Carte blanche

« Si nous fermons nos centrales nucléaires, nous émettrons beaucoup plus de CO2 »

Les activistes du climat et les étudiants dans les rues veulent que nous émettions moins de CO2. Je souscris à cet objectif. Nos émissions de CO2 provoquent le réchauffement climatique, qui peut avoir des conséquences très négatives à long terme.

Or, le nucléaire est un atout majeur dans cette lutte en faveur du climat. Non seulement une centrale nucléaire produit de grandes quantités d’énergie fiable et sûre, mais elle n’émet pas de CO2 (du CO2 est bien émis lors de l’exploitation et du traitement de l’uranium, mais cela s’applique également aux tonnes d’acier et de béton ainsi qu’aux métaux rares indispensables à la fabrication d’éoliennes et de panneaux solaires).

Avec leur appel à une sortie du nucléaire, les activistes du climat se tirent royalement une balle dans le pied. Le jour où nous fermerons nos centrales nucléaires en Belgique pour les remplacer par des centrales au gaz, nous émettrons des tonnes de CO2 supplémentaires. Et plus longtemps nous les maintiendrons ouvertes, moins il y aura d’émissions de CO2. C’est incontestable.

Pourtant, les activistes, mais aussi certains experts en énergie, nous prétendent que la sortie du nucléaire serait « neutre en CO2 ». Selon eux, les objectifs climatiques sont réglementés au niveau européen et non au niveau belge. Les émissions des centrales électriques relèvent du système européen d’échange de quotas d’émission (ETS), qui fonctionne avec un plafond : les émissions acceptables pour l’ensemble de l’Europe ont été fixées une fois pour toutes. Si une entreprise veut émettre du CO2, elle doit d’abord acheter des droits d’émission sur le marché européen. Et puisque ces droits d’émission ont été plafonnés, notre sortie du nucléaire n’affectera pas le climat. Nous n’aurions donc pas à nous soucier de ces nouvelles centrales au gaz. Cet argument a été utilisé par les experts d’EnergyVille. Il a été servi par Mathias Bienstman, du Bond Beter Leefmilieu, au Knack, par le journaliste Wim Winckelmans au Standaard et par l’informaticien Dries Couckuyt, de l’Université de Gand, au Knack également.

Personnellement, je ne suis pas un expert en énergie, mais en tant que philosophe, je m’y connais en logique et en raisonnement contrefactuel (« que se passerait-il si ? »). Cet argument fondé sur l’ETS est un leurre. Par un truc de prestidigitateur, on tente de dissimuler le fait que notre sortie du nucléaire va générer de grandes quantités de CO2 supplémentaires.

La base du raisonnement est correcte. L’ETS fixe bien un plafond. Les quotas que nous devons acheter pour nos nouvelles centrales au gaz (après la sortie prévue du nucléaire) sont des droits qui ne peuvent pas être achetés par quelqu’un d’autre. Si nous en achetons, les droits d’émission vont se raréfier et donc coûter plus cher. Qu’est-ce qui arrivera ensuite? Certains grands émetteurs ne pourront plus s’acheter de droits d’émission et seront éjectés du marché européen. Par exemple, une centrale au charbon d’Europe de l’Est devra fermer ses portes pour être remplacée par une centrale au gaz émettant moins de CO2 et nécessitant par conséquent moins de droits d’émission.

C’est là que réside le point crucial. Si nous émettons du CO2 supplémentaire ici en Belgique, quelqu’un d’autre devra en produire moins pour que l’Europe respecte son plafond. En raison de notre sortie du nucléaire, d’autres pays auront donc des difficultés à atteindre leurs objectifs climatiques. Celui qui préconise la construction de nouvelles centrales au gaz et compte sur quelqu’un d’autre pour émettre moins ailleurs défend en fait une logique à court terme et antisociale.

Évidemment, vous pensez penser que le fait que la centrale électrique au charbon d’Europe de l’Est ait été retirée du marché en raison de la rareté des droits d’émission est une bonne chose. Je le pense aussi. Mais pour cela, nous n’avons pas du tout besoin de fermer nos centrales nucléaires. Nous pouvons simplement faire les deux efforts en même temps : nous conservons nos centrales nucléaires (moins de CO2), et ils passent du charbon au gaz (moins de CO2 également). Ce serait un coup double pour le climat. Si les quotas d’émission sont trop bon marché pour défavoriser le charbon, la solution est évidente : le plafond européen doit être abaissé plus rapidement.

Le fait même que les militants puissent plaider sans hésiter en faveur de nouvelles centrales au gaz en sachant que nous avons quand même assez d’argent pour acheter de nouvelles émissions de CO2 montre que les quotas d’émission sont vraiment trop bon marché. Et que, quoi qu’il en soit, nos objectifs climatiques européens sont encore bien trop modestes. Si nous voulons vraiment avoir un impact sur le climat, nous devons être beaucoup plus ambitieux. La chose est possible en nous appuyant sur l’énergie nucléaire.

De toute façon, on peut retourner le problème dans tous les sens, mais si nous fermons nos centrales nucléaires, nous enlevons une grande partie d’énergie à bas carbone de notre approvisionnement énergétique. Ce qui signifie que nous émettrons beaucoup plus de CO2.

Cela se produira indépendamment de ce que feront les autres pays d’Europe orientale avec leurs centrales au charbon. Ceux qui se réfèrent au système ETS pour donner l’impression qu’une sortie du nucléaire est neutre pour le climat nous mènent en bateau.

En continuant à utiliser cette logique fallacieuse, les activistes du climat, et même les universitaires d’EnergyVille, montrent à quel point leur opposition à l’énergie nucléaire est viscérale. Si EnergyVille veut conserver sa crédibilité scientifique, il doit retirer cet argument.

Notre climat n’a que faire de notre comptabilité de droits d’émission. Si nous émettons plus de CO2, il continuera à se réchauffer.

Maarten Boudry, philosophe à l’Université de Gand.

Son nouveau livre au sujet du pessimisme, Waarom de wereld niet naar de knoppen gaat, paraît le mois prochain (Polis).

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