François le Hodey (IPM) promet une intégration sans bain de sang social. © HATIM KAGHAT POUR LE VIF/L'EXPRESS

Rachat de l’Avenir : « C’est le moment d’investir dans un grand projet de presse »

La crise de la presse écrite se déplace au parlement de Wallonie. L’occasion pour le patron d’IPM, François le Hodey, de réitérer sa proposition de racheter L’Avenir. Proposition rejetée par Nethys. Mais les ponts ne sont pas coupés.

Les Liégeois de Nethys s’y entendent à faire monter les enchères. Alors qu’ils se préparent à se séparer d’un quart du personnel des Editions de l’Avenir, soit 60 équivalents temps plein (environ 70 personnes), ils ont rejeté l’offre de rachat d’IPM ( La Libre, La DH). Entretien avec François le Hodey, dont la famille est aux commandes d’IPM depuis plus de trente ans . Il est invité au parlement de Wallonie, ce 8 novembre, à se pencher sur l’avenir de la presse écrite francophone, en compagnie des patrons de Rossel (Bernard Marchand) et des Editions de l’Avenir (Jos Donvil), ainsi que des représentants du quotidien régional en difficulté.

IPM et Nethys, c’est déjà une longue histoire. En 2013, via Tecteo, le groupe de Stéphane Moreau a failli entrer dans le capital d’IPM

A l’époque, nous avions un projet d’association qui faisait de Tecteo un actionnaire minoritaire d’IPM, avec 25 % de ses parts, et qui nous apportait des moyens financiers destinés à l’achat de L’Avenir auprès du groupe Corelio ( NDLR : De Standaard, Het Nieuwsblad…). On consolidait la presse francophone et on recherchait des coopérations entre la presse et le câble. Alors que le projet était en cours de finalisation, la direction de Tecteo a décidé d’acquérir L’Avenir en direct, ce qui a déclenché un raz-de-marée politique jusqu’à aboutir à la situation actuelle. Nethys est donc devenu un éditeur de presse, loin du projet initial.

L’objectif de notre offre est de rouvrir le débat de fond sur la consolidation de la presse écrite en Wallonie et à Bruxelles.

En 2015, le ministre wallon de l’Economie, Jean-Claude Marcourt (PS), également ministre des Médias de la Fédération Wallonie-Bruxelles, s’est intéressé à la presse écrite…

Jean-Claude Marcourt avait fait commander par la SRIW ( NDLR : Société régionale d’investissement de Wallonie) une étude sur l’avenir de la presse quotidienne en Wallonie et à Bruxelles. Le rapport McKinsey a été présenté le 9 mars 2015 au ministre Marcourt et aux CEO des groupes IPM, Rossel et L’Avenir. Ce rapport plaidait pour une consolidation de la presse, afin que chacun des acteurs puisse atteindre une taille suffisante pour rentabiliser ses activités et être en mesure d’investir dans la transformation numérique. Cette étude n’a débouché sur aucun rapprochement. Les scénarios d’association ne sont pourtant pas légion : soit Rossel-IPM, ce qui représenterait 80 % du marché face à L’Avenir avec 20 % ; soit Rossel-L’Avenir, ce qui représenterait 70 % du marché face à IPM avec 30 % ; soit IPM-L’Avenir ce qui donnerait 50 % face à Rossel avec 50 % ; ou encore, une fusion des trois groupes de presse. Certains de ces scénarios posent des problèmes majeurs de concurrence. Tous les responsables politiques disent qu’il faut veiller au pluralisme et à ce que la presse réussisse sa transformation numérique, mais concrètement, les actes ne suivent pas.

Le 29 octobre dernier, IPM a manifesté sa proposition de racheter Les Editions de L’Avenir, sans plan social. Pourquoi ?

En quatre ans, le marché a considérablement évolué. La consommation de la presse se fait de plus en plus sur des terminaux mobiles, comme les smartphones et les tablettes. Le modèle économique devient celui des abonnements payants à des offres Internet. Ce qui est nouveau dans la réflexion depuis 2013, c’est qu’aucun opérateur télécom ou de câble, en Europe ou aux Etats-Unis, n’a démontré une stratégie réussie de convergence avec la presse. On ne lit pas les journaux sur la télévision. Quant à une offre vidéo réalisée par des rédactions de presse, c’est un projet compliqué face à la concurrence des chaînes de télévision nationales ou locales. En France, SFR a vendu des abonnements couplés  » télécom + presse  » en profitant du taux de TVA réduit pour la presse, qui s’élève à 2,1 %. Le gouvernement français vient d’interdire cette pratique et SFR va fermer son kiosque presse. L’objectif de notre offre est de rouvrir le débat de fond sur la consolidation de la presse écrite en Wallonie et à Bruxelles.

Sitôt connue votre proposition, la santé économique du groupe IPM a été mise en doute. Qu’en est-il ?

Nous ne ferions pas cette démarche si nous n’étions pas en mesure de la concrétiser. IPM est un groupe bien diversifié et en pleine expansion. Notre activité presse est devenue très technologique, elle se développe fort bien sur Internet. Nous comptons sur une rentabilité du modèle numérique d’ici à trois ans. La branche des paris sportifs lancée en 2011 sous la marque betFirst est une vraie success story. Cet été, nous avons fait plusieurs acquisitions : une dans le tourisme, en France et en Belgique, et une autre à Berlin, spécialisée dans les logiciels de paris sportifs. En 2019, nous prévoyons que l’entreprise n’aura quasi plus d’endettement à long terme. Pour nous, c’est donc un bon moment pour investir dans un grand projet de presse et d’Internet en Wallonie.

Stéphane Moreau (Nethys) a dit
Stéphane Moreau (Nethys) a dit  » non « .© NICOLAS LAMBERT/BELGAIMAGE

Tecteo/Nethys a payé Les Editions de L’Avenir 25 millions d’euros, alors que Rossel en proposait 15. Le groupe de presse perd de l’argent depuis 2016. Une mauvaise affaire pour les Liégeois ?

Dans l’ensemble des activités de Nethys et de la valeur créée par ce groupe, l’enjeu de la presse est à relativiser. L’économie numérique met une pression colossale sur tous les acteurs. En presse, l’heure est au rassemblement et à l’innovation digitale. Dans le câble, des investissements considérables doivent être réalisés et amortis sur la plus grande masse possible de clients. Pour Nethys, dans le nouveau contexte de séparation des activités régulées des activités concurrentielles et, donc, la fin des transferts financiers de Resa, j’imagine que l’équation de Voo ne sera pas facile non plus. Mon message se veut constructif. Aujourd’hui, la meilleure façon de préserver et de développer la valeur d’une entreprise, c’est de se concentrer chacun sur son core business et de créer des synergies, grâce notamment à des consolidations, et cela vaut pour la presse comme pour le câble.

Concrètement, en quoi consiste votre projet de rapprochement entre IPM et Les Editions de l’Avenir ?

Nous sommes tout à fait complémentaires. La Libre est un quality paper national, la DH-Les Sports un journal grand public et sportif avec des pages régionales, L’Avenir est un journal régional de proximité. En mettant nos moyens en commun, nous pourrons renforcer mutuellement tous nos projets. Mes interlocuteurs font grand cas d’une étude qui mettrait en exergue un manque de productivité de la rédaction de L’Avenir. Je ne sais pas comment cette étude a été faite. Dans toute entreprise, il y a des gains de productivité à réaliser. On peut augmenter la productivité pour réduire les coûts : c’est le plan Renault en cours à L’Avenir. On peut aussi augmenter la productivité pour disposer de plus de contenus et faire des offres éditoriales plus riches : c’est notre préférence. Et on peut faire un mixte des deux. En presse, nous devons comprendre ce pour quoi les lecteurs sont prêts à payer sur Internet et y affecter les moyens en conséquence. Quant à la complémentarité entre un journal régional et des titres nationaux, il s’agit d’un enjeu très sensible, qu’il faut bien préparer avec toutes les parties intéressées et inscrire dans la durée. Le coeur de la transformation, c’est la capacité à redéployer l’offre éditoriale en print et en Web pour rencontrer les anciens et nouveaux intérêts de lecture. Les maîtres mots sont : Web first, connaissance des lecteurs, fin des doublons, nouveaux territoires éditoriaux à développer.

La révolution numérique doit être vue comme un fait qui s’impose.

Pas de quoi faire bondir de joie les rédactions concernées…

La révolution numérique, on doit la voir comme un fait qui s’impose, qui a des conséquences de destruction mais qui engendre aussi des potentialités de croissance. La clé du succès réside dans le fait d’accepter de voir la réalité en face, de diminuer les coûts dans les secteurs régressifs et d’investir dans ce qui a un potentiel de croissance. Pour cela, il est nécessaire de travailler dans un climat d’entreprise qui a le goût du changement. En dix ans, chez IPM, l’emploi n’a diminué que de 15 %, mais les compétences et expertises ont fondamentalement changé, le tout sans plan social, en misant sur les départs naturels, des prépensions, le recrutement de nouveaux talents, la formation et des évolutions de mission.

Nethys, qui a repoussé votre offre, veut faire passer L’Avenir au format berlinois d’ici à la fin de l’année. Qu’en pensez-vous ?

En 1996, La DH est passée d’un format large, le broadsheet, à un format plus petit, tabloïd, le même format que L’Avenir aujourd’hui. A l’époque, elle a connu une augmentation de plus de 30 % de ses lecteurs. Les formats plus petits comme celui de L’Avenir sont très ergonomique et, en général, plébiscités par les lecteurs. Faire le chemin inverse, soit agrandir le format, est un projet périlleux. Mais il n’y a pas que le format : la maquette, le design, le choix des typographies, la structure, la taille des articles, bref, tout ce qui fait qu’un journal est moderne, ergonomique et agréable à lire a toute son importance et demande du temps.

Avez-vous identifié vos véritables interlocuteurs ? Le monde politique ? La partie privée du secteur public ? Stéphane Moreau ?

Il y a des enjeux propres à Nethys, à son conseil d’administration, à son équipe de direction et à son actionnaire, qui est majoritairement la Province de Liège, soit la coalition PS-MR. La Région intervient en tant que pouvoir de tutelle. Le secteur de la presse et son avenir intéresse cependant toute la classe politique en Wallonie, parce qu’il s’agit d’enjeux de pluralisme et d’emplois. Si nous nous exprimons publiquement, c’est pour apporter notre éclairage à l’ensemble des parties concernées, la décision appartenant aux organes sociaux de Nethys et à ses actionnaires.

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