Sur ce cliché emblématique pris par les garde-côtes indiens après le tsunami de 2004, on voit un Sentinelle essayant d'abattre leur hélicoptère à l'aide d'un arc et de flèches. © Flickr

North Sentinel: le sort funeste des tribus isolées

Muriel Lefevre

Les habitants de l’ île de North Sentinel sont le dernier peuple isolé de l’archipel indien d’Andaman. Un isolement qu’ils défendent chèrement, quitte à tuer. Bien que l’option semble sanglante, l’histoire tend à leur donner raison.

Leur territoire de 72km² se cache dans les eaux turquoise de l’océan Indien. Il est niché au coeur de l’archipel des Andaman, qui s’étend sur plus de 800 km et 572 îles disséminées au large de la Birmanie jusqu’au nord de l’île indonésienne de Sumatra. Bien que géographiquement plus proche d’autres pays, l’archipel dépend de l’Inde.

Cette tribu refuse avec virulence depuis des centaines d’années tout contact avec le monde extérieur. Bien qu’à partir de 1996 le gouvernement indien ait interdit toute tentative d’approche et installé une zone tampon de 5 kilomètres pour les protéger, cet isolement est surtout défendu avec acharnement par les membres mêmes de la tribu : tous ceux qui se risquent à enfreindre l’interdit risquent la mort.

L'île de North Sentinel
L’île de North Sentinel © Capture d’écran Google map

John Allen Chau, un missionnaire américain évangélique illuminé, en fera l’amère expérience. Celui qui prenait North Sentinel pour le « dernier bastion de Satan » sera tué par les habitants de l’île entre le 16 et le 18 novembre 2018, peu après y avoir posé le pied.

Y a-t-il encore aujourd’hui des tribus complètement isolées du reste du monde ?

On estime qu’il y aurait une centaine de tribus isolées, des peuples « non contactés », à travers le monde, dont 77 vivants en Amazonie dans sa zone la plus inaccessible située à la frontière entre le Pérou et le Brésil. On en trouve aussi en Papouasie au nord de l’Australie. La plupart de ces tribus ne comprennent que quelques dizaines de membres. L’ensemble de cette population représenterait donc à peine deux à trois mille personnes. Les estimations les plus optimistes parlent de quelques milliers d’individus. Il existe peut-être des tribus qui n’ont pas encore été recensées, mais elles ne devraient pas dépasser la dizaine.

Chez certains peuples de chasseurs-cueilleurs, la maman confie le bébé après la naissance à d'autres membres de la tribu : souvent à des femmes, mais aussi parfois à des hommes .
Chez certains peuples de chasseurs-cueilleurs, la maman confie le bébé après la naissance à d’autres membres de la tribu : souvent à des femmes, mais aussi parfois à des hommes .© ISTOCK

Découvrir notre mode de vie est un choc pour ces peuples chasseurs-cueilleurs qui considèrent la terre comme leur maison, leur lieu de vie, leur pharmacie, leur garde-manger. Ils sont aussi souvent nomades, étrangers à toute notion de propriété et animistes. La tradition orale y est aussi très importante. Ce qui fait que les récits sur les dangereux étrangers y sont transmis de génération en génération, ce qui entretient la méfiance et le choix de se tenir à l’écart. Un choix souvent judicieux, car l’histoire à montrer, à de multiples reprises, que les premiers contacts réguliers sont souvent suivit de l’extinction du peuple. L’exemple des tribus de l’archipel ne fait pas exception à la règle.

L’archipel a longtemps été relativement préservé. Bien que les premiers contacts documentés datent d’il y a plus de 1000 ans, la résistance fut de tout temps farouche et les îles et leurs habitants restent une énigme durant tous ces siècles. Les choses changent avec l’arrivée, à partir du XIXe siècle, de l’Empire britannique qui y installe une colonie pénitentiaire et impose son joug.

À partir de ce moment, les populations qui y vivent dépérissent rapidement. Parmi les Grand-Andamanais, tribus majoritaires dans l’archipel, la population passe de 3 500 personnes, en 1858, à 90, en 1931. Ils ne seraient aujourd’hui plus que 41 et la plupart sont alcooliques. Parqués dans des camps pour être « éduqués », ils tombent malades, vivent dans la pauvreté et leur culture s’étiole. Au cours des 50 dernières années, la population des îles a décuplé pour atteindre 30 000 habitants, mais les populations autochtones ne représentent plus qu’1%, tant elle a été décimée par la maladie, la déforestation, la politique expansionniste de Nehru et les massacres de centaines d’habitants par les Japonais durant la Seconde Guerre mondiale.

Seuls les Jarawa et les habitants de l’île de North Sentinel échappent dans un premier temps à l’oppression coloniale. Un film de 1974 montre une de ces expéditions menées par l’anthropologue indien Triloknath Pandit parti à la rencontre de ces deux tribus.

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Les Jarawa vont l’accueillir de manière amicale. Une curiosité qui va leur couter cher. La prise de contact soutenue avec le monde extérieur des Jarawa et leur manque de méfiance va avoir des effets désastreux. En 1997, l’un d’eux a été retrouvé blessé au bord d’une route construite par les colons indiens et soigné dans un hôpital. De retour parmi les siens, il rassure sa tribu sur le caractère « pacifique » des gens du dehors, selon l’ethnographe Patrick Bernard. Pousser par un manque de ressource à cause de la déforestation et des colons indiens de plus en plus présents, ils vont dès lors se rapprocher de villages pour aller y quémander de la nourriture et des outils métalliques. Ainsi fragilisés, ils vont s’éloigner de leur savoir ancestral et être plongés dans l’exploitation sexuelle, la mendicité et l’alcool. On organise même de sordides safaris humains comme le montrent certaines vidéos. Les Jarawa devaient être un demi-millier il y a 30 ans. Ils ne sont déjà plus que 250 à 300 aujourd’hui.

Jarawa
Jarawa© Reuters

Les habitants de North Sentinel ne vont jamais, ou presque, baisser la garde. Chaque tentative d’accostage sur l’île finira dans le sang. Ce n’est qu’en 1991 que Triloknath Pandit parviendra à poser le pied sur l’île et prendre brièvement pacifiquement contact avec des habitants pour « une raison qu’il ne s’explique pas ». Lors de cette visite, il put même se baigner avec les habitants.

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Une autre anthropologue et réalisatrice indienne, Aruna HarPrasad, va elle aussi poser le pied sur l’île en mars 1993. « Devant nous, une plage d’un blanc de sel. Soudain apparaissent des silhouettes noires sorties de la forêt se mouvant sur la blancheur du sable. Ah ! j’avais l’impression d’être dans un livre… Je m’apprêtais à débarquer sur les rivages de l’aube de l’humanité ! Et devant moi, je voyais se profiler les silhouettes des premiers hommes sur la Terre… » raconte-t-elle lyrique au quotidien Le Monde. On peut voir son expédition dans le film The Tribes of the Andaman and Nicobar Islands.

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A ces quelques très rares exceptions, les autres « envahisseurs » ont été moins bien reçus. En 1981, un cargo échoue sur une plage de l’île et l’équipage ne fut sauvé que grâce à un sauvetage par les airs. Plus récemment, deux marins échouèrent sur l’île en 2006 et furent criblés de flèches. Le dernier en date est donc John Allen Chau, l’imprudent missionnaire américain.

John Allen Chau
John Allen Chau© Instagram

Inestimables pour l’étude de notre propre espèce ?

Cela fait plus de 60.000 ans que les habitants de l’île North Sentinel vivent complètement isolés. Il y aurait donc une ligne directe entre eux et leurs ancêtres pré-néolithiques. Les anthropologues estiment, au vu de leur apparence (peau noire et cheveux frisés), que la population de l’archipel serait issue d’une migration en provenance du continent africain effectué il y a une cinquantaine de millénaires. Certains généticiens les considèrent même comme les descendants directs des premiers humains. Leurs langues sont différentes des langues de la région et seraient apparentées à celles pratiquées par les populations originelles de Tasmanie, de Papouasie et de Mélanésie. Leur isolement tant biologique que géographique les rend aujourd’hui inestimables pour l’étude de notre propre espèce, car elle pourrait valider la thèse que l’humanité a quitté son pays natal par la mer, naviguant vers l’Asie du Sud-Est avant de s’installer en Australie. Rappelons que l »Europe n’a elle été peuplée qu’il y a 40 000 ans.

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