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Un risque d’hétacombe plane sur les forêts de pins millénaires au Chili (en images)

Le Vif

Giflé par le vent et le froid, dans cette région des Andes de la province de l’Araucaria, à 600 km au sud de Santiago, où ces arbres poussent entre 1.000 et 1.700 mètres d’altitude, le sexagénaire montre un géant tombé pendant l’hiver. « Il est bien difficile de dire l’âge de ces araucarias », dit-il à l’AFP.

L' »Araucaria araucana », déclaré patrimoine national en 1976, est un arbre sacré pour les Indiens du pays. Ce conifère aux longues branches horizontales peut mesurer jusqu’à 60 mètres de haut et trois mètres de diamètre, et son origine remonte à environ 260 millions d’années.

A Quinquen, à peine 40% des forêts de pins du Chili ont été entièrement épargnées par l’homme, raconte Ricardo Meliñir, 63 ans, « lonko » (chef) de la communauté des « Pehuenches » ou « Pewencheés », qui tirent leur nom du « pehuén », le fruit de l’arbre. Les Pehuenches ont dû se battre à la fin de la dictature militaire d’Augusto Pinochet (1973-1990) pour récupérer leurs terres, occupées un temps par des entreprises forestières qui, selon le ministère de l’Environnement chilien, ont fait disparaître 30.000 hectares de pins du Chili entre 1930 et 1970.

Contre-la-montre

Aujourd’hui, ces arbres, appelés « tours du Chili » par le poète chilien et prix Nobel de Littérature Pablo Neruda dans son Ode à l’Araucaria, sont plus vulnérables que jamais. Le changement climatique favorise les incendies et la destruction de la forêt originelle. Les feux sont de plus en plus fréquents. En 2015, l’un a ravagé plus d’un demi-million de pins du Chili dans la réserve nationale China Muerta. Ces arbres sont aussi victimes de leur succès: l’extraction massive de pignons, prisés des gastronomes, les affaiblit.

Et ils sont terrassés depuis quelques années par une nouvelle maladie. Les chercheurs se livrent à une course contre-la-montre pour tenter d’endiguer sa propagation. Les causes semblent plurielles: un stress environnemental lié au manque de pluie et l’apparition d’un ou plusieurs champignons qui assèchent les branches et finissent par tuer l’arbre.

Pas moins de 90% des pins du Chili sont touchés, selon une étude d’une université californienne lancée en 2016 et dont les premiers résultats ont été publiés dans le quotidien chilien El Mercurio. Et sur ces arbres malades, environ 2% sont déjà morts.

Le danger d’une hécatombe forestière plane d’autant plus que le pin du Chili grandit très lentement et nécessite la coexistence d’arbres mâles et femelles pour être pollinisé par l’action du vent et se reproduire: les Araucarias possèdent des fleurs mâles de couleur brun foncé, qui se trouvent à l’extrémité des branches, et des femelles, une sorte de cônes vert jaunâtre.

Arbres « amoureux »

Les deux « tombent amoureux », comme le dit joliment Ricardo Meliñir, au printemps boréal. Les fruits apparaissent en mars, jusqu’aux premières chutes de neige en avril. Et il faut attendre entre 20 et 25 ans pour que l’arbre donne ses premières graines. L’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) considère le pin du Chili comme étant une espèce « en danger » et l’a inscrit comme tel sur sa liste rouge.

Rubén Carrillo, chercheur à l’Université de la Frontera, presse les autorités chiliennes d’acter dans les textes officiels le fait que cette espèce de conifères est menacée, alors que toutes les démarches requises ont été faites pour le certifier. « Il ne manque plus que la publication du décret au Journal officiel! », s’insurge l’universitaire.

Ces dernières années, les forêts de cette espèce originaire du sud du Chili et de l’Argentine ont été réduites à quelque 260.000 hectares, côté chilien, selon Ruben Carillo, alors qu’il y avait 500.000 hectares de pins du Chili à l’arrivée des colons européens au 16e siècle. Rien qu’entre 1975 et 2000, la superficie des forêts originelles d’araucarias a diminué de 67%, selon le ministère de l’Environnement.

Pignons grillés

Un recul qui inquiète la communauté autochtone, soit environ 200 personnes aujourd’hui qui portent toutes le nom de Meliñir et vivent dispersées dans la zone, le premier territoire indien de conservation mis en place au Chili, sur environ 10.000 hectares. « Le pignon est notre unique moyen de subsistance, la seule agriculture que nous ayons ici », explique le cuisinier René Meliñir, fils de Ricardo.

A partir de ce petit fruit allongé, on peut faire de la farine, des boissons, on peut le déguster grillé dans des plats. Les adeptes de la « cuisine fusion », notamment, les utilisent dans des confitures et des tartes salées ou sucrées. « Ce pignon contient beaucoup de protéines et de calories, il n’a ni sodium, ni gluten, ce qui le rend plus sain », dit René Meliñir.

A l’ombre de l’araucaria, la communauté de Quinquén veut s’ouvrir à l’écotourisme pour diversifier ses maigres revenus tirés de l’agriculture et de l’élevage. Une coopérative locale avec une quinzaine de membres a été lancée récemment, explique Alex Meliñir, son président. Avec un seul souhait: vivre en harmonie avec l’environnement, comme l’ont fait les ancêtres.

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