, qui compte une dizaine de machines et d’innombrables canettes de fils de soie multicolores. « C’est ici que j’ai appris l’art de tisser », raconte-t-elle. Mais en cette période de l’année, elle ne travaille qu’à mi-temps, faute de matière première : « La production du village n’est pas suffisante, les machines n’opèrent à plein temps que six mois par an, du printemps à l’automne », explique Despina Bakarou, qui assure la gestion de la production de Mouhtaridis.

Cette manufacture créée en 1974 est l’une des deux principales de Soufli, village frontalier isolé de 4.000 habitants dans le département d’Evros au nord-est de la Grèce, à une encablure de la Turquie, passage habituel pour les migrants venant en Europe. Du XIXe siècle aux années suivant la Seconde Guerre mondiale, ce village était l’un des centres de production artisanale et familiale de cocons de la région. « A l’époque il n’y avait pas de maison qui ne cultivait pas le ver à soie », témoigne Matina Lekka, une retraitée dont la mère travaillait dans l’usine Givré, fabrique renommée du village fermée dans les années 60. De là, le fil de soie était alors acheminé en Europe, notamment vers Lyon et Bordeaux en France, des villes réputées pour leurs soieries.

Soufli, une marque

Mais après 1945, l’émergence du nylon et de la rayonne « a porté le premier coup à la sériciculture, suivi de celui de la libéralisation du secteur à la fin des années 90 au profit des Chinois », rappelle Yorgos Tsiakiris, propriétaire de la seconde soierie du village et de l’union des manufacturiers locaux. Malgré cette conjoncture négative et le recul de la production, Soufli a toutefois su maintenir sa tradition. Au cours de la dernière décennie, l’expansion des politiques de développement durable et le retour aux fibres naturelles ont profité à la soie, de plus en plus présente dans la haute couture.

Aujourd’hui les deux usines du village exportent écharpes et vêtements en Bulgarie, Slovaquie et Chypre et collaborent avec des stylistes, dont beaucoup de Britanniques, ce qui apporte une valeur ajoutée à la « marque » Soufli. « La soie est de plus en plus demandée dans le secteur de la mode et notre effort est d’augmenter la production et d’améliorer encore plus la qualité », atteste Despina Bakarou. « Le défi actuellement est de s’adapter aux nouveaux besoins (…), des investisseurs étrangers », principalement européens mais aussi chinois, « sont prêts à financer des projets de 15 à 20 millions d’euros », pour renouveler les mûriers et y développer la culture du bombyx, le ver à soie, indique Yorgos Tsiakiris, qui appartient à la quatrième génération d’une famille du secteur.

Entouré de 300 hectares de mûriers et disposant d’une infrastructure verticale allant du ver à soie à la création des tissus, Soufli a le potentiel de faire remonter le nombre des sériciculteurs. Ils sont actuellement une soixantaine, précise M. Tsiakiris.

Tourisme culturel

Mais le village souffre de l’absence d’un dévidoir (machine qui permet de récupérer le fil depuis le cocon), ce qui contraint les producteurs de Soufli à envoyer actuellement leurs cocons en Italie. Le fil de soie extrait d’un seul cocon peut mesurer jusqu’à 2,5 km. Les producteurs de Soufli se plaignent également du retard, selon eux, pris par l’Etat ces dernières années à mettre en oeuvre des programmes européens dont le principe a été acté pour renforcé la production locale de soie, à hauteur d’un montant de 7 millions d’euros. La fondation Hermès a récemment financé l’installation d’un petit dévidoir, mais il n’est pas suffisant pour traiter toute la production.

Dans le cadre des politiques de croissance après une décennie de crise, le secrétaire d’Etat à l’Economie et au Développement, Sterios Pitsiorlas, s’est rendu en juin en compagnie d’experts chinois à Evros, pour afficher sa volonté d’inciter au renforcement de la production de soie dans la région, une des moins riches de la Grèce. Soufli et la région misent aussi sur le développement du tourisme autour de la soie. En octobre, l’Organisation mondiale du Tourisme (OMT) a choisi pour la première fois la Grèce et sa mégapole du nord Thessalonique pour sa conférence internationale annuelle sur « la Route de la soie », dans le cadre de son projet de faire de celle-ci « un itinéraire de tourisme culturel de renommée internationale ». Le village de Soufli compte pas moins de quatre petits musées de la soie et quelques hôtels et tavernes.

« Les visiteurs de l’étranger en quête de tourisme alternatif y sont de plus en plus nombreux, ce qui est positif », se félicite Yorgos Bouroulitis, propriétaire de l’un de ces musées dans le centre de la ville. « Quand j’étais jeune, je me souviens de mon grand-père qui habitait dans une maison construite pour permettre la culture de bombyx à l’intérieur, comme c’était alors le cas de la majorité des maisons à Soufli », confie-t-il, installé devant sa riche collection de machines de soierie traditionnelles. « Les femmes tissaient. J’ai toujours toutes ces images dans ma tête. » (Texte et photos: AFP)

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