Johan Van Overtveldt et Charles Michel © Belga

Madame anti-fraude, le joli coup politique de la N-VA

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

Enquêtrice de choc à l’ISI, Gerda Vervecken est le nouvel atout du ministre Van Overtveldt pour lutter contre la fraude. Sa nomination est un joli coup politique de la N-VA. Mais cette femme de caractère aura-t-elle les coudées franches ? Décryptage.

Sa nomination, début août, au sein du cabinet de Johan Van Overtveldt n’a pas fait grand bruit. Cependant, l’arrivée de Gerda Vervecken interpelle à plus d’un titre. La nouvelle caution anti-fraude du gouvernement Michel Ier affiche, en effet, un pedigree qui, a priori, ne colle pas avec l’image politique du ministre des Finances et encore moins avec celle de son parti, la N-VA. En matière de lutte contre la grande fraude fiscale, Van Overtveldt et le reste du gouvernement ont fait l’objet de lourdes critiques, depuis le début de la législature, de la part de l’opposition mais aussi d’acteurs judiciaires et autres experts reconnus en la matière qui pointaient leur manque flagrant de volonté. La secrétaire d’Etat N-VA Elke Sleurs, en charge de la fraude fiscale, en a fait les frais en mai dernier, lorsqu’elle s’est vu retirer la compétence.

Van Overtveldt a repris les choses en main. Sa première décision se nomme Gerda Vervecken, 47 ans, fonctionnaire à l’Inspection spéciale des impôts (ISI), le bras armé du fisc pour lutter contre les grands fraudeurs. C’est elle qui, en tant que cheffe de cabinet-adjointe, devra organiser la lutte contre la fraude. Un poste clé et une fameuse responsabilité. Derrière un sourire affable, se cache une dame de fer pragmatique, convaincue que vis-à-vis des gros fraudeurs, il faut une réponse pénale forte.

Gerda Vervecken est peu connue du côté francophone du pays. Elle a pourtant plusieurs fois défrayé la chronique, notamment dans le « Diamantgate », soit la guerre des magistrats anversois autour du sort à réserver aux diamantaires fraudeurs épinglés dans le dossier de la banque HSBC. A l’époque, l’inspectrice de l’ISI était détachée au parquet d’Anvers pour traiter des grandes affaires de fraude. Elle épaulait essentiellement le substitut Peter Van Calster. Bête noire des diamantaires, ce magistrat intransigeant s’apprêtait à renvoyer devant un tribunal de gros poissons du négoce de la pierre précieuse. Mais lui et Vervecken ont trouvé, sur leur chemin, un adversaire de taille : le procureur-général Yves Liégeois, favorable à un règlement à l’amiable via la transaction pénale avec les diamantaires fraudeurs.

Personne n’est sorti indemne de cet affrontement homérique. A l’instigation de Liégeois, fin 2011, Van Calster et Vervecken ont vu leur bureau et leur PC perquisitionnés (fait rarissime dans les annales judiciaires), pour une histoire de falsification supposée de procès-verbal, avant d’être finalement blanchis… Résultat : le substitut a tout de même été écarté des enquêtes sur les diamantaires et l’inspectrice de l’ISI n’a pas été reconduite dans son mandat auprès du parquet, après qu’elle ait déclaré dans les colonnes du Tijd avoir ressenti la perquisition comme une forme d' »intimidation ». Elle était d’autant plus blessée par cette perquisition qu’en dix ans de collaboration avec les magistrats anversois, elle pouvait se targuer d’un tableau de chasse exceptionnel. Elle a contribué à récupérer 82 millions, 100 millions et 160 millions d’euros dans les dossiers Massive, Henco et Omega Diamonds. Des sommes record dans l’histoire des enquêtes fiscales.

De retour à l’ISI, l’inspectrice a néanmoins été récompensée. Son administration reconnaissante l’a promue au grade de directrice au sein de l’ISI Gand, aux côtés d’une autre figure haute en couleur de la lutte contre la fraude fiscale, Karel Anthonissen. Ce dernier, connu pour ses enquêtes sur le prince Henri de Croÿ ou sur Karel De Gucht (Open-VLD), est actuellement suspendu, suite à une plainte pénale introduite par le grand patron du SPF Finances, Hans D’Hondt, qui s’estime diffamé par un tweet du bouillant directeur-général de l’ISI Gand. Anthonissen et Vervecken ont publié ensemble plusieurs articles concernant l’ISI ou encore la transaction pénale. En matière de lutte contre la fraude, ils partagent globalement une même philosophie.

« Si Gerda symbolise plutôt la ligne dure à l’ISI, elle garde toujours le sens du compromis, mais pas à n’importe quel prix », témoigne un observateur averti. Il y a quelques années, dans la presse flamande, elle avait déclaré « avoir un problème avec la transaction pénale dans les affaires de grande fraude fiscale », considérant qu’il est dangereux de laisser le règlement de tels dossiers entre les mains d’un seul homme du ministère public. Elle a aussi pris position contre les DLU (amnisties fiscales) successives, jugeant les taux fiscaux pratiqués trop bas. A l’exception de celle lancée sous John Crombez (SP.A) : le taux de 35 % de la DLU de 2013 correspondait plus ou moins à ce qui a été acquis à Anvers par l’inspectrice dans les accords Massive et Henco, des dossiers où l’on a découvert de l’argent caché dans les Antilles néerlandaises et au Liechtenstein.

C’est donc cette enquêtrice pugnace qui vient d’être nommée « Madame anti-fraude » par Johan Van Overtveldt. Pour le ministre N-VA, voilà a priori un fameux gage de sérieux dans la lutte contre les fraudeurs, surtout les grands. Cette nomination semble, en tout cas, un peu désarçonner ses adversaires politiques. « C’est une belle façon de brouiller les cartes », juge Georges Gilkinet (Ecolo). « Il ne s’agit, pour l’instant, que d’un coup de com’, estime Ahmed Laaouej (PS). Ce n’est pas Gerda Vervecken qui va établir la ligne de la N-VA. On jugera sur pièce. » Simple coup politique du parti proche des diamantaires anversois ? Gerda, l’alibi anti-fraude de la N-VA ? Selon nos informations, l’intéressée a beaucoup hésité avant d’accepter la proposition insistante de Van Overtveldt qui habite le même village qu’elle au nord d’Anvers, Kapellen. Elle lui aurait demandé des garanties, affirmant que si on la cantonnait au rôle de potiche, elle ne resterait pas.

La cohabitation entre elle et le ministre s’annonce, pour le moins, acrobatique, tant les idées affichées par l’une ne semblent pas correspondre à la ligne de l’autre. Elue conseillère communale sur une liste CD&V dans les années 1990, Gerda Vervecken se situerait plutôt à la gauche du parti social-chrétien. « C’est moins l’étiquette qui est intéressante que la personne et son expertise », commente Carl Devlies (CD&V) qui dit avoir déjà pensé à elle pour son cabinet lorsqu’il était secrétaire d’Etat à la Lutte contre la fraude (entre 2008 et 2011). « Mais elle était alors trop indispensable au parquet d’Anvers », ajoute-t-il. Un autre observateur explique que montrer une volonté de s’attaquer enfin à la grande fraude fiscale est une manière pour la N-VA de séduire un électorat moins à droite.

Bosseuse, chevronnée, rigoureuse, Gerda Vervecken ne s’en laissera pas compter, c’est certain. Dans sa carrière tumultueuse, elle a déjà essuyé tous les coups, comme cet arrêt « petit déjeuner » de la cour d’appel d’Anvers, en 2013. Dans une affaire de fausses factures pour un demi-million d’euros, la cour avait estimé que le fraudeur n’avait pas eu droit à un procès équitable en première instance, parce que l’enquêteur fiscal, à l’origine du dossier judiciaire, n’était autre que le mari de Vervecken alors détachée au parquet d’Anvers. Selon eux, tous deux pouvaient avoir évoqué le cas en question autour de « la table du petit déjeuner » (sic). L’arrêt a ensuite été réduit à néant par la Cour de cassation. Bref, jusqu’ici, Madame anti-fraude n’a vraiment rien à se reprocher. ●

TENACE Johan Van Overtveldt a beaucoup insisté pour que Gerda Vervecken accepte d’être chargée de la lutte anti-fraude au sein de son cabinet

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