Oprah Winfrey © Reuters

Oprah Winfrey, incarnation de la confusion des démocrates

Muriel Lefevre

Le fait qu’on envisage qu’Oprah Winfrey puisse devenir la candidate démocrate pour les élections de 2020 illustre bien l’errance du parti démocrate complètement plombé par la présidence de Trump. Un tel enthousiasme n’est, en effet, pas forcément bon signe. Explications.

En quelques minutes d’un discours volontaire et puissant au Golden Globes, Oprah Winfrey est devenue la favorite pour battre Donald Trump en 2020. En construisant son discours sur le mouvement amorcé par l’affaire Weinstein, mais en allant bien au-delà en annonçant l’arrivée d’une « aube nouvelle » pour les femmes et les jeunes filles maltraitées par les hommes, elle aura marqué durablement les esprits.

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Au point que certains ont vu dans cette déclaration de neuf minutes un tournant dans la vie publique d’Oprah Winfrey, dont la stature dépasse depuis longtemps déjà celle d’une animatrice, d’une actrice ou d’une femme d’affaires, activités qui ont fait d’elle la première femme noire milliardaire.

L’inexpérience politique tend de plus en plus à être un atout

Première présentatrice noire à percer à la télévision, il y a 30 ans, Oprah a su créer autour de son nom et de son image une véritable marque, à l’influence considérable aux États-Unis. En juin, après avoir cultivé l’ambiguïté sur le sujet, elle avait assuré qu’elle ne se présenterait jamais à aucun mandat politique. Mais selon CNN, qui citait lundi deux personnes anonymes de son entourage, l’actrice de 63 ans « réfléchit sérieusement » à une candidature, à près de trois ans de l’échéance.

La sexagénaire fringante est parfaitement alignée sur son époque, avec son combat pour la cause des femmes, mais aussi son parcours issu de la société civile. Un sondage publié en mars par l’institut Public Policy Polling la donnait d’ailleurs gagnante en 2020 contre Donald Trump à 47% des suffrages contre 40% au président sortant. « Je ne pense pas qu’on puisse considérer cela comme une plaisanterie, pas plus que Donald Trump candidat ou The Rock », surnom de l’acteur Dwayne Johnson qui a déjà laissé entendre qu’il nourrissait des ambitions pour 2020, estime Cindy Rosenthal, professeur de sciences politiques à l’université d’Oklahoma.

« Pour beaucoup, aux États-Unis, l’expérience politique est en réalité un handicap » lors d’une élection, et non un atout, souligne Cindy Rosenthal, comme l’a prouvé la victoire de Donald Trump. Chez les bookmakers britanniques de William Hill, après être partie de très loin, la native du Mississippi effectue une remontée spectaculaire et fait maintenant jeu égal avec Michelle Obama. « La cote suggère que Donald (Trump) va être difficile à battre », a néanmoins indiqué à l’AFP un porte-parole de William Hill.

Pour Trump, Oprah ne sera pas candidate à la Maison-Blanche

Donald Trump -qui évoque régulièrement les « sept années » qui lui restent au pouvoir- ne pense pas Oprah Winfrey sera candidate à la Maison-Blanche. Et que si, par aventure, elle tentait tout de même la chose il la battrait. « Je la connais très bien(…) Je l’aime bien », a affirmé M. Trump, interrogé sur les éventuelles ambitions politiques de l’animatrice, actrice et femme d’affaires. « Je ne pense pas qu’elle sera candidate », a-t-il ajouté dans un sourire. « Oui, je battrais Oprah », a-t-il encore dit en réponse à une question.

Démocrate de coeur, Oprah est en effet nettement moins populaire chez les sympathisants républicains. Pour autant, son image est beaucoup plus consensuelle que celle de Donald Trump, et son sens affiché de l’empathie, qui en a fait la première intervieweuse des États-Unis, est l’une des raisons majeures de son succès. Pour l’ancien présentateur vedette de Fox News Bill O’Reilly, l’un des principaux animateurs conservateurs aux États-Unis, « elle pourrait gagner en 2020 ». Une victoire possible, bâtie sur son image impeccable, mais aussi, selon lui, sur le soutien des médias, auxquels elle a rendu hommage dimanche dans son discours, ainsi que sur l’appui probable de Barack Obama, qu’elle avait elle-même aidé en 2008.

Vers une dérive du système politique américain

Au-delà de ses chances de succès, plusieurs commentateurs s’interrogent sur sa capacité à gouverner, en cas d’élection, et sur une dérive possible du système politique américain. « Oprah, ne fais pas ça », a lui titré l’essayiste et écrivain Thomas Chatterton Williams dans une tribune pour le New York Times. « Si la première année de l’administration Trump a montré clairement quelque chose, c’est que l’expérience, la connaissance, l’éducation et la sagesse politique ont une importance immense », a-t-il écrit. « La présidence n’est pas de la télé-réalité ou un talk-show. »

« Ressaisissez-vous. Oprah ne devrait pas se présenter à la présidence », a encore lancé, en titre de sa tribune, l’éditorialiste Paul Waldman, dans le Washington Post. « Il est vrai que les Démocrates ont sous-estimé l’importance du charisme en matière présidentielle », a-t-il écrit. « Mais la réponse à ces échecs électoraux ne doit pas consister à ne plus se soucier du fond. »

Le parti a en effet été tellement sonné par cette élection présidentielle qu’il pensait acquise qu’il est un peu à la dérive. « Il va falloir du temps avant qu’émergent un nom et une ligne politique. Les élections de mi-mandat ne sont traditionnellement pas propices à cela, car elles produisent naturellement une grande fragmentation » précise encore William Galston.

Confusion chez les démocrates

Et c’est bien là l’une des principales choses à retenir de cet engouement. Cela met cruellement en lumière le fait que le parti démocrate n’a pas de chef de file incontesté. Pas un candidat ou candidate qui pourrait à lui seul incarner une opposition crédible à Trump. C’est à ce point la bérézina que Joe Biden, qui aura 78 ans en 2020, envisagerait d’être à nouveau candidat. Tout comme Bernie Sanders qui affichera lui 76 ans au compteur. On se retrouve en ce moment à un vide similaire à celui qui avait permis l’ascension spectaculaire de Bill Clinton en 1992.

Ceci dit, le manque d’expérience n’a pas toujours fait peur aux démocrates. Pour rappel Obama lorsqu’il a été élu n’était pas vraiment un cador de la politique. Et comme le fait encore remarquer le correspondant du Monde, il n’y a pas que Oprah sur les rangs. d’autres candidats potentiels « people » sont envisagés. Il s’agit souvent des gens riches, célèbres et au parcours singulier. Par exemple les noms de Mark Cuban, le milliardaire qui possède notamment l’équipe de basket des Mavericks de Dallas ou encore de Mark Zuckerberg, le créateur de Facebook sont également parfois évoqués.

Il est donc plus que probable que d’autres personnalités suscitent le même engouement qu’Oprah dans les mois à venir. On pourrait même assister à une candidature surprise dans la dernière ligne droite. Un peu comme Donald Trump qui avait attendu les toutes dernières semaines pour sortir officiellement du bois et en tablant sur sa célébrité pour combler l’écart.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire