Claude Demelenne

« PS – PTB – ECOLO : La gauche la plus ‘sexy’ du monde ? »

Claude Demelenne essayiste, auteur de plusieurs ouvrages sur la gauche

Un peu partout, les populistes percent électoralement. Sauf en Belgique francophone, où la gauche est toujours plus dominante. Le trio PS – PTB – ECOLO incarne-t-il vraiment la gauche la plus ‘sexy’ du monde ?

C’est une quasi-exception en Europe et au-delà. Des États-Unis au Brésil, passant par l’Italie, la Hongrie ou l’Allemagne, sans oublier la Flandre du Vlaams Belang, les populistes cartonnent. Rien de semblable en Wallonie et à Bruxelles. L’extrême droite francophone y est squelettique, pratiquement inexistante. Lors du scrutin communal de ce 14 octobre, aucun élu d’extrême droite dans les 19 communes bruxelloises. En Wallonie, à peine une poignée d’élus du Parti populaire, le micro parti de l’avocat Mischaël Modrikamen, qui récuse l’étiquette d’extrême droite, mais est en pleine radicalisation lepéniste. En Wallonie et à Bruxelles, l’extrême droite est folklorique. Pathétique.

Un bon bulletin de santé

Autre exception : un peu partout, la gauche est en crise. Pas en Belgique francophone. Les partis de gauche – PS, PTB, ECOLO – affichent un bon bulletin de santé. Ils apparaissent beaucoup plus crédibles que les populistes. Ils maintiennent ceux-ci dans la marginalité. Mieux, ils réalisent des résultats électoraux qui font rugir d’envie leurs partis frères en Europe.

Les scores cumulés du trio PS – PTB – ECOLO, lors du scrutin de ce 14 octobre, sont édifiants : autour de 60% à Bruxelles-Ville, Molenbeek, Liège, Charleroi, Mons, Tournai, La Louvière… Des scores variant entre 70 et 80% à Seraing, Flémalle, Saint-Nicolas. Et même 83% à Herstal, 81% à Saint-Gilles… Au pouvoir dans certaines communes depuis plusieurs décennies le PS, malgré quelques reculs, résiste globalement bien. A l’heure où des pans entiers de la social-démocratie s’effondrent, le PS reste le premier parti francophone. Il gère les plupart des grandes villes. Malgré quelques pénibles « affaires », il n’a » pas été victime du « dégagisme » ambiant et garde son statut de parti dominant.

Survitaminés, les écologistes francophones s’imposent comme le parti vert le plus performant en Europe, avec les « Grünen » allemands. Quant au PTB, il constitue un OVNI politique. Caricaturés comme des communistes le couteau entre les dents, les ptbistes ont gagné la confiance d’une partie non négligeable du peuple de gauche. Comme le parti vert, le parti rouge vif est en train de réussir son ancrage local, au-delà de ses fiefs historiques de Seraing ou Herstal, scénario impensable il y a quelques mois à peine.

La gauche fait encore rêver

Le constat est surprenant : dans un contexte de grande déprime, la gauche francophone fait encore rêver. Toutes les gauches. La gauche sociale-démocrate, qui veut corriger de l’intérieur les excès du capitalisme. La gauche dite radicale, qui veut rompre avec les règles du jeu de ce même capitalisme. La gauche écologiste, enfin, qui veut verdir le capitalisme, tout en l’humanisant.

Pourquoi le trio PS – PTB – ECOLO plaît-il à l’électeur ? Pourquoi est-il si « sexy » ? Pour cinq raisons, qui expliquent au moins en partie les succès des trois gauches francophones.

1. Des partis proches du peuple. C’est de longue date la marque de fabrique du PS. Ses élus, ses bataillons de bourgmestres, de parlementaires, sont très présents sur le terrain. Cette proximité avec la base fait la force des socialistes. Le PTB est fait du même moule. Depuis toujours, ses militants sont présents aux portes des usines, dans les quartiers, dans les dispensaires de Médecine pour le Peuple… Sur cette question de la proximité, les écologistes furent longtemps timorés. Ils ont beaucoup appris de leurs erreurs, eux qui apparaissaient comme un parti trop intello pour se frotter aux réalités du terrain. Leur embryon d’ancrage local, à partir de 2012, les a aidés à sortir de leur tour d’ivoire.

2. Des partis new look. Selon un lieu commun, les partis – surtout à gauche – seraient de vieilles machines sclérosées, incapables de produire la moindre idée neuve. C’est largement faux. Ces dernières années, tant le PS que le PTB et ECOLO, ont effectué des mises à jour idéologiques tout sauf anodines. Le PS s’est converti à l’éco-socialisme. Le PTB a rompu avec ses références staliniennes. ECOLO a renoué avec la social-écologie, longtemps portée par feu Jacky Morael.

3.Finies, les bisbrouilles internes. Jadis au PS, les guerres de clans étaient la règle. Les barons rouges s’amusaient comme des fous à se chercher querelle. C’est l’un des grands acquis de la présidence d’Elio Di Rupo : le PS est un parti uni. Même dans les périodes plus chahutées, les couteaux sont toujours restés au vestiaire. Il en va de même à ECOLO, où les assemblées générales en forme de tribunal populaire pour élus – toutes les têtes qui dépassaient étaient « coupées » – appartiennent au passé. Quant au PTB, il a lui aussi réglé ses problèmes internes. La vieille garde, adepte d’une soi-disant pureté révolutionnaire, semble avoir définitivement perdu la partie.

4. A bas le sectarisme ! Il fut un temps où le PS ne voyait d’autre issue que dans un scénario de croissance pure et dure. Où Ecolo ne jurait que par les écotaxes. Et où le PTB ressassait le slogan de l’ouverture des frontières. Sur ces questions comme sur plusieurs autres, les trois partis de gauche ont ôté leurs oeillères, cassant leur image sectaire dans l’opinion.

5. Personnalisation (pas) piège à cons? Jadis réticent à personnaliser ses campagnes électorales, ECOLO a viré sa cuti. Il en va de même du PTB, passé maître dans l’art de capitaliser sur le charisme de son homme-orchestre, Raoul Hedebouw. Quant au PS, il semble disposer d’un stock inépuisable de personnalités labellisées « bêtes de scène » (et de médias), à l’instar de Paul Magnette et Philippe Close, sans doute les deux socialistes ayant réalisé, ce 14 octobre, les scores socialistes les plus significatifs, à Charleroi et à Bruxelles.

La gauche la plus sexy du monde aura-t-elle la lucidité d’unir ses forces?

La gauche « la plus sexy du monde » aura-t-elle la lucidité d’unir ses forces ? Il n’y a pas d’autre issue pour freiner le train fou du néolibéralisme, source de reculs sociaux et d’inégalités croissantes.

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