Christian Makarian

La bataille d’Idlib en Syrie, le dernier acte

L’ultime bastion de l’insurrection syrienne, autour d’Idlib, dans le nord-ouest de la Syrie, va devenir le théâtre d’une des batailles les plus complexes de l’atroce guerre qui a détruit ce pays.

Sur le plan militaire, les troupes gouvernementales, appuyées par les forces terrestres et l’aviation russes, par des contingents iraniens importants, doivent affronter cette fois des opposants très aguerris, parmi lesquels on compte environ 10 000 terroristes issus des différents mouvements djihadistes – qui ont trouvé refuge dans cette enclave après avoir parfois négocié avec le régime de Damas – mais aussi des rangs de Daech. A la fin de 2016, après leur cuisante défaite à Alep-Est, des bataillons de combattants avaient ainsi marchandé leur départ contre une réinstallation à Idlib ; si bien que le combat avait repris ensuite dans ce réduit entre factions djihadistes rivales.

Autant dire que les attaques des assaillants contre les extrémistes risquent d’être terribles, ce qui fait de nouveau redouter la menace d’un recours à l’arme chimique. Pour prendre les devants, au cas où Assad recourrait derechef à ses procédés habituels, la Russie prétend d’ores et déjà que des matériaux chimiques auraient été livrés aux assiégés par les Casques blancs, ces secouristes volontaires syriens formés par les Occidentaux. Cette campagne, qui vise de manière obsessionnelle les Casques blancs, est une façon de prévenir les Occidentaux qu’il serait illégitime de leur part de frapper les forces gouvernementales – comme l’ont fait les Américains, les Français et les Britanniques, le 14 avril dernier – en cas d’emploi de l’arme chimique à Idlib. Ce genre de manoeuvres n’a évidemment rien de rassurant. Ces jours-ci, les forces navales russes ont été renforcées en Méditerranée orientale, en sus de la trentaine d’avions de combat basés en Syrie. Du côté américain, l’ USS Ross, un destroyer armé de missiles Tomahawk, se situe à distance opérationnelle.

Le pire est à craindre en raison de l’intrication de la Turquie et de la Russie

Sur le plan humanitaire, une offensive massive, sans s’être assuré au préalable de l’existence de corridors sécurisés pour évacuer les civils, aboutirait à un carnage dans la population. Près de trois millions d’habitants, dont une bonne moitié de déplacés sont pris en otage ; une forte proportion d’entre eux ne survit depuis des mois que grâce à l’aide internationale et au soutien de différentes ONG.

Sur le plan stratégique, enfin, le pire est à craindre en raison de l’intrication de la Turquie et de la Russie dans cette région située le long de la frontière turque. Depuis des années, Ankara soutient les opposants à Bachar al-Assad et les a aidés à se structurer à Idlib, notamment pour qu’ils barrent la route aux Kurdes, qui cherchent à s’arroger le contrôle du Nord syrien. Ce sont ces mêmes groupes que Moscou combat pour soutenir le régime de Damas, tout en ménageant par ailleurs la Turquie, dont elle a besoin comme pseudo-alliée à la table des négociations en vue de la sortie du conflit. Une ambiguïté sans nom, qui se heurte, précisément à Idlib, à des intérêts complètement divergents : laisser les rebelles, fussent-ils de dangereux djihadistes, se faire tailler en pièces est difficilement soutenable du point de vue d’Erdogan, leur écrasement provoquerait leur exil vers le territoire turc… Tandis que, pour les Russes, il est indispensable de chasser les djihadistes de ce réduit, afin d’imposer la mainmise finale du régime de Damas et de pouvoir, enfin, sortir de la phase militaire pour passer à l’étape suivante. Il est clair qu’entre les deux faux amis, il reviendra à la Turquie de renoncer à ses objectifs… moyennant quelques concessions.

Idlib est devenu un enjeu entre toutes les puissances embourbées dans le conflit syrien. Ce n’est pas la moindre des victoires de Bachar al-Assad que d’avoir réussi à attirer ses partenaires comme ses adversaires dans une situation inextricable.

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