Le quartier Notre-Dame à Paris, emblématique de la propagation d'Airbnb. © PETER KNEFFEL/REPORTERS

« Avec Airbnb, certains quartiers perdent leur identité »

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Que la Commission européenne laisse au moins les villes se doter des outils de régulation, plaide Ian Brossat, adjoint au logement de la mairie de Paris, qui redoute le lobbying de la plateforme américaine.

an Brossat est adjoint au logement de la mairie de Paris, élu du Parti communiste. Il est un des principaux acteurs d’une coalition de villes (Paris, Amsterdam, Barcelone, Berlin, Madrid, Lisbonne) qui entend réguler les plateformes de location touristiques et rencontrera, à cet effet, la commissaire européenne à la protection des consommateurs, Vera Jourova, le 24 septembre. Une idée de l’impact d’Airbnb et de ses consoeurs ? En cinq ans à Paris, selon Ian Brossat, 20 000 lieux ont été détournés de leur vocation initiale de logement pour servir de locations touristiques régulières.

Parmi vos propositions pour réguler Airbnb figure l’interdiction de ce genre de locations dans le centre historique de Paris. Pourquoi ?

Le préjudice au logement des locations touristiques est particulièrement critique dans les arrondissements du centre : 28 % des logements n’y servent plus à héberger des Parisiens. Cette situation a des conséquences. Les commerces d’alimentation sont remplacés par des négoces de vêtements appartenant à de grandes enseignes. Certains quartiers perdent leur identité. Une école a dû fermer ses portes en cette rentrée, dans le IIIe arrondissement, rue Brantôme. La question est : nos villes ont-elles encore vocation à être habitées ou vont-elles devenir des Disneyland pour touristes ?

Dans certaines villes des Etats-Unis, Airbnb s’est pliée aux nouvelles réglementations concernant les locations touristiques. Comment expliquer l’acharnement à s’y soustraire en Europe que vous décrivez dans votre livre Airbnb, la ville ubérisée (éd. La ville brûle, 160 p.) ?

Ces régulations ont été obtenues au forceps et grâce à une mobilisation extrêmement rude des villes concernées, San Francisco ou New York. Néanmoins, il est possible qu’Airbnb se braque sur le dossier de Paris parce qu’elle a plus à y perdre. Elle y fait un chiffre d’affaires énorme.

© REPORTERS

Craignez-vous le poids du lobbying d’Airbnb sur les autorités européennes ?

Je l’ai éprouvé en France. Nous avons obtenu une loi, en 2016, qui oblige la plateforme américaine à retirer ses annonces illégales. Elle a fait un tel lobbying que le décret d’application prévoyant des sanctions n’a pas encore été publié. Notre crainte, soulevée à l’origine par Amsterdam, est que, s’appuyant sur la directive e-commerce qui reconnaît la responsabilité des propriétaires et pas celle des plateformes, la Commission européenne finisse par retoquer nos législations locales. Dans l’idéal, j’aimerais qu’elle travaille à cette régulation parce que l’Europe est le bon échelon. A défaut, qu’elle laisse au moins les villes se doter des bons outils. Les municipalités ont mis en place des mesures par voie démocratique. Il serait quand même scandaleux que la Commission européenne nous empêche de faire ce pour quoi nous avons été élus. Je suis tout de même confiant parce que la prise de conscience du danger des plateformes a énormément grandi ces dernières années et que les politiques de régulation n’ont cessé de gagner du terrain. On est sorti de la fascination naïve de ces géants d’Internet.

Pourquoi Bruxelles ne figure-t-elle pas dans votre coalition ?

La demande ne nous a pas été faite. Mais si ses élus sont inquiets et considèrent que cela peut être utile, nous serons très heureux de travailler avec eux.

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