La centrale de Borssele repeinte par Greenpeace © AFP

Des centrales nucléaires pour sauver le climat ?

Muriel Lefevre

Les Pays-Bas voudraient construire une nouvelle centrale nucléaire. Cette décision, tel un lapin blanc sorti d’un chapeau, serait la seule façon de respecter les objectifs de l’accord de Paris. Vraiment ?

Alors que partout en Europe, on vise plutôt la sortie du nucléaire, nos voisins bataves semblent se lancer dans le cheminent inverse. Dijkhoff, le chef de file du VVD, le parti libéral hollandais, a jeté comme un froid lorsqu’il a annoncé dans les colonnes du Nieuwsuur que les Pays-Bas devraient réinvestir dans l’énergie nucléaire. Il le martèle: si l’on souhaite vraiment répondre aux objectifs fixés pour le climat à Paris, sans l’énergie nucléaire, point de salut. « Aucune chance d’être climatiquement neutre sans cela. Et en ce qui me concerne, je souhaite qu’on entame au plus vite sa construction », conclut-il encore.

Le rapport du Giec paru en octobre préconise des transformations sans précédent à l’échelle mondiale si l’on veut faire baisser les émissions à effet de serre

Pour qu’il y ait un recul massif d’émissions, il faudra « une transition rapide et de grande portée en matière d’énergies, d’usage des sols, de transports, bâtiment et systèmes industriels », un mouvement « sans précédent » car impliquant tous ces secteurs à la fois. Les énergies renouvelables devraient passer de 20 à 70% de la production électrique au milieu du siècle, la part du charbon serait réduite à poussière, la demande d’énergie devra baisser, l’efficacité énergétique croître… L’industrie devra réduire ses émissions de CO2 de 75-90% d’ici 2050 par rapport à 2010 (comparé à 50-80% pour 2°), les transports passer aux énergies bas carbone (35-65% en 2050 contre moins de 5% en 2020). Selon le rapport, quelque 2.400 mds de dollars d’investissements annuels seront nécessaires entre 2016 et 2035 pour la transformation des systèmes énergétiques, soit 2,5% du PIB mondial. Un coût qu’il faut mettre en regard avec le coût, bien plus élevé, de l’inaction, soulignent les scientifiques.

Une sortie qui peut surprendre, mais qui ne sort pas de nulle part puisqu’elle s’appuie sur une étude du renommé Massachusetts Institute of Technology parue en septembre dit De Standaard. Celle-ci démontrait que sans l’énergie nucléaire, les problèmes climatiques seraient encore beaucoup plus difficiles et coûteux à résoudre. Or il se trouve que les Pays-Bas ont longtemps été les mauvais élèves de l’Europe avec des investissements dans les énergies renouvelables à la traîne. Les éoliennes ont toujours été violemment conspuées par une bonne partie de la population et on s’est trop longtemps contenté de l’importante réserve de gaz naturel situé à Groningen. Mais les choses changent. Suite à un long mouvement de révolte citoyen, le robinet de cette réserve de gaz que l’on pensait intarissable va se fermer et le gouvernement n’a d’autre choix que de s’atteler, dans l’urgence, à un véritable et ambitieux plan climatique.

Les émissions de gaz à effet de serre devront être réduites de moitié, par rapport à 1990, d’ici 2030. D’ici 2050, celles-ci devraient même être réduites de 95 %. Suite à un jugement, le gouvernement a même été condamné, en appel, à réduire ses émissions de 25 % d’ici 2020. Cela sanction est la conclusion d’une procédure historique intentée par une ONG Urgenda, active dans la défense de l’environnement, qui représentait 900 Néerlandais. La Cour d’appel de La Haye a affirmé que l’Etat agissait « illégalement » et faisait « trop peu pour prévenir un changement climatique dangereux ». Les Pays-Bas sont en effet particulièrement vulnérables aux conséquences du changement climatique, une partie du pays se trouvant en dessous du niveau de la mer.

Produire de l’électricité avec des centrales nucléaires a des inconvénients non négligeables comme le risque d’une perte de contrôle des réacteurs (une catastrophe nucléaire), la difficile gestion des déchets radioactifs (qui sont nombreux et polluent les sols durant des millénaires) et une certaine dépendance vis-à-vis des fournisseurs. Mais elle a aussi, n’en déplaise à certains, l’avantage de fournir une électricité abondante et des centrales qui ont un très faible impact sur le climat (pratiquement pas d’émissions). Donc, contrairement à une croyance bien ancrée, les centrales ne contribuent pas, en tant que telles, massivement à l’effet de serre. L’énergie nucléaire pourrait, dans certains mix énergétiques, se révéler être une des solutions envisageables (ni la meilleure, ni la plus mauvaise) pour la fourniture d’une électricité climato-compatible selon le Giec. On notera cependant aussi que le temps d’implémentation de telles centrales ne permet pas d’offrir une solution suffisament rapide pour répondre à l’urgence climatique d’aujourd’hui.

Suite à ce coup de pression, les négociations vont bon train et un plan de route devrait être prêt d’ici la fin de l’année. Le gouvernement néerlandais a déjà annoncé en mai son intention de fermer les deux plus anciennes centrales à charbon du pays d’ici 2025. On a donc un gouvernement de plus en plus aux abois qui tente visiblement de se montrer créatif. La sortie de

Dijkhoff a cependant surpris puisque l’énergie nucléaire n’est pas officiellement sur la table des négociations, et elle n’était pas non plus, jusqu’à hier, un sujet de discorde au sein de gouvernement. Car deux des partis, le D66 et ChristenUnie, sont radicalement contre. Même pour le ministre du climat Eric Wiebes (VVD), pourtant membre du parti Dijkhoff, il n’est pas question d’une nouvelle centrale nucléaire dans l’immédiat. Cela surprend d’autant plus que les Pays-Bas n’ont jamais fait beaucoup d’efforts dans le domaine de l’énergie nucléaire qui ne représente que quelques pour cent dans le bouquet énergétique. La centrale de Dodewaard est fermée depuis vingt ans. Une autre, celle de Borssele, aurait dû être fermée en 2003, mais a tout de même été prolongée jusqu’en 2033, même si elle tombe en panne régulièrement.

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Ce manque d’enthousiasme devrait aussi refroidir de potentiel investisseur, car construire une centrale coûte cher. Les coûts d’investissement pour une nouvelle centrale nucléaire coûtent 7 millions d’euros par mégawatt, tandis qu’une centrale à gaz peut déjà être mise en service pour 0,8 million. Même l’éolien offshore est nettement moins cher avec un coût de 3 millions d’euros par mégawatt. Ce coût exorbitant explique aussi pourquoi il n’y a que peu de nouvelles centrales qui sont construites en Europe. Seule EDF en construit encore. Une à Flamanville en Normandie, une autre à Hinkly Point en Angleterre et une troisième en Finlande. Des constructions émaillées de nombreux contretemps qui font exploser encore un peu plus la note. D’autant plus qu’on estime qu’il faut 10 à 15 ans avant qu’une centrale ne soit opérationnelle. Aux États-Unis aussi on a fermé des centrales, car celles-ci n’étaient pas rentables bien que deux nouvelles soient en construction.

Pas de quoi décourager tout le monde cependant puisqu’on estime que 150 sont en ce moment en constructions dans le monde (surtout en Asie et pas moins de 13 en Chine et 7 en Inde) et 300 autres sont en projet. L’Agence internationale de l’énergie a calculé que la capacité nucléaire totale augmentera d’un quart d’ici 2040.

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