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Molenbeek : la revanche des quartiers

Catherine Moureaux a réussi haut la main son pari : succéder à son père et tenter de bouter dehors le MR. La magie du nom Moureaux a joué, ainsi qu’une connaissance fine des leviers électoraux de la commune.

Les attentats de Paris et de Bruxelles ont été le grand impensé de la campagne électorale à Molenbeek. Pendant six ans, la bourgmestre Françoise Schepmans (MR) et ses alliés, notamment, CDH et Ecolo, ont tenté un nouveau départ : les finances de la commune sont redevenues saines, en boni, même ; le clientélisme a reculé ; les jeunes pousses ont été encouragées dans le sport, les nouvelles technologies et l’art, plutôt qu’un fonctionnement paternaliste, trop directement relié au Maroc. La sociologie de la commune s’est vengée en portant la fille de Philippe Moureaux (PS) au pouvoir. Catherine, 40 ans, récolte 7 133 voix de préférence, soit presque 2 000 de plus que sa rivale libérale et que son père en 2012. Son parachutage a réussi au-delà de toute espérance.

Quelles leçons tirer de ce scrutin ? Que l’influence de Philippe Moureaux reste forte. Le samedi précédant les élections, il faisait encore campagne avec sa candidate de fille, déclenchant des accès d’émotion et des cris de joie non feints. Le nom Moureaux a joué comme un sésame, validé par la présidente de la fédération bruxelloise du PS, Laurette Onkelinx, qui a apporté ostensiblement son soutien à la liste.

Stratégie rustique, mais payante : le PS de Molenbeek a concentré toutes ses attaques sur le MR, responsable de la politique que l’on sait au niveau fédéral, ce qui le mettra en difficulté avec son électorat jeune s’il doit s’allier au MR local pour constituer une majorité, d’où sa main tendue avec insistance vers le PTB. Sarah Turine (Ecolo) s’est ralliée séance tenante à Catherine Moureaux, sans se faire prier. Un signe qui ne trompe pas : la future bourgmestre n’a pas appelé Françoise Schepmans, le soir des élections, comme Ahmed Laaouej, vainqueur à Koekelberg, l’a fait avec Philippe Pivin (MR), par simple civilité.

Le PS avait placé sur sa liste un mélange de têtes anciennes (l’ancien échevin Mohamed Daïf, proche des mosquées, qui a fait plus de 1 000 voix) et de vigoureux quadras-quinquas, certains déjà présents au conseil communal : Jamal Azaoum (1 200 voix), Abdellah Achaoui (environ 1000 voix), Amet Gjanaj (plus de mille voix, sans doute, puisées dans la communauté albanaise). Un nouveau-venu, actif dans le quartier difficile des Etangs-Noirs, Yassine Akki, a raflé d’emblée 900 voix. Philippe Moureaux et le leader bruxellois du SP.A, Fouad Ahidar, s’étaient entendus pour lancer la jeune Siham Atsailali, voilée comme quatre autres candidates : elle obtient du premier coup environ 800 voix. A eux seuls, ces candidats totalisent quelque 6 000 voix. Du grand art électoral !

La suite des événements risque d’être plus sportive. Une partie des Molenbeekois dont on connaît la grande fragilité économique (12 000 allocataires sociaux pour l’ensemble des électeurs) avait la nostalgie de l’abord facile et de la protection de Philippe Moureaux. Celui-ci s’est démené pendant des années pour faire pleuvoir les subsides sur sa commune, en la plongeant quand même dans le rouge ; il recevait sans rendez-vous et passait sur les petites incartades de ses protégés, comme l’a montré ses faveurs à l’égard de la discutable famille Salah. Une figure tutélaire.

Autre majorité, autres moeurs. Catherine Moureaux aura-t-elle à coeur de ne pas commettre les mêmes erreurs que son père, dont elle peine à se distancier ? Avec son mélange de naïveté et de raideur, elle sera confrontée sans tarder à l’entourage masculiniste, pour ne pas dire macho, qui l’a portée littéralement en triomphe. Une partie de la bourgeoisie belgo-marocaine s’est probablement portée sur la liste MR. Des électeurs CDH, déçus par Mohamed El Khannous, ont sans doute fui vers le PS. DéFi, auquel certains sondages prédisaient un rôle de faiseur de voix, n’a pas décollé. Ecolo, perturbé par la dispute de Sarah Turine avec son homologue flamande, Annalisa Gadaleta, à cause d’un livre dans lequel cette dernière décrivait trop crûment la réalité molenbeekoise, ne cartonne pas comme ailleurs à Bruxelles. Reste le PTB qui a endossé le désir de radicalité des jeunes. Molenbeek est en passe de redevenir le laboratoire social de la Région bruxelloise.

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