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Reconnaissance des minorités : le glacis perdure

Le Vif

Le 28 février, à la tribune de l’ONU, à Genève, le ministre des Affaires étrangères, Didier Reynders (MR), déclarait : « Je continue à oeuvrer pour que les groupes de travail sur la définition du concept de minorité puissent fonctionner. » En réalité, la procédure de ratification par les Régions de la convention-cadre pour la protection des minorités nationales est figée depuis 17 ans.

En signant la convention-cadre pour la protection des minorités nationales du Conseil de l’Europe, en 2001, la Belgique avait émis deux réserves. 1. La convention ne peut porter préjudice aux dispositions, garanties et principes constitutionnels ni aux normes légales et décrétales qui régissent l’emploi des langues. 2. Le concept de minorité nationale sera défini par la Conférence interministérielle de politique étrangère. La CIPE réunit, sous la présidence du ministre des Affaires étrangères, des représentants du gouvernement fédéral et des entités fédérées pour discuter de dossiers interfédéraux en matière de politique étrangère.

Pour atteindre cet objectif, la CIPE a créé, en 2002, un groupe de travail composé de professeurs d’université francophones et néerlandophones, spécialistes du droit constitutionnel. En vain, malgré les renouvellements de mandats : la convention-cadre est en porte-à-faux avec le principe de territorialité qui sous-tend tout notre édifice institutionnel. C’est le leitmotiv de la Flandre, depuis l’origine.

Le groupe de travail actuel s’est réuni pour la première fois, le 14 juin 2016. « Et, à ma connaissance, nous confie l’un de ses experts, il ne s’est plus réuni depuis cette date. Je n’ai pas pu moi-même assister à la réunion, mais un rapport, délibéré électroniquement, en a été établi. Les échanges ont été constructifs. »

« A ma connaissance, nous explique un autre expert mandaté, ce groupe n’est plus en action. C’est par ailleurs un dossier sur lequel je ne travaille plus. » Les sept autres experts qui composent le groupe n’ont pas répondu à nos questions.

Ce groupe de travail patine donc depuis 16 ans.

« Pas seulement l’affaire de l’Etat », selon l’ONU

Dès 2002, par sa Résolution 1301, le Conseil de l’Europe a contré les deux réserves émises par la Belgique à la ratification de la convention-cadre. 1. Ces réserves risquent de « priver d’effets la plupart de ses dispositions et de vider la convention de son sens. » 2. La Commission de Venise (du Conseil de l’Europe) a défini le concept de minorité nationale.

Selon cette Commission, « au vu de la répartition équilibrée des pouvoirs entre les néerlandophones et les francophones, au niveau de l’Etat, les francophones, malgré leur infériorité numérique, occupent une position ‘co-dominante’ et ne constituent, dès lors, pas une minorité nationale. C’est le cas pour les germanophones. »

Par contre, toujours selon la Commission, au niveau régional, les francophones de Flandre et de la Région de langue allemande peuvent être considérés comme une minorité, de même que les néerlandophones et les germanophones de la Région de langue française (Wallonie + Bruxelles). « Les francophones, conclut la Commission, n’ont pas besoin de la protection de la convention-cadre au niveau de l’Etat mais ils ont besoin de sa protection dans l’ensemble de la Flandre. »

L’enjeu principal, pour les populations reconnues minoritaires au niveau régional, est de pouvoir communiquer dans leur langue avec leurs autorités locales, organiser des activités culturelles et sportives, créer une radio locale, ouvrir des écoles, etc.

L’ONU, de son côté, estime que la reconnaissance du statut de minorité ne relève pas de la seule décision de l’Etat. « Conformément à l’interprétation authentique faite par le Comité des droits de l’Homme, l’existence de minorités doit être établie selon des critères objectifs. » Présence d’élus locaux, etc. « Les Etats, poursuit l’ONU, doivent recueillir des données ventilées (…) y compris dans le cadre des recensements nationaux. Ces données doivent se fonder principalement sur l’auto-identification et la société civile et les groupes minoritaires doivent être associés à l’ensemble du processus. »

« Le 3 mai 2016, nous dit son président, Edgar Fonck, la Coalition des Associations Francophones de Flandre a demandé à rencontrer le ministre Reynders. Sans succès… Il nous avait pourtant répondu, le même jour: ‘Votre e-mail m’est bien parvenu et a retenu toute mon attention. J’en ai immédiatement transmis copie à mon collaborateur compétent en la matière afin que votre demande soit examinée avec toute l’attention qu’elle mérite’. » Depuis, plus rien, dit M. Fonck. Le ministre Reynders n’a pas non plus répondu à nos sollicitations répétées.

Le groupe de travail de la CIPE doit remettre une série de questions au Comité consultatif de la convention-cadre. Celui-ci devrait les éclairer sur la manière dont la convention a, jusqu’à présent, été mise en oeuvre dans les Etats qui l’ont ratifiée.

La question de la ratification de la convention-cadre demeure ainsi pendante depuis 2001. Elle fait partie des engagements internationaux de la Belgique. Mais l’actuel gouvernement fédéral, où la N-VA est prépondérante, déclare vouloir s’en tenir au statu quo communautaire.

Pour le député Olivier Maingain (Défi, opposition) « la Commission de Venise, qui est l’institution spécialisée pour l’analyse juridique de la convention-cadre, a déjà défini la notion de minorité. Ce groupe de travail est un faire-valoir qui permet de gagner du temps. J’y vois la mauvaise volonté des autorités flamandes, et de certaines autorités fédérales, où la N-VA dicte sa loi, de ne pas reconnaître les engagements pris au niveau international. »

A la tribune de l’ONU, le 28 février, le ministre Reynders a pourtant rappelé son plaidoyer en faveur de l’instauration d’un examen annuel du respect de l’Etat de droit dans chaque pays de l’Union européenne…

Michelle Lamensch

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