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14-18 : le poids des manuels scolaires

Le Vif

Après avoir été pensée, préparée et théorisée dans les états-majors par le futur envahisseur allemand avant 1914, la guerre devient après l’armistice un nouveau chapitre des manuels scolaires à enseigner dans chaque classe à travers tout le pays. Au fil du temps, le ton va évoluer.

Entre les armes et les manuels scolaires, n’y aurait-il qu’une distinction d’ordre cosmétique ? Ceux-là ne seraient-ils pas les préludes à celles-ci ? Armer les jeunes esprits à coups de discours bellicistes ou nationalistes, exaltant les héros et les martyrs du passé, n’est pas une pratique neuve. Il suffit de songer aux manuels d’Ernest Lavisse, incarnant l’histoire positiviste et hégémonique dans la France de l’après-1870. Leurs relents patriotiques ont rempli l’esprit de nombreux jeunes cerveaux qui ne demandaient qu’à s’enflammer – la fleur au fusil ! – lors de la déflagration de l’été 1914. Dans quelle mesure l’école a-t-elle pu préparer les esprits à la guerre ? C’est une des questions qui se poseront à l’issue du conflit.

HENRI PIRENNE MONTE AU CRÉNEAU

Après 1918, la Société des Nations fait porter une part de sa réflexion sur l’éducation à l’échelle internationale. Empêcher de futurs conflits, c’est aussi priver les instituteurs d’envolées trop lyriques. En Belgique, certains historiens et auteurs de manuels monteront cependant au créneau afin de critiquer l’ingérence de la SDN mais aussi de la Dotation Carnegie, bailleuse de fonds américain finançant de manière systématique la défense de la paix par le droit en Europe.

Ainsi, Henri Pirenne, président du Comité international provisoire des sciences historiques, réuni à Bruxelles en 1923, n’est guère enclin à pardonner à l’Allemagne – après avoir passé plus de deux ans en captivité. Symbole et presque preuve vivante qu’une âme belge peut exister – doit exister -, Henri Pirenne est alors un augure vers lequel tous les historiens d’Arlon à Ostende se tournent pour trouver leur salut.

Pour sa part, Frans Van Kalken, professeur à l’université libre de Bruxelles, libéral bon teint, collaborateur au Soir, belgicain sans complexe, très bruxellois et grand ordonnateur intellectuel des célébrations du centenaire de la Belgique en 1930, auteur de nombreux manuels d’histoire de Belgique destinés aux écoles primaires, ne manque pas de s’opposer aux pédagogues pacifistes ou techniciens de la SDN qui estiment certains manuels belges trop patriotiques.

14-18 : le poids des manuels scolaires
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Selon lui, dans la lignée déjà bien ancrée avant 1914 par Henri Pirenne et son Histoire de Belgique, l’histoire internationale ne peut faire l’économie d’une formation de base dont le cadre est l’histoire nationale. Celui d’une Belgique dont l’unité demeure comme une évidence, confirmée par son attitude durant la guerre, une unité qui chemine du haut Moyen Age jusqu’en 1830, passablement ébréchée par l’effloraison des mouvements flamand et wallon à partir de 1880 mais qui reçoit une nouvelle vigueur en 1914. Nombre d’historiens n’hésitent pas à critiquer le pacifisme angélique – et porteur de futurs malentendus sur les  » atrocités  » d’août 1914 – des pédagogues affidés à la SDN de  » Genève « .

TON PLUS PACIFISTE

Dans les premiers manuels, l’Allemagne est désignée comme la principale et unique responsable. Le vocabulaire est explicite dès lors qu’il s’agit de dénoncer les agissements de ceux que l’on qualifie de  » Boches « . Durant les premières années de l’après-guerre, rien ou presque ne distingue les manuels francophones de leurs homologues néerlandophones. On dénonce le rôle de l’envahisseur dans les massacres de civils et les petits écoliers se voient proposer de nouveaux héros auxquels rendre hommage. Mais la place n’est pas uniquement réservée aux militaires. Dans ce nouveau panthéon, le roi Albert, la reine Elisabeth mais aussi les patriotes Gabrielle Petit et Philippe Baucq, sans oublier l’héroïque Edith Cavell, figurent en bonne place.

Après la conclusion des accords de Locarno en 1925, ce discours très dur laisse progressivement la place à un ton plus pacifiste qui n’exclut toutefois pas la persistance d’un ton nationaliste jusqu’au second conflit mondial. Le chemin est encore long avant de voir les manuels s’inscrire durablement dans un message porteur de paix.

Vincent Genin

Le rapport Van Kalken

Professeur à l’université libre de Bruxelles et pionnier de l’histoire dite contemporaine en Belgique – celle qui étudie l’après-1789 – Frans Van Kalken (1881-1961) est avant tout un spécialiste des premiers temps de la Belgique, celle qui s’est affranchie de la tutelle hollandaise. Auteur de nombreux manuels scolaires, certes ouvert à l’internationalisme, il estime néanmoins que l’histoire nationale doit occuper une place centrale dans l’enseignement.

Le rapport qu’il publie en 1933, au nom du Comité national belge des sciences historiques, conteste un trop grand poids de la  » morale internationale  » dans les cours, avant tout destinés à définir la notion de  » patrie « . Tancé par la Dotation Carnegie, Van Kalken considère la Grande Guerre comme  » le chapitre le plus intensément belge de notre histoire  » et fustige les  » campagnes d’épurations internationales « . On ne s’étonnera pas de le voir en 1939 parmi les cent académiques belges signataires d’un texte paru dans Le Flambeau, en faveur de la neutralité retrouvée non sans rappeler le penchant affectif qu’il faut conserver à l’égard des alliés d’hier.

Toujours sceptique à l’égard des  » apaiseurs  » à tendance ultrapacifiste d’après-1945 – à ses yeux une démarche plus idéologique que scientifique -, il manifesta son inquiétude à l’Unesco en 1950 mais aussi à la réunion de Brunswick de 1954, dans un climat où la fraternisation européenne amenait à considérer certains historiens comme des oiseaux de mauvais augure.

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