Mohammad Omar © isopix

Afghanistan: le terroriste le plus recherché du monde et la guerre pour rien

Muriel Lefevre

Le mollah Omar a longtemps été l’un des « terroristes les plus recherchés » au monde. Pendant plus de douze ans, les Américains vont le pister avec acharnement. Il faut dire qu’il était bien caché. Il était simplement chez lui, dit Bette Dam, une journaliste néerlandaise.

S’ils ont fini par avoir ben Laden en 2011, les Américains ne sont jamais parvenus, malgré une prime de 10 millions de dollars et des gros moyens, à mettre la main sur le mollah Omar, le chef historique du mouvement taliban. Pourtant les Américains le voulaient coûte que coûte, persuadés que l’homme était le compagnon de lutte du chef d’Al-Qaïda et qu’il avait aidé ce dernier à préparer son attaque terroriste contre les tours jumelles. Ce dernier point est aujourd’hui contesté par une journaliste néerlandaise, Bette Dam, qui a enquêté sur lui durant cinq ans. Dans son livre, Looking for the Enemy, elle dresse un portrait différent du mollah Omar. Pour écrire son livre, elle a parlé à une centaine de personnes. Ce sont d’anciens voisins, des membres de sa belle-famille, des compagnons de combat, des dirigeants talibans actuels, le fils aîné d’Oussama ben Laden, le chef des services secrets afghans et l’ancien président Hamid Karzaï.

Plusieurs fois annoncé comme mort

On a annoncé plusieurs fois sa mort, mais, à chaque fois, la nouvelle sera démentie jusqu’au 29 juillet 2015. Ce jour-là, les services de renseignement afghans annoncent sa mort « dans un hôpital de Karachi (sud du Pakistan) en avril 2013 (…) dans des circonstances mystérieuses ». Une information confirmée cette fois par les talibans. Le groupe sera parvenu à faire croire qu’Omar était encore en vie durant tout ce temps.

Si le mystérieux chef taliban n’échappe pas à la mort, il va néanmoins, et durant plus d’une décennie, réussir à glisser entre les filets tendus par les Américains. Contrairement à ce que ces derniers soupçonnaient, il n’était pas au Pakistan, mais chez lui, dans la province de Zaboul, dans le sud de l’Afghanistan. À plusieurs reprises, les soldats américains vont cependant se rapprocher dangereusement. Au point qu’ils vont, par deux fois, entrer dans la maison où il vit. Ils vont pourtant repartir bredouilles. C’est ce que révèle, à la journaliste Bette Dam, Omari. Il est celui qui a suivi le mollah dans ses cachettes durant les 12 dernières années de sa vie. Omari, qui est aujourd’hui assigné à résidence par les services secrets afghans, raconte qu’il a vécu dans deux endroits à Zabul dit de Volkskrant. Il s’est caché dans une petite pièce, puis dans une remise. Aux deux endroits, il a dû faire face à des perquisitions par des soldats américains. Une fois il s’est caché à l’extérieur sous un tas de branches, une autre fois les Américains sont passés à côté de la pièce où il se trouvait, car ils n’ont pas remarqué la porte dérobée.

mollah Omar
mollah Omar© Belga

Durant plus d’une décennie, Omar ne se montrera jamais et n’aura pas de contact avec ses quatre femmes et ses enfants. Les dernières années de sa vie, il les passera à prier ou à regarder dans le vide. Seules trois personnes étaient restées près de lui: Omari, un chauffeur et un messager. Sa dernière cachette, où il serait mort de la tuberculose, ne se trouvait qu’à une heure de marche d’une base américaine.

Une guerre pour rien ?

Depuis 18 ans, l’Afghanistan est envahi par des troupes étrangères. Le but premier était de s’emparer d’Oussama ben Laden et de mettre fin au gouvernement des talibans. Deux choses que l’on a pratiquement systématiquement mises dans un même sac, mais qui sont pourtant distinctes.

Le mollah Omar, qui ne va prendre de l’ampleur en Afghanistan que parce que d’autres avaient créé le chaos, va, dès le début, développer un programme anti-pakistanais. « Pour moi, le mollah Omar est un villageois têtu qui préfère ne pas trop travailler avec des organisations qu’il ne connaît pas. Il n’avait pas d’agenda international pour le jihad « , dit encore Bette Dam dans De Standaard.

A voir ci-dessous >> Le dernier Calife d’Afghanistan : À la recherche du Mollah Omar.

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Au début, les Américains n’étaient d’ailleurs pas trop opposés aux talibans, parce qu’ils avaient ramené l’ordre dans le pays. Leur image va cependant progressivement changer suite à plusieurs reportages.

La plupart des journalistes étrangers avaient fui le pays et leurs homologues afghans travaillaient souvent clandestinement de peur d’être agressés. L’Afghanistan était encore classé en 2018 comme le pays le plus dangereux au monde pour les journalistes.

Elle est convaincue que l’image des talibans a en partie été nourrie par le manque d’informations. « Les journalistes venaient en Afghanistan pendant une semaine en sachant à l’avance quelle histoire faire. Ils ne prenaient pas le temps de vérifier si l’article était fidèle à la réalité. Il n’y avait plus aucun diplomate dans le pays. Du coup, les informations ne venaient que de sources secondaires ou de ceux qui avaient fui vers le Pakistan « , note Dam. Il est vrai que lorsqu’ils étaient au pouvoir, les talibans contrôlaient étroitement les médias.

Oussama ben Laden est arrivé en 1996 en Afghanistan. À l’époque, Ben Laden était déjà persona non grata dans de nombreux pays, parce qu’il était considéré comme le cerveau derrière beaucoup d’attaques terroristes. Selon des notes diplomatiques américaines, que Dam a pu voir, le mollah Omar aurait rencontré Oussama ben Laden tous les mois à Quetta ou dans les villages à la frontière pakistano-afghane. Sauf que, pour la journaliste, ce n’est pas vrai. Le mollah Omar n’aurait rencontré ben Laden qu’un an après son arrivée en Afghanistan et que pour lui dire de se tenir coi.

ben Laden
ben Laden © AFP

Le mollah Omar a peut-être livré la même bataille contre les Russes, mais il avait une idéologie différente de celle de ben Laden. Le mollah Omar avait un programme afghan. Ben Laden avait un programme Al-Qaïda. C’était une approche différente, un conflit différent « , dit encore Dam.

Toujours selon elle, les Américains ont rendu ben Laden plus important qu’il ne l’était à l’époque. Le fait est que cela a rendu la situation encore plus difficile pour le mollah Omar qui ne pouvait plus expulser l’homme d’Al-Qaïda du pays sous peine de voir sa propre étoile pâlir. Omar aura un temps l’intention de juger Ben Laden en Afghanistan. Il ira même frapper à la porte des États-Unis, sans succès, pour obtenir des preuves nécessaires à un procès.

Celui qui a été le chef des talibans de 1994, soit depuis la création du mouvement, jusqu’à sa mort en 2013, se fait remarquer par sa discrétion, quittant peu sa maison de Kandahar. Il va devoir plonger dans la clandestinité après l’opération Enduring Freedom et la défaite des talibans en octobre 2001. Dans sa volonté d’instaurer un état islamique strict, il fait fermer les écoles de filles, interdit aux femmes de se déplacer seules dans les rues sans être accompagnées par un homme, déclare illégales la musique, les cassettes vidéo, les photographies d’être vivant et la pratique du cerf-volant. Il instaure un régime basé sur la terreur en instaurant punitions brutales et exécutions publiques pour ceux qui ne partagent pas sa vision d’un islam strict. C’est lui aussi qui va ordonner la destruction desBouddhas de Bâmiyân

C’est cette absence de coopération internationale qui a renforcé auprès du mollah Omar l’idée que le monde occidental était partial et voulait voir disparaître les talibans en même temps qu’Al Qaïda. Une impression renforcée en 1998, lorsque des avions américains, suite à deux attentats meurtriers à Nairobi et en Tanzanie, ont bombardé des camps d’entraînement d’Al-Qaïda en Afghanistan. Ce n’est qu’à partir de ce moment, que le mollah Omar prend résolument la défense de ben Laden, car il pense que les Américains ont attaqué sans preuve. Bette Dam est convaincue que le mollah Omar ignorait tout des attaques du 11 septembre.

Lorsque, le 7 octobre 2001, le mollah Omar refuse une nouvelle fois d’expulser Oussama ben Laden, les Américains envahissent l’Afghanistan. Quelques semaines plus tard, Kaboul était entre leurs mains. C’est là qu’intervient un élément troublant. Bette Dam décrit dans son livre la dernière réunion des dirigeants talibans, le 5 décembre 2001, au cours de laquelle le mollah Omar apprend que les commandants talibans ne veulent plus combattre. Il cède dès lors le pouvoir au mollah Obaidullah et disparaît.

L'ancien secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld (ici en Irak, en 2004)
L’ancien secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld (ici en Irak, en 2004) © Reporters

Mais, alors que Karzaï annonce la bonne nouvelle à quelques journaux internationaux, il reçoit un appel téléphonique d’un Donald Rumsfeld furibond. Le ministre américain de la Défense exige que Karzaï retire ses paroles sur-le-champ : il ne voulait pas d’une simple reddition. Pour lui « les talibans et le mollah Omar étaient d’aussi grands ennemis des États-Unis qu’Al-Qaïda ». Entraînés par l’angoisse créée par les attentats du 11 septembre 2001, les talibans et Al-Qaïda vont être mis dans le même sac. Les talibans, qui avaient d’abord obtenu la clémence, vont être chassés comme du gibier.

Des supposés talibans
Des supposés talibans © Reuters

L’intervention des Etats-Unis en Afghanistan depuis 2001

Rappel des principales étapes de l’intervention militaire des États-Unis en Afghanistan alors qu’Américains mènent depuis l’été dernier des discussions directes pour tenter de mettre un terme à plus de 17 ans de guerre.

– Guerre contre le « terrorisme » –

Le 7 octobre 2001, moins d’un mois après les attentats du 11-Septembre aux Etats-Unis, le président américain George W. Bush lance une vaste offensive militaire en Afghanistan, après le refus du régime taliban de livrer le chef d’Al-Qaïda, Oussama Ben Laden. Quelques semaines suffiront à la coalition occidentale menée par Washington pour renverser les talibans. Outre l’opération aérienne, les Etats-Unis soutiennent l’avancée des Afghans de l’Alliance du Nord au moyen d’équipes paramilitaires de la CIA et de forces spéciales. Quelque 1.000 soldats américains sont déployés en novembre. Ils seront environ 10.000 l’année suivante.

– Une guerre oubliée –

La guerre en Irak en 2003 détourne l’attention de Washington de l’Afghanistan. Les talibans et d’autres groupes islamistes réapparaissent dans leurs bastions du sud et de l’est, d’où ils peuvent gagner les sanctuaires des zones tribales pakistanaises. En 2008, le commandement américain sur place réclame des moyens humains pour mener une réelle stratégie de contre-insurrection. Quelque 48.500 militaires sont envoyés sur le sol afghan.

– Un pic de 100.000 hommes –

En 2009, dans les premiers mois de la présidence de Barack Obama, élu sur la promesse de mettre fin aux deux guerres d’Irak et d’Afghanistan, le nombre de soldats américains avoisine 68.000 hommes. Le 1er décembre, Barack Obama annonce l’envoi de 30.000 soldats supplémentaires, afin de briser l’élan des talibans et de renforcer les institutions afghanes. La présence militaire étrangère culminera en 2012 avec plus de 150.000 hommes déployés, dont 100.000 Américains.

– Mort de Ben Laden –

Dans la nuit du 1er au 2 mai 2011, Oussama Ben Laden est tué lors d’une opération des forces spéciales américaines sur sa résidence à Abbottabad, au Pakistan, où il vivait caché.

– Fin des opérations de combat –

En 2014, l’Afghanistan signe un accord de sécurité bilatéral avec les États-Unis et un texte similaire avec l’Otan: 12.500 soldats étrangers, dont 9.800 Américains, resteront dans le pays en 2015, après la fin de la mission de combat de l’Alliance atlantique. Les troupes américaines sont chargées de la poursuite d' »opérations antiterroristes contre les restes d’Al-Qaïda » et de l’entraînement des forces afghanes. Fin décembre, la mission de combat de l’Otan prend fin, remplacée par une mission d’assistance baptisée « Soutien résolu ». Mais la situation sécuritaire se détériore nettement. En 2016, Barack Obama annonce le maintien de 8.400 soldats jusqu’à 2017.

Nouvelles troupes

Le 21 août 2017, le président Donald Trump, opérant une volte-face par rapport à de précédentes déclarations, annonce que les forces américaines resteront en Afghanistan jusqu’à nouvel ordre. Des milliers de soldats sont envoyés en renfort. En dépit de cette nouvelle stratégie censée amener les talibans à la table des négociations, les mois suivants sont marqués par une intensification d’attaques meurtrières, notamment contre les forces afghanes. Les Etats-Unis multiplient eux aussi multiplier les frappes aériennes contre les insurgés.

– Pourparlers –

A l’été 2018, Washington et des représentants des talibans engagent discrètement des discussions directes à Doha, où le groupe dispose d’un bureau politique. En décembre, le président américain annonce son intention de retirer la moitié des 14.000 soldats américains déployés en Afghanistan.

« Sur la bonne voie » –

Après six jours de négociations fin janvier 2019, l’émissaire américain Zalmay Khalilzad affirme que les négociations sur la paix sont « sur la bonne voie », mentionnant une « ébauche » d’accord. Parallèlement, le président afghan Ashraf Ghani appelle les talibans à « engager des pourparlers sérieux » avec le gouvernement de Kaboul, mais le groupe insurgé refuse obstinément de discuter avec ceux qu’il qualifie de « marionnettes » de Washington.

La stratégie guerrière élaborée à l’époque ne sera jamais corrigée au cours des 18 dernières années. Pendant tout ce temps, le mantra occidental restera que « nous n’avions d’autre choix que de lutter contre ces talibans qui refusaient de se rendre ». Certains prétendent que les États-Unis maintiennent cette guerre pour aider l’industrie du pétrole et des armes, mais pour Bette, c’est plus la façon dont les décisions ont été prises à Washington qui devrait être remise en cause. Après le choc du 11 septembre 2001, on a tout simplement ignoré toute voie diplomatique. Ce qui fait que le département d’État, responsable de la politique étrangère, ignorait le fait que les talibans voulaient se rendre. Ce n’est que des années plus tard qu’il l’a découvert. Si cela avait été le cas, l’on n’aurait peut-être pas mené cette guerre qui aurait semblé bien inutile.

Avec l’AFP, De Standaard et Volkskrant.

L’Afghanistan: 40 ans de conflits, toujours pas d’issue

Retour sur les principales étapes du conflit afghan depuis le début de l’invasion soviétique en 1979 jusqu’à aujourd’hui.

– 1979-89: occupation soviétique –

En décembre 1979, Moscou déplace le front de la Guerre froide en envahissant ce pays pauvre, reculé et montagneux à la lisière de l’Asie du Sud et du Moyen-Orient, afin de le garder dans le giron communiste. Les résistants afghans, soutenus par l’Occident mené par les États-Unis, harcèlent l’Armée rouge qui finit par quitter le pays en février 1989.

– 1992-96: le temps des guerres civiles –

En 1992, la chute du gouvernement communiste du président Najibullah donne le départ d’une sanglante guerre civile entre factions afghanes qui fera en deux ans près de 100.000 morts et détruira en partie la capitale, Kaboul. A partir de 1994 émergent du Sud afghan les talibans, combattants islamistes fondamentalistes soutenus par le Pakistan.

– 1996-2001: sous la férule des talibans –

Les talibans prennent le pouvoir à Kaboul et installent un régime fondé sur une interprétation rigoriste de la loi islamique, qui interdit notamment l’éducation et le travail des femmes, les oblige à se couvrir intégralement en public et bannit la musique et les loisirs.

Sanctionné par l’ONU, le régime taliban, dirigé par le mollah Omar, se rapproche d’Al-Qaïda et accueille son chef Oussama Ben Laden.

– Fin 2001: invasion occidentale –

L’opération est menée par les États-Unis en représailles après les attentats du 11-Septembre perpétrés par Al-Qaïda. Washington et ses alliés de l’Otan chassent les talibans, installent Hamid Karzaï au pouvoir, injectent des milliards de dollars d’aide pour reconstruire le pays et y déploient jusqu’à 150.000 soldats pour aider le gouvernement afghan à le sécuriser. Les talibans se cachent ou fuient dans les pays voisins, notamment au Pakistan, puis relancent la rébellion contre Kaboul et l’Otan.

– 2014: retrait de l’Otan –

La force de combat de l’Otan (Isaf ou International security assistance force) plie bagages après 13 ans de conflit, avec un bilan mitigé en raison de la pression toujours intense de l’insurrection des talibans. L’Otan reste en Afghanistan avec la mission « Soutien résolu », mais les talibans continuent d’engranger des victoires militaires. Les attentats sanglants se multiplient, notamment à Kaboul. La population civile paie un lourd tribut, surtout depuis l’apparition en 2015 du groupe jihadiste Etat islamique (EI).

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