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Levée de boucliers contre le candidat russe à la présidence d’Interpol

Le Vif

La candidature d’un général russe pour présider Interpol provoquait une levée de boucliers à la veille de l’élection du nouveau patron de l’organe de coopération policière et une des plus grandes organisations internationales de la planète. Ce n’est cependant pas la première nomination controversée. Le point.

La police mondiale est privée de chef depuis la « démission » subite de son ancien patron Meng Hongwei, accusé de corruption en Chine et qui a mystérieusement disparu début octobre au cours d’un voyage dans son pays.

Réunis en assemblée générale depuis dimanche à Dubaï, les délégués d’Interpol doivent élire son remplaçant et deux candidats sont en lice : l’actuel président par intérim, le Sud-Coréen Kim Jong-yang, et un haut-fonctionnaire russe, Alexandre Prokoptchouk.

Citant des sources britanniques, le quotidien The Times a affirmé dimanche que M. Prokoptchouk, 56 ans, était donné favori.

Bien que le poste de président soit plus honorifique qu’opérationnel, l’information a fait bondir les critiques du Kremlin qui craignent que cette organisation internationale ne devienne un outil au service de la Russie. Et ce au moment où les Occidentaux reprochent à Moscou d’envoyer ses soldats en Ukraine, de s’ingérer dans les élections américaines ou d’avoir empoisonné l’ex-agent double Sergueï Skripal.

Cinq choses à savoir sur Interpol

– Une présidence honorifique –

Organisation créée en 1923, Interpol désigne tous les quatre ans un président dont le rôle est essentiellement honorifique. Ce dernier préside notamment les réunions annuelles de l’Assemblée générale, instance dirigeante suprême de l’organisation qui dicte la politique générale, les méthodes de travail et les orientations financières.

Mais c’est bien le secrétaire général qui est chargé de diriger les opérations au jour le jour à Lyon, siège d’Interpol depuis 1989. L’actuel titulaire du poste est l’Allemand Jürgen Stock, élu pour cinq ans en novembre 2014.

– Pas de politique –

Interpol est officiellement une organisation neutre qui respecte la souveraineté de chaque pays membre. Toute action est mise en oeuvre dans le cadre des lois existant dans les différents pays et son statut lui interdit « toute intervention dans des questions ou affaires présentant un caractère politique, militaire, religieux ou racial ».

Il a été toutefois déjà été reproché à Interpol d’être instrumentalisée par certains Etats utilisant ses canaux pour tenter de faire arrêter des opposants politiques hors de leurs frontières.

En 1998, les Etats de l’Union européenne ont créé Europol, organisation distincte née de la volonté des Etats européens de s’émanciper d’Interpol. L’organisation collabore toutefois régulièrement avec Interpol.

– Rouges, mais aussi bleues et noires –

Interpol ne constitue pas une force de police en tant que telle. L’organisation ne délivre pas de mandat d’arrêt et ne peut déclencher ni enquêtes ni poursuites, mais chaque pays membre peut demander la publication d’une notice rouge.

Cet avis de recherche international s’appuie sur un mandat d’arrêt national, dont les informations sont transmises à tous les autres membres. Les arrestations sont ensuite effectuées par les polices nationales.

Il existe huit catégories différentes de notices. Outre la plus importante, la rouge, il y a la notice bleue, utilisée pour obtenir des informations sur des individus suspects, ou la notice noire, concernant des informations sur des personnes décédées ou des cadavres à identifier.

Le site internet d’Interpol permet un accès immédiat aux fiches des personnes les plus recherchées au monde, mais seulement 30% des notices rouges font l’objet d’une communication au grand public. En 2015, quelque 67.000 notices ont été publiées, dont 11.500 rouges.

Il existe également depuis 2005 une notice spéciale nommée Interpol-Conseil de Sécurité des Nations unies, utilisée pour signaler des individus appartenant à des groupes radicaux tels qu’Al-Qaïda, Daesh ou encore les Talibans.

– 184.000 empreintes digitales –

Interpol agit également dans la formation et le perfectionnement des polices nationales, l’échange et l’analyse de données ou la collaboration frontalière.

Selon des chiffres datant de 2013, la base de données d’Interpol sur les empreintes digitales contient plus de 184.000 enregistrements auxquels 172 pays ont contribué.

Suite à une attaque terroriste, Interpol peut aussi créer une cellule de crise et envoyer sur place des spécialistes pour apporter un soutien en matière d’enquête et d’analyse.

– Nouveaux adhérents –

Interpol est financé par ses 194 pays membres, qui participent en fonction de leur poids économique, mais reçoit également des donations de divers contributeurs.

Interpol disposait en 2017 d’un budget de 124,3 millions d’euros. Les Etats-Unis sont les premiers contributeurs avec 10,5 millions d’euros, suivis par le Japon, l’Allemagne et la France.

En 2017, Interpol regroupait environ 800 fonctionnaires d’une centaine de nationalités différentes en plus de nombreux contractuels, employés au siège ou dans l’un des sept bureaux régionaux. Beaucoup de fonctionnaires sont mis à la disposition d’Interpol par leur gouvernement.

Curiosité: l’organisation compte en son sein de nombreux pays n’entretenant pas de relations diplomatiques. L’AG de Dubaï a validé l’adhésion de deux nouveaux pays, Kiribati et Vanuatu, tout en rejetant celle du Kosovo, portant ainsi le nombre de ses membres à 194

Quatre sénateurs américains ont donc appelé dans une lettre ouverte rendue publique lundi les délégués des 192 pays membres d’Interpol à rejeter la candidature de M. Prokoptchouk.

La réaction du Kremlin a été sèche, son porte-parole Dmitri Peskov s’indignant mardi d' »une forme d’ingérence », tandis que le ministère russe de l’Intérieur a jugé « inadmissible la politisation » de cette « organisation internationale professionnelle ».

Parmi les opposants les plus résolus à cette candidature figure le financier britannique William Browder, dont la Russie tente d’obtenir l’extradition depuis des années et qui a brièvement été arrêté cette année en Espagne à cause d’un mandat d’arrêt émis par Interpol.

William Browder assure que la Russie a tenté « à six reprises d’abuser Interpol » pour le faire arrêter, alors même qu’il se bat pour que des sanctions soient prises contre les responsables de la mort dans une prison russe en 2009 de son ex-employé, le juriste Sergueï Magnitski.

La Russie va « étendre ses tentacules criminelles à chaque coin de la planète » si Alexandre Prokoptchouk est élu président de l’organisation dont le siège est à Lyon (France), a-t-il dénoncé sur Twitter, rejoint dans ses critiques par l’oligarque déchu devenu un opposant en exil, Mikhaïl Khodorkovski.

« Notre équipe a souffert d’abus d’Interpol à cause de persécutions politiques par la Russie. Je ne pense pas qu’un président russe aidera à réduire ces violations », a de son côté écrit sur Twitter l’opposant numéro un au Kremlin, Alexeï Navalny.

L’Ukraine a de son côté menacé de se retirer d’Interpol en cas d’élection d’Alexandre Prokoptchouk à sa tête.

– Général de police –

Selon sa biographie sur le site internet du ministère russe de l’Intérieur, qu’il a rejoint dans les années 1990, Alexandre Prokoptchouk a obtenu en 2003 le grade de général de police et commencé à travailler avec Interpol en 2006, d’abord en tant que responsable adjoint du bureau russe de l’organisation.

Ce polyglotte qui parle allemand, polonais, italien, anglais et français a également été chargé de la coopération avec Europol, l’agence européenne de police criminelle, puis nommé au comité exécutif d’Interpol en 2014 avant d’en être élu vice-président en novembre 2016.

Le candidat élu devra terminer le mandat de quatre ans que M. Meng devait achever en 2020 mais le véritable patron d’Interpol est en réalité son secrétaire général. Celui-ci est jusqu’à l’année prochaine l’Allemand Jürgen Stock, qui rappelait début novembre que le poste de président est « essentiellement honorifique ».

« Le président d’Interpol a une certaine influence mais ce n’est pas un poste-clé », confirme Andreï Soldatov, le rédacteur en chef du site internet Agentura.ru, spécialisé dans les affaires de renseignement. Mais cet expert se dit persuadé que « l’usage des notices rouges » (qui relaient les mandats d’arrêt des pays membres) pour des poursuites de nature politique « augmentera » en cas d’élection d’Alexandre Prokoptchouk.

« Interpol est un système que la Russie a commencé à bien utiliser pour ses objectifs. Cela crée des problèmes (aux personnes placées sur notice rouge, ndlr), elles sont arrêtées à la frontière, elles perdent quelques jours, c’est désagréable et ça fait une mauvaise publicité », a-t-il encore dit à l’AFP.

Interpol a du reste connu de nombreux présidents controversés dans son histoire quasi-centenaire et l’élection de M. Meng en 2016 avait déjà provoqué les craintes de dissidents de voir Pékin utiliser Interpol pour traquer les opposants chinois réfugiés à l’étranger.

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