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Sport, culture, économie… A-t-on enfin retrouvé l’ambition belge ?

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Après les exploits des Diables et de nos athlètes, notre pays croit à nouveau en ses talents pour redorer son blason. Les projets foisonnent, dans tous les domaines : Tour de France 2019, présence aux Nations unies, capitale culturelle de l’Europe… Un réveil certes fragile et éclaté. Mais qui fait du bien !

On avait laissé la Belgique déchirée par les attentats du 22 mars 2016, montrée du doigt pour l’échec de sa politique migratoire et malmenée par un Belgium bashing persistant venu de l’étranger. Bruxelles, sa capitale mal aimée en Flandre et en Wallonie, était raillée pour son incapacité à prendre les problèmes à bras-le-corps, à l’image de ces ponts et tunnels s’écroulant de partout.  » Il n’y a plus d’ambition belge « , scandait même il y a un an, pile, dans Le Vif/L’Express, Rudi Vervoort, un ministre-président bruxellois (PS) fâché par l’incapacité de parvenir à un accord sur la construction d’un stade national en vue de l’Euro 2020. Paralysé par sa complexité institutionnelle, notre pays cultivait décidément une bien mauvaise réputation.  » Il y a un frémissement, reconnaît Rudi Vervoort, douze mois plus tard. On retrouve des ambitions. Mais nous devons tous être conscients qu’on ne les concrérisera que dans le dialogue et avec de réelles impulsions au niveau du pouvoir fédéral…  »

En tout cas, voilà déjà, en effet, cette même Belgique, à l’issue de cet été 2018, bien plus fringante, revigorée par les succès sportifs des Diables Rouges et de nos athlètes. Chose impensable il y a peu, on a vu refleurir dans la presse, en juillet et août, ce mot au coeur des éditoriaux :  » ambitions « .  » Oui, il y a un effet Diables Rouges « , reconnaissent tous les interlocuteurs que nous avons consultés, deux mois après l’épopée russe de l’équipe nationale belge de football. Le Vif/L’Express a tenté d’illustrer les effets de cette fierté retrouvée dans différents secteurs de la société, du sport à l’économie en passant par la culture. Avec ce constat à la clé : les heures pénibles du terrorisme et les affrontements stériles ont visiblement servi d’électrochoc à une population en quête de projets. La marque  » Belgique  » est de retour. Même si ce renouveau, forcément fragile, n’empêche pas le plafond du palais de justice de bruxelles de s’effondrer, ni les bouchons sur les routes d’assombrir notre quotidien.

Les exploits sont possibles, pour autant qu'on s'en donne les moyens.
Les exploits sont possibles, pour autant qu’on s’en donne les moyens.© PHILIPPE CROCHET/belgaimage

1. En sport : « L’ambition passe par des valeurs et de la fierté »

La troisième place des Diables Rouges à la fin d’un parcours salué de toutes parts lors de la Coupe du monde de football en Russie et une moisson inespérée de médailles aux championnats d’Europe d’athlétisme ont bel et bien réveillé les esprits : oui, la Belgique est capable de grandes choses.  » Pour autant qu’elle s’en donne les moyens, ce qui n’est pas toujours le cas « , nuance Jacques Borlée, un coach fier d’avoir ramené avec ses enfants la bagatelle de 37 médailles internationales.

L’homme ne laisse rien au hasard et raconte combien cette récolte a requis toute son énergie depuis des années.  » Concrétiser une telle ambition, c’est très compliqué, nous dit-il. Parce qu’en sport, vous devez tous les jours être à 100 %, avec calme et sérénité. Il faut porter des valeurs fortes, cultiver le sens de la fierté et du respect, créer de la confiance et mettre en place un cercle vertueux au centre duquel se trouve l’athlète. Et cela, chez nous, indépendamment des trop nombreuses structures. Alors, seulement, il est possible de définir ses objectifs et de se doter de tous les moyens pour les accomplir.  » Un parcours du combattant.

Pour y arriver, quand on est Belge, il est souvent nécessaire de s’exiler temporairement – comme les Borlée l’ont fait aux Etats-Unis – ou de compter sur des expertises venues de l’étranger.  » La grande difficulté en Belgique, ce sont les infrastructures obsolètes, explique Jacques Borlée. Un autre handicap, c’est l’absence d’un esprit suffisamment ouvert pour définir l’ambition, par-delà les luttes de chapelles, d’ego et les querelles communautaires. Voilà pourquoi tant le Comité olympique que la Fédération belge de football sont tenus d’aller chercher un Allemand ou un Espagnol pour tracer le chemin de l’ambition, dans le calme et la sérénité.  »

Le coach d’athlétisme en veut pour preuve la décision difficile prise par l’entraîneur des Diables Rouges, Roberto Martinez, d’écarter Radja Nainggolan avant le tournoi en Russie :  » Le monde journalistique s’est alors mis à déconner ! Je l’ai dit à l’époque sur ma page Facebook : un coach est là pour prendre ses responsabilités, imposer ses valeurs et, le cas échéant, écarter ceux qui ne les partagent pas… Nous manquons chez nous de culture sportive, de notion de la performance et du rationalisme le plus élémentaire.  » Pour développer un projet susceptible de recueillir des médailles, témoigne Jacques Borlée, il faut surmonter bien des obstacles, lutter contre les réticences et les replis sur soi, pour créer l’exploit.  »

Et si les médailles décrochées cet été à Berlin par les frères Borlée sur 400 m, Nafissatou Thiam à l’heptathlon ou Koen Naert sur le marathon nous ont fait rêver, il ne faut pas s’arrêter en si bon chemin.  » Pour le moins, dans deux ans, aux Jeux olympiques de 2020, à Tokyo, la Belgique doit viser douze médailles, le double de celles obtenues à Rio, en 2016, estime Jacques Borlée. Pour y arriver, dans notre pays compliqué, il faudra faire en sorte que toutes les institutions impliquées mettent l’athlète au centre.  » Voilà ce qu’il appelle une saine ambition.

Bart Verhaeghe, vice-président de l’Union belge de football et chef de la délégation, ne tenait pas un discours différent à nos collègues de Sport/Foot Magazine, cet été depuis Moscou.  » Un événement positif dans notre pays sert souvent de catalyseur pour faire changer les choses, soulignait-il. C’est alors que l’on peut élaborer un plan. Avec des candidats compétents pour le mettre à exécution. Pas nécessairement des Belges. Car je savais que si nous avions continué avec une sorte de « Wilmots II », nous serions retombés dans une politique et une mentalité de clocher.  » Autrement dit : si le successeur de Marc Wilmots avait été Flamand, les francophones ne lui auraient rien laissé passer ; pareil côté flamand s’il avait été francophone. Bref, le recrutement de l’Espagnol Martinez n’était pas un hasard.

Il y a bien eu un effet Diables Rouges.
Il y a bien eu un effet Diables Rouges.© Yves Herman/belgaimage

L’incroyable success story des Diables ? C’est le fruit d’un mélange peu maîtrisé, à vrai dire, entre une réforme de la formation des jeunes décidée après la débâcle de l’Euro 2000, organisé aux Pays-Bas et… en Belgique et, surtout, de l’arrivée d’une génération dorée qui a grandi grâce à ses expériences à l’étranger : Kompany, Hazard, Lukaku, Courtois, De Bruyne… Cette génération –  » un beau mélange de races et de cultures, comme c’est aussi le cas de la Suisse et de la France « , résume Bart Verhaeghe – a en quelque sorte réalisé son  » rêve américain « .  » Il faut être honnête, nous ne pouvons pas prétendre : « Regardez, nous avions une vision et une structure, et voyez ce qu’elles ont apporté », reconnaît le vice-président de l’Union belge. Ce serait arrogant. En fait, nous avons ajouté la vision et la structure au succès qui existait déjà. C’est comme cela qu’il faut procéder si l’on veut réaliser quelque chose en Belgique.  » Oui, le sport peut servir d’exemple par-delà ses réalités propres.

Désormais, la notoriété de nos joueurs est telle que le ministre des Affaires étrangères, Didier Reynders (MR), souhaite ponctuellement faire appel aux Diables Rouges comme ambassadeurs du pays à l’étranger. Tout le monde veut capitaliser sur leur image conquérante.  » Cette équipe dispose d’une image de marque très positive, se félicite Philippe Close, bourgmestre PS de la Ville de Bruxelles. Pour promouvoir la capitale, nous continuons bien sûr à travailler avec de grands classiques de notre gastronomie comme le chocolat Marcolini ou les biscuits Dandoy. Mais rien ne vaut désormais un maillot des Diables. Je viens d’ailleurs de contacter la Fédération belge de football pour voir dans quelle mesure on ne pourrait pas disposer de maillots dédicacés pour les offrir à nos invités de marque.  »

Bruxelles accueillera le départ du Tour de France 2019, une aubaine.
Bruxelles accueillera le départ du Tour de France 2019, une aubaine.© THIERRY ROGE/belgaimage

2. En communication : « L’ambition passe par des événements positifs »

Le locataire de l’hôtel de ville de Bruxelles entend d’ailleurs bien capitaliser sur le sport, de manière générale, pour vanter nos atouts. Parmi les ambitions belges perceptibles dans un horizon proche, il y a l’accueil du Tour de France qui partira de Bruxelles en 2019.  » C’est le troisième événement mondial, mais c’est aussi et, surtout, la plus belle carte postale du monde, souligne Philippe Close. Pendant plusieurs jours, le Tour permet de vendre l’image d’un pays, de ses villes et villages. Pour concrétiser ce projet, nous avons pu compter sur l’appui d’Eddy Merckx ( NDLR : dont on célèbrera l’an prochain les 50 ans de la première victoire sur la Grande Boucle), qui ouvre toutes les portes. C’est un des plus grands champions du siècle et c’est une chance incroyable pour un petit pays d’avoir quelqu’un comme lui.  »

Les Diables, nos athlètes et bientôt le Tour de France figurent au coeur de la campagne de communicationà l’initiative de la chancellerie du Premier ministre, Charles Michel (MR), pour redorer le blason national après l’annus horribilis 2016. Appellation :  » La Belgique, autrement phénoménale.  » Lors de leur prestation sur la Grand-Place de Bruxelles, au retour de la Coupe du monde, mi-juillet dernier, les joueurs portaient d’ailleurs les lunettes de cette campagne, Eden Hazard assurant le show devant trente mille personnes chauffées à blanc.  » Notre communication met en avant 99 raisons de venir en Belgique, explique Caroline Joris, qui en assure la responsabilité au sein de la chancellerie. Pas 100, parce que ce serait un peu exagéré. Nous tenons à garder cette forme d’autodérision belge, ce côté décalé. Nous revendiquons la modestie et l’humilité du Belge, tout en insistant sur nos atouts.  »

 » La Belgique, autrement phénoménale  » a vu le jour quelques semaines après les attentats, quand notre pays cherchait à sortir la tête de l’horreur. Quitte à faire grincer quelques dents, au début, en Flandre et en Wallonie, dans notre pays ubuesque où le tourisme est régionalisé.  » Tout s’est construit au fur et à mesure, en parfaite collaboration avec les Régions et Communautés, relève Caroline Joris. Nous avons commencé par inviter des journalistes et influenceurs des pays limitrophes, des Etats-Unis et du Canada, avec un programme diversifié pour leur faire visiter le pays. On a remis ça avec des Chinois, dont certains influenceurs comptent parfois quatre millions de followers.  » Un succès : avec un investissement minime, les photos de ces Chinois découvrant le stylisme anversois ou dégustant les spécialités locales ont essaimé sur les réseaux sociaux avec des milliers de like à la clé.

 » On a invité des influenceurs chinois, dont certains comptent quatre millions de followers  » – la chancellerie belge.© Belgium-Uniquely Phenomenal

 » Nous essayons de profiter des nombreuses opportunités qui se présentent, poursuit la responsable de la campagne. Lors des sommets de l’Otan, à Bruxelles, nous organisons des visites avec les first ladies pour mettre en valeur le pays. Jacky Ickx nous a soutenu lors du Grand Prix de Formule 1 à Spa-Francorchamps, le mois dernier. Lors de la Foire de Libramont, fin juillet dernier, nous avons mis en valeur les chevaux de trait belges, très réputés dans le monde. A l’occasion de la Fashion Week de Paris, nous avons habillé le Manneken-Pis avec des vêtements de stylistes belges. A l’occasion du départ du Tour de France à Bruxelles en 2019, nous allons évidemment oeuvrer avec les correspondants de presse et les commentateurs télé qui seront présents pour mettre en évidence les villages qui seront traversés par les cyclistes. En novembre, nous organisons un voyage de presse avec des journalistes travaillant davantage dans le domaine économique. L’idée, c’est de mener des actions sympathiques et positives pour valoriser le pays.  »

Après deux ans d’une campagne tous azimuts, les partenariats sont de plus en plus nombreux et très faciles à mener. Y compris avec une Flandre faisant parfois cavalier seul.  » Sa campagne pour l’année thématique consacrée aux Primitifs flamands est vraiment très bien « , salue Caroline Joris. Des synergies ont été nouées avec la fondation Jacques Brel, le détenteur des licences Schtroumpfs… et peut-être bientôt avec la fondation Hergé.  » La Belgique, autrement phénoménale  » ne laisse rien passer. Lorsque le magazine américain Time met en avant les 100 lieux dans le monde à ne pas manquer, au début de ce mois de septembre, seule la piste cyclable dans l’eau à Bokrijk est mentionnée. Sur son compte Twitter, la campagne apprécie la citation, mais ajoute :  » Selon notre point de vue, il y a au moins 99 raisons de visiter la Belgique.  » Sur les réseaux sociaux, le folklore belge, du Manneken-Pis aux gilles de Binche, cartonne. Comme s’il s’agissait de prouver que les vieilles traditions continuent à vivre à l’ère numérique.

Sport, culture, économie... A-t-on enfin retrouvé l'ambition belge ?
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3. En diplomatie : « L’ambition passe par un modèle d’action pour la paix » « 

L’ambition belge entend retrouver sa place dans tous les cénacles internationaux. Le Premier ministre, Charles Michel, a fait de la relance européenne un des thèmes majeurs de son action, avec ses alliés français, luxembourgeois et néerlandais, dans un contexte fortement chahuté au niveau de l’Union par la montée des populismes nationalistes. De la même façon, notre pays s’est frayé une place au sein du Conseil de sécurité des Nations unies pour les deux prochaines années, 2019 et 2020. Une campagne clôturée sans rivalité, après le retrait de la candidature israélienne. Son slogan ?  » Bâtir le consensus, agir pour la paix.  »

 » La Belgique est un pays multiculturel, ouvert sur le monde, avance l’ambassadrice Bénédicte Frankinet, ancienne représentante permanente de la Belgique auprès des Nations unies, pour défendre le projet belge. Grâce à son système institutionnel complexe, elle a développé, au niveau national, un savoir-faire spécifique pour dégager des solutions consensuelles et réconcilier des opinions divergentes. Elle espère mettre cette expérience au service de la communauté internationale et apporter par là sa contribution à la solution des questions qui sont à l’ordre du jour du Conseil de sécurité.  » De la Syrie à l’Ukraine, les sujets chauds ne manqueront pas.  » Etre élu, c’est être aux premières loges du maintien de la paix et de la sécurité internationale « , appuyait dans LeSoir Michel Liégeois, professeur de relations internationales à l’UCL, en soulignant l’importance de l’élection.

La Belgique veut continuer à faire de sa position centrale, au milieu des grandes cultures européennes un atout davantage qu’une difficulté. Il fut un temps, pas si lointain, où des experts venaient visiter Bruxelles pour tenter de trouver des remèdes aux maux de Jérusalem.  » La fonction internationale de Bruxelles rapporte des milliers d’emplois, rappelle aussi Philippe Close. Nous sommes la deuxième ville de congrès au monde. Nous avons d’ailleurs lancé le réseau « power cities » avec Washington. Le rapport 2018 des  » Global cities  » ( NDLR : établi par le consultant américain A.T. Kearney) nous replace dans le top 10 mondial. En matière de liberté d’expression, aussi, nous sommes dans le top mondial. Le monde entier défile à Bruxelles, je peux vous le dire au vu du nombre incroyable de manifestations que j’autorise. L’exemple récent le plus frappant, fin d’année dernière, ce sont les Catalans : sans me prononcer sur le fond du dossier, je me réjouis simplement que leur venue ait permis à l’hôtellerie bruxelloise d’engranger 45 000 nuitées, en plein mois de décembre.  »

Bruxelles, ville-monde, avait été montrée du doigt au moment des attentats. Elle entend bien prendre aujourd’hui le contre-pied.  » Le vrai enjeu contemporain, ce sont les identités, prolonge son bourgmestre. Bruxelles est devenue une des villes les plus cosmopolites au monde avec 184 nationalités. Nous sommes la deuxième du genre après Dubaï.  » Rudi Vervoort enchaîne :  » Le succès du label Belgique dépend aussi du statut de Bruxelles. Tout le monde peut l’utiliser pour autant que ce soit bien intentionné.  »

Charles Michel et Willy Borsus à la Foire de Libramont où le cheval de trait belge était à l'honneur.
Charles Michel et Willy Borsus à la Foire de Libramont où le cheval de trait belge était à l’honneur.© Benoit Doppagne/isopix

4. En économie : « L’ambition passe par un changement d’état d’esprit »

Il se passerait donc  » quelque chose  » en Belgique : un élan insufflé par nos sportifs, un enthousiasme qui rejaillirait sur l’ensemble de la société et une volonté de démontrer aux Cassandre qu’ils ont tort.  » J’ai vraiment le sentiment que ce qui se passe est important, acquiesce Willy Borsus (MR), ministre-président wallon. C’est un moment où se mélangent un ensemble de réformes et un changement de mentalité. On ressent une envie nouvelle. Les performances de nos footballeurs et de nos athlètes, cet été, participent de ce sentiment que l’on peut à nouveau croire en nos possibilités, en nos capacités. L’enjeu du redressement de notre Région est crucial et vital, mais je suis sûr que les Wallons sont capables, créatifs et opiniâtres. Cette mentalité et cet état d’esprit positifs participent au renouveau. Si les Diables étaient montés sur le terrain sans cette volonté d’aller de l’avant, jamais ils n’auraient battu le Brésil.  »

Le ministre-président wallon insiste sur le nombre d’indépendants qui augmente.  » Il y a aujourd’hui 5 000 étudiants entrepreneurs, mobilisés derrière un projet !  » Il souligne combien les chiffres de création d’emplois sont positifs, tandis que le baromètre de la confiance des entrepreneurs est reparti à la hausse.  » Nous devons bien sûr être lucides au sujet de nos difficultés, notamment en matière d’infrastructures. Mais cette rentrée politique est marquée par le plan fédéral d’investissements, auquel s’ajoute le plan wallon. Je crois aussi dans la mobilisation derrière des projets symboliques. Bilbao s’est transformé grâce à la volonté audacieuse concrétisée par le musée Guggenheim. Je plaide à cet égard pour le rassemblement des forces.  » Présenté mardi 11 septembre, le pacte national pour les investissements stratégiques (PNIS), d’une hauteur de 150 milliards d’euros à l’horizon 2030, se veut une  » ambition durable « , selon les termes du Premier ministre, Charles Michel.

Le ministre-président entend bien prendre pour exemple les initiatives de ces Wallons qui portent fièrement le drapeau belge. C’est le cas de Millésime Chocolat, une PME liégeoise créée, il y a huit mois à peine, avec la volonté de revenir à la qualité artisanale de cet or noir qui a fait la réputation belge. Résultat ? Un produit raffiné et une moisson de prix aux International Chocolate Awards, les plus réputés dans le genre.  » Oui, nous sommes fiers d’être Belges, avance le Liégeois Jean-Christophe Hubert, cofondateur de l’entreprise. Notre pays est réputé pour sa bière et son chocolat. Notre démarche est similaire à celle de ces microbrasseries qui voient le jour un peu partout et s’inscrivent dans cette tendance générale qui veut retrouver la qualité du produit. Nous travaillons sur la base du concept de transparence totale quant à l’origine des fèves. Comme dans le processus du vin, on ne mélange pas les récoltes et on millésime chaque production.  »

Jean-Christohpe Hubert, cofondateur de Millésime Chocolat,
Jean-Christohpe Hubert, cofondateur de Millésime Chocolat,  » fier d’être belge « .© dr

L’histoire de Millésime Chocolat est un petit conte de fées. Indépendant, Jean-Christophe Hubert est… conservateur de la collection Picasso de la Ville de Bruges et organisateur d’expositions. Amoureux de chocolat à titre privé, il prend des cours en formation alternée à Villers-le-Bouillet pour approfondir ses connaissances et prolonge son écolage dans une université mondialement réputée à Montpellier. Il s’y livre à des essais salués par les connaisseurs de cet établissement et décide de se lancer, sans filet.  » Nous étions deux, avec mon épouse. Nous sommes maintenant sept ! Les deux tiers de notre chiffre d’affaires se font à l’étranger. Nous avons des contrats avec la Chine, Taïwan, Singapour, l’Allemagne et je viens de signer avec la Suède. Nous avons pris des risques, mais nous y croyons depuis le début.  » Cette foi se mérite, cela dit : Jean-Christophe et les siens travaillent sept jours sur sept depuis les premiers jours. Sans relâche.

L’ambition belge ?  » Je vais vous livrer une anecdote. Au début de notre projet, sur mes premiers essais d’emballage, j’avais choisi de ne pas apposer un « made in Belgium ». C’est sans doute lié à notre côté réservé, au fait d’être fier d’être Belge sans oser le crier. Maintenant, nous sommes dans une démarche totalement inverse : nous le revendiquons ouvertement. Et j’ai des distributeurs qui me disent : « Enfin, nous pouvons proposer un chocolat belge au goût particulier ! »  » En huit petits mois, Millésime Chocolat s’est imposé parmi les grands noms de son secteur et côtoie désormais Pierre Marcolini ou Wittamer, qui vient de lui proposer la confection d’un gâteau avec ses produits. La preuve que les valeurs traditionnelles paient.

 » Chez nous, rien ne se fait sans mal « , constate Yves Goldstein, directeur de la fondation Kanal.© hatim kaghat

L’esprit d’entreprendre se développe-t-il vraiment en Belgique ? La réponse est nuancée. En 2016, 41 157 sociétés ont été créées, un score qui se situe dans une moyenne nationale supérieure, seule l’année 2011 ayant été plus prolifique (43 231). En revanche, le taux de création reste inférieur à celui des pays voisins et, surtout, le nombre de scale-up, ces entreprises qui explosent au départ d’une start-up, restent bien trop limité : autour des 2 500 – un nombre stable ces dernières années. Cela dit, des chefs d’entreprise comme Marc Coucke, Eric Domb ou François Fornieri deviennent de vraies stars en portant des projets ambitieux aux quatre coins du pays. Sans avoir peur, eux non plus, d’utiliser la marque  » Belgique  » comme outil publicitaire.  » Ce n’est pas de l’amour passionnel, soulignait Jan Callebaut, grand manitou du marketing en Flandre, au Vif/L’Express en mars dernier. Un Marc Coucke utilise ces symboles comme des outils marketing, ce sont des moyens stratégiques pour construire quelque chose de plus grand. C’est une approche relativement neuve, en réalité. Jusqu’ici, pratiquement personne n’avait investi de la sorte des symboles belges pour façonner un récit plus large. Il s’agit de capturer de la valeur.  »

La Belgique se réveille et ça se voit dans les chiffres de son évolution socio-économique. La majorité au pouvoir fédéral se félicite d’avoir contribué à la création de plus de deux cent mille emplois depuis son arrivée, en novembre 2014.  » Notre pays, dans son ensemble, est plus fort qu’il y a cinq ans, salue Pieter Timmermans, administrateur-délégué de la Fédération des entreprises de Belgique (FEB), en reprenant mot pour mot les termes utilisés par le Premier ministre, Charles Michel, lors de sa rentrée politique. Notre assise économique est plus importante, même si la croissance reste, à mes yeux, trop faible. Au début de cette législature, en 2014, les syndicats s’évertuaient à nous critiquer en affirmant qu’on ne créerait jamais d’emplois. Les chiffres sont là pour les contredire. Et ce ne sont pas des emplois précaires : 80 % sont à durée indéterminée ou, au moins, à 4/5e temps. Cela démontre que quand la FEB demande qu’on réduise les charges et qu’on améliore la compétitivité, c’est bien pour créer de l’emploi.  »

Sport, culture, économie... A-t-on enfin retrouvé l'ambition belge ?
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L’esprit d’entreprise se développe et le patron des patrons s’en réjouit.  » On met de plus en plus les success story en avant. Prenons Marc Coucke, qui a revendu son entreprise et annoncé qu’il investirait en Belgique. Il y a fait seize investissements, en Flandre, à Bruxelles et en Wallonie. Bien sûr, il peut y avoir un échec. Mais c’est en prenant des risques qu’on peut réussir. Et de plus en plus, cela devient un exemple. Quand nous interrogeons les jeunes dans le cadre de notre action « Young talents in action », je perçois combien leur mentalité évolue. Avant, c’était davantage « pour vivre heureux, vivons cachés ». Aujourd’hui, ils veulent réaliser leur rêve. Ma priorité pour les prochaines années ? Que leurs entreprises, lorsqu’elles grandissent, restent installées chez nous.  »

Plus directement, pour la prochaine législature, Pieter Timmermans insiste sur deux grands chantiers, vitaux pour les entreprises : la mobilité et la transition énergétique.  » Travailler avec de grands projets, c’est une belle façon de fonctionner. Le « day to day » influence trop la politique et l’urgence médiatique actuelle joue un rôle là- dedans. On attend de nos ministres qu’ils réagissent dans les cinq minutes et qu’ils apportent une solution dans les dix minutes. Ce n’est pas possible ! Je suis assez favorable à ce que l’on se fixe quatre ou cinq grands projets en début de législature qui prendront peut-être six mois d’analyse, six mois de préparation, avant d’exécuter le plan qui a été décidé. Mais, et c’est important, il ne faut pas le changer après six mois sous la pression de l’un ou de l’autre. Il faut l’évaluer en lui ayant laissé le temps et après une analyse sérieuse.  »

Et le sport, dans tout ça ? C’est un adjuvant, évident. Grand supporter d’Anderlecht, présent à chaque match des mauves au Parc Astrid, Pieter Timmermans retrouve des accents d’enfance en se déclarant satisfait que cette ambition-là aussi soit restée au pays, avec le rachat du Sporting par l’inévitable Marc Coucke.  » Je préfère que mon club reste entre des mains belges, plutôt que repris par des investisseurs russes…  »

Le nouveau musée d'art moderne et contemporain installé dans les anciens garages Citroën aura accueilli, cet été, une centaine de milliers de visiteurs.
Le nouveau musée d’art moderne et contemporain installé dans les anciens garages Citroën aura accueilli, cet été, une centaine de milliers de visiteurs.© NICOLAS MAETERLINCK/belgaimage

5. En culture : « L’ambition passe par les Bruxellois »

Parent pauvre des investissements politiques depuis des décennies, la culture n’est pas à la traîne de ce réveil belge. Bien sûr, le Conservatoire royal de Bruxelles continue à s’effondrer et bon nombre d’institutions sont étranglées financièrement. L’ouverture, en mai dernier dans la capitale, de l’ambitieux Kanal, musée d’art moderne et contemporain géant installé dans les anciens garages Citroën, ouvre de nouveaux horizons. Avec un succès à la clé.  » Nous allons finir l’été avec environ une centaine de milliers de visiteurs, se félicite Yves Goldstein, directeur de la fondation Kanal. Ce sont de très bons chiffres, surtout que nous avons ouvert durant les pires mois de l’année avec, en plus, la canicule. Le bouche-à-oreille est positif. Nous lançons cinq nouvelles expositions en septembre en partenariat avec d’autres institutions bruxelloises, ce qui est notre vocation.  »

Le long du canal qui divise la ville en deux, non loin des quartiers socialement dévastés de Molenbeek, Kanal était pourtant un fameux pari sur l’avenir multiculturel de Bruxelles. La saga de sa lente naissance constitue en outre une métaphore de la difficulté de mener une telle ambition dans ce pays complexe.  » Chez nous, rien ne se fait sans mal, sourit Yves Goldstein. Mais notre histoire est positive vu que, d’habitude… rien ne se fait. Ce musée est le résultat de la revendication unanime des partis francophones et de certains partis néerlandophones, dans le cadre de la sixième réforme de l’Etat, de doter la Région bruxelloise d’une compétence lui permettant de mener à bien ce type de projet bicommunautaire. Rappelons-nous quand même que quand la Région bruxelloise avait entamé l’ambition – bien légitime… – de construire des infrastructures scolaires ou des crèches, en début de décennie, le gouvernement flamand avait déposé un recours devant la Cour constitutionnelle, Cette fois, ce projet ne fait l’objet d’aucune remise en cause institutionnelle.  » Ce qui autorise un soupir de soulagement.

 » Cette ambition, signale-t-il, est le fruit d’une volonté bruxelloise portée en amont par le secteur culturel de la Ville. Dans le cadre du Livre blanc remis à la fin de l’année culturelle de l’Europe 2000, il avait été exprimé cette revendication de pouvoir mener sur le territoire bruxellois des projets qui ne soient pas seulement l’addition des initiatives monocommunautaires.  » C’est d’ailleurs le prolongement des nombreuses collaborations initiées de facto entre Flamands et francophones, à l’image des partenariats entre le Théâtre national et le KVS.

 » Kanal, en tant que projet d’envergure, a suscité beaucoup d’enthousiasme, confirme Noémie Vanden Haezevelde, du Réseau des arts à Bruxelles, qui fédère 175 institutions de la capitale. Mais aussi beaucoup de discussions et de réflexions parce que les opérateurs culturels bruxellois n’avaient pas été impliqués. Beaucoup se posaient des questions au sujet de la collaboration avec le centre Pompidou et la nécessité de chercher une expertise à l’étranger.  » On aurait mis la charrue avant les boeufs, comme ce fut le cas dans un autre projet bruxellois controversé, le piétonnier du centre-ville.

Ayant porté le projet lorsqu’il était chef de cabinet du ministre-président de la Région, Yves Goldstein s’est expliqué, longuement, pour justifier cette avancée rapide et cette collaboration avec Paris.  » La Région a décidé d’exercer cette compétence parce qu’elle sentait qu’il y avait un momentum où la population bruxelloise était prête à s’approprier un tel lieu culturel. Elle a voulu le faire pour soutenir le vivre-ensemble à Bruxelles. Pas par esprit de vengeance ou de contradiction. Quand le projet Citroën a été annoncé en mai-juin 2013 lors du séminaire d’Ostende du gouvernement Vervoort, il a été présenté comme un projet national. L’idée était d’ailleurs de le construire en partenariat avec les Musées royaux des beaux-arts. Il n’y avait aucun volonté de mener un projet en solo, sans se soucier des autres niveaux de pouvoir, ni en se liant avec Paris.  » Faute d’un soutien du gouvernement fédéral après le scrutin polarisant de 2014, après le refus par la secrétaire d’Etat N-VA Elke Sleurs d’un partenariat culturel, le projet s’est finalement mis en place avec Paris.  » Notre ambition n’est pas de faire un Pompidou décentralisé, mais bien un projet bruxellois soutenu par cette institution parisienne, avec la volonté d’affirmer la dimension de Bruxelles comme capitale de l’Europe.  »

Bruxelles compte bien être la capitale culturelle de l'Europe en 2030, année du bicentenaire de la naissance de la Belgique.
Bruxelles compte bien être la capitale culturelle de l’Europe en 2030, année du bicentenaire de la naissance de la Belgique.© THOMAS BLAIRON/belgaimage

Cette période transitoire de dix ans doit surtout permettre à Kanal de devenir autonome. En espérant un changement d’état d’esprit au niveau fédéral. Fondamentalement, estime Yves Goldstein, Kanal exprime la réalité d’une capitale qui est peut-être la dernière à porter fièrement le projet belge.  » Beaucoup d’acteurs culturels de la ville se sentent profondément bruxellois parce que profondément belges. Les Bruxellois sont peut-être les derniers Belges, par la dimension bi- ou multicommunautaire, multilingue de la ville, par ces identités multiples qui s’y côtoient à travers les vagues de migration… On ressent ce que cela signifie de travailler ensemble dans un cadre partagé, ce qui n’est plus le cas en Flandre ou en Wallonie.  »

C’est en vertu de cette dynamique que la Région bruxelloise a conçu le projet visant à refaire de Bruxelles la capitale culturelle de l’Europe en 2030. Comme ce fut déjà le cas en 2000 : à l’époque, le symbole de l’opération était un  » zinneke « , un chien bâtard illustrant le caractère hybride de l’identité bruxelloise. Trente ans plus tard, le spectre se veut plus large :  » 2030 n’est évidemment pas choisi par hasard, mais bien parce que la date marque le bicentenaire de la naissance de la Belgique, rappelle Yves Goldstein. C’est une ambition bruxelloise qui se confond avec une ambition belge.  »

D’autres villes y songent. Cela fait même partie du programme électoral de… Willy Demeyer, bourgmestre PS de Liège, ou de Paul Magnette, bourgmestre PS de Charleroi.  » Pour le bicentenaire du pays, je vois mal une ville comme Liège, Charleroi ou Anvers prétendre à cette désignation, défend leur collègue de parti Rudi Vervoort, ministre-président bruxellois. Il y a une cohérence à ce que ce soit Bruxelles. Nous avons la capacité et la vocation à défendre au-delà de la frontière linguistique, de porter un projet qui dépasse les régionalismes et les communautarismes… Cette candidature est un appel à collaborer, mais c’est aussi un test : si ce n’est pas possible, nous pouvons avancer seuls !  »

L’initiative  » Bruxelles 2030 « , saluée, n’en est qu’à sa phase exploratoire. Une chargée de mission a été désignée au sein du Réseau des arts de Bruxelles pour en baliser la dynamique. C’est, à ce jour, la seule perspective concrète offerte pour célébrer le bicentenaire du pays en 2030.  » Franchement, il est trop tôt pour mettre en place de grands projets pour le bicentenaire : on ne sait pas aujourd’hui où en sera le pays. Ni si le roi actuel sera toujours à sa place « , ironisent certains dans les travées de la rue de la Loi. Ce qui prouve que, si l’ambition belge est de retour, elle reste fragile.

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