Explosion d'une bombe à Derry, en Irlande du Nord. © AFP

Le Brexit et une bombe ravivent la crainte des « Troubles » à Londonderry

Le Vif

Depuis l’explosion d’une voiture piégée samedi à Londonderry, en Irlande du Nord, les habitants craignent une nouvelle flambée de violence venant des groupes paramilitaires, en pleine tension sur le Brexit.

« Cette histoire de Brexit et de retour de la frontière, ça tombe à pic pour fournir une bonne excuse aux activistes », estime Eamon Melaugh. « Ca leur donne des munitions, sans mauvais jeu de mot, pour lancer une nouvelle campagne ». Cet homme de 86 ans habite dans un foyer en face du tribunal de Londonderry où a lieu l’explosion.

Située à la frontière avec la République d’Irlande, Londonderry, aussi appelée Derry, est tristement célèbre pour le « Bloody Sunday » du 30 janvier 1972. Des soldats britanniques avaient alors ouvert le feu sur des participants à une marche pacifique, faisant 14 morts, au plus fort des « Troubles », ces violences entre républicains nationalistes et loyalistes unionistes qui ont fait quelque 3.500 morts en trois décennies.

Les policiers, prévenus à l’avance, avaient déjà évacué le quartier, bondé le samedi soir, lorsque le véhicule piégé a explosé sans faire de victimes. Mais la nuit suivante a été chaotique, avec trois fausses alertes à la voiture piégée. La police a fait exploser l’un des véhicules et arrêté cinq hommes, tous libérés depuis.

Mardi, les traces de l’explosion étaient encore visibles. La police soupçonne le groupe dissident républicain Nouvelle IRA.

– ‘Mauvais jours »

« Les hommes politiques en Angleterre, surtout les conservateurs, devraient comprendre que c’est un avertissement. Mais ils sont tellement emberlificotés dans le Brexit qu’ils n’ont pas le temps » d’y penser, estime Eamon Melaugh.

L’accord de retrait de l’UE conclu par le gouvernement conservateur de Theresa May avec Bruxelles prévoit un dispositif censé empêcher le retour d’une frontière physique entre les deux Irlande. Mais le texte a été rejeté massivement par le parlement et son sort est depuis incertain, à un peu plus de deux mois du Brexit, prévu le 29 mars.

« Les gens sont très frustrés, ils ont peur de revenir à ce qu’on appelle « les mauvais vieux jours », ajoute ce militant républicain. Il fut l’un des organisateurs de la marche des droits civiques du 5 octobre 1968 qui marqua le début des « Troubles ».

Avec le statut constitutionnel de l’Irlande du Nord remis à l’ordre du jour par le Brexit, les experts en sécurité redoutent que les groupes paramilitaires hostiles aux accords de paix du Vendredi Saint, conclus en 1998, ne redeviennent actifs.

« Les gens sont préoccupés, évidemment, ils ont peur que tout recommence –et nous ne voulons pas de ça! », s’exclame Finnula McMonagle, 54 ans, qui tient un salon de coiffure.

Pour elle, nul doute que les turbulences du Brexit aient revigoré les paramilitaires. « Ils veulent montrer qu’ils sont toujours là et qu’ils ne vont pas accepter n’importe quel accord », estime-t-elle.

– Ville endurcie –

Les forces de l’ordre tentent de calmer ces craintes: « Nous ne pensons pas que ce soit lié au Brexit », dit le commissaire Gordon McCalmont. « Cela fait un an ou deux que la menace de violence est très réelle pour nous », ajoute-t-il.

Son commissariat est hérissé de fortifications, une vision inhabituelle en Grande-Bretagne, et un rappel que Londonderry a été endurcie par les Troubles.

« Nous ne voulons pas retourner au passé. Je ne pourrais pas le supporter », dit Anne McWilliams, une retraitée qui se promène dans le quartier du tribunal. « Je ne voudrais pas que les jeunes aient à endurer ce par quoi nous sommes passés ».

La police armée patrouille encore les rues dans des Land Rovers blindées et des barrages ont été érigés à la suite des alertes de sécurité. Mais il faut plus qu’une explosion pour paniquer des habitants qui ont connu des années de violences dans un passé pas si lointain.

« Elle était pas bien grosse, cette bombe », relève Melaugh, en arpentant d’un pas nonchalant la rue noircie par l’explosion.

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