Franklin Dehousse

« Bienvenue dans l’âge de l’Europe-impuissance »

Franklin Dehousse Professeur à l'ULiège

Pendant des siècles à partir de la Renaissance, l’Europe a été la puissance hégémonique de la planète. Au xxe siècle, après avoir provoqué deux guerres mondiales cataclysmiques, elle a été rétrogradée au rang de puissance régionale. Maintenant, au xxie siècle, nous entrons dans l’ère de l’Europe-impuissance.

La conjoncture récente offre de brillants exemples. Trump liquide l’accord sur le nucléaire avec l’Iran. Avons-nous une alternative ? Pas vraiment. Poutine multiplie les interventions dans les élections des Etats membres. Avons-nous une réaction concrète ? Bien sûr que non. Erdogan multiplie les menaces hostiles. Avons-nous une réponse ? Ne rions pas. La Syrie sombre dans l’abîme. Avons-nous une stratégie ? Voyez nos 50 communiqués précédents.

Les récentes sanctions américaines sur l’acier ajoutent à la démonstration. Les Européens sont les plus importants, les meilleurs et les plus anciens alliés des Etats-Unis. Pourtant, ils sont en réalité plus maltraités que la Chine ou la Russie. Leurs intérêts sont systématiquement bafoués. Plusieurs raisons l’expliquent. Contrairement aux autres, les Européens dépendent étroitement des Etats-Unis pour leur sécurité. Contrairement aux autres, ils abusent de l’économie mondiale en accumulant d’énormes surplus commerciaux. Ils dépendent ainsi trop de leurs partenaires pour leurs exportations. Enfin, fort souvent, ils sont incapables d’adopter une réelle stratégie commune. Il suffit de voir nos chefs de gouvernement prononcer des discours de principe creux, et puis se précipiter tout de suite chez les dirigeants critiqués pour obtenir une belle photo et un petit investissement. Pas étonnant que les émissions satiriques comme Les Guignols de l’info s’arrêtent : la compétition déloyale des dirigeants réels est devenue trop forte.

Les Européens sont plus maltraités que la Chine ou la Russie

L’Europe est encore respectée (un peu) dans les domaines limités où l’Union européenne adopte des décisions influentes : le changement climatique, le marché unique, les décisions de concurrence contre les multinationales de la high-tech, les accords commerciaux… Vu des autres continents, le reste prête surtout à rire (cela va du chaos de l’immigration à une politique étrangère cacophonique en passant par la prolifération des paradis fiscaux et des armées sans cesse plus dépassées).

Après l’élection de Donald Trump en 2016, on a eu droit à quelques rêveries sur le thème  » l’Europe va devenir le leader du monde occidental « . Cependant, le vrai leadership international requiert des bases élémentaires : une économie et une monnaie qui fonctionnent, une réelle capacité militaire et la volonté de faire de temps à autre des investissements coûteux mais payants (comme le plan Marshall en 1949 ou le soutien aux euromissiles en 1983, par exemple). La multiplication des accords commerciaux comme des petits pains est loin de suffire. La sécurité, surtout à notre époque, est multifonctionnelle. Elle comprend aussi une économie en ordre, la technologie, le climat et l’immigration par exemple. Cependant, toute l’Europe se comporte en réalité comme son leader non spirituel, Angela Merkel. Elle proclame mollement de temps à autre qu’il faudra assumer notre propre sécurité. Qu’a-t-elle avancé de sérieux dans ce sens depuis lors ? Pratiquement rien.

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