Claude Demelenne

Les gilets jaunes contre la violence des riches

Claude Demelenne essayiste, auteur de plusieurs ouvrages sur la gauche

Les gilets jaunes mènent un juste combat. La violence d’une petite minorité de casseurs est certes déplorable. Mais elle n’est rien comparée à la violence des riches. Là sont les vrais casseurs. Face aux nantis qui les méprisent, les « petites gens » ont raison de se révolter.

Le plus étonnant, finalement, c’est que cette révolte n’a pas éclaté plus tôt. Depuis plus de deux décennies, la casse sociale bat son plein. Les inégalités flambent. Les salaires des grands patrons atteignent des sommets himalayesques. Le nombre de travailleurs pauvres explose. Les banquiers se gavent. L’Union européenne impose aux peuples une austérité socialement injuste et économiquement inefficace.

Sur les ruines de la social-démocratie

Les gilets jaunes occupent le terrain délaissé par la social-démocratie. Trop peu combative, celle-ci est un monument en ruines. Elle ne protège plus suffisamment les classes populaires. Elle est en panne d’idées et adopte parfois des pans entiers du programme néolibéral. Il n’y a pas si longtemps, les partis socialistes ou sociaux-démocrates dirigeaient une majorité des pays européens. Qu’ont-ils fait de cette position de force ? Dans le meilleur des cas, ils ont freiné la régression sociale. Dans le pire, ils se sont comportés en petits télégraphistes de l’ultra-capitalisme, approuvant privatisations, grignotage des services publics et chasse aux chômeurs.

La sanction électorale est cruelle. Dans plusieurs pays, les partis socialistes ont quasiment été rayés de la carte électorale. Partout, ils reculent. Le peuple leur fait de moins en moins confiance. La gauche gestionnaire a oublié l’essentiel : jamais dans son histoire, elle n’a gagné en se contentant de demander poliment des réformes dans des salons feutrés. La gauche a gagné chaque fois que les « puissants » avaient peur de perdre leurs privilèges. La social-démocratie, aujourd’hui, ne fait plus peur. Les gilets jaunes font peur. C’est un de leurs principaux atouts.

Les gilets jaunes réhabilitent le conflit

Aucune des réformes fondamentales qui ont émancipé les travailleurs – suffrage universel, congés payés, salaire minimum… – n’a été obtenue « à la douce ». Des grèves générales, souvent émaillées d’actions violentes, ont été nécessaires pour obtenir gain de cause. A leur façon, souvent brouillonne, les gilets jaunes réhabilitent le conflit. Eux qui pour la plupart ne sont pas des militants anticapitalistes relancent la lutte des classes, là où la gauche gestionnaire privilégie souvent le consensus mou avec les puissants.

Les gouvernants s’étonnent du soutien dont bénéficient les gilets jaunes auprès d’une large part de l’opinion publique, même après les scènes d’émeute qui ont émaillé plusieurs manifestations. Sans approuver les dérapages, nombre de citoyens sentent confusément que, aussi déplorable qu’elle soit, la violence d’une petite minorité de casseurs n’est rien en comparaison de la violence des riches qui, selon la formule de l’historien Olivier Todd, « mettent « hors d’état de vivre » toute une partie de la population fragilisée, précarisée, au seuil de la pauvreté.

« Les riches nous emmerdent ! »

Quelques phrases des sociologues Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, auteurs du best-seller « La violence des riches. Chronique d’une immense casse sociale » (éditions La Découverte, 2013) illustrent l’état d’esprit résolument combatif des gilets jaunes : « Pour parler franchement, les riches nous emmerdent avec leur pouvoir de l’argent, avec leur folie de l’argent, avec leur criminalité liée à l’argent. Ils tuent pour cela des millions de vies. Ils empêchent des millions de jeunes de se projeter dans la vie. Riches, ils veulent être, riches, nous les stigmatiserons« . Le moteur du mouvement des gilets jaunes, c’est à la fois la revendication du pouvoir d’achat et l’écoeurement face à la montée scandaleuse des inégalités.

Dans nos sociétés de plus en plus inégalitaires, les riches – les vrais riches, 1% de la population – ont fait sécession. Se comportant en prédateurs, ils narguent le peuple, piétinent la solidarité, délocalisent leurs entreprises, se vautrent dans les paradis fiscaux. Là se trouve la vraie violence, contre laquelle se dresse un mouvement comme celui des gilets jaunes.

Frileux, réveillez-vous

Tout mouvement social, a fortiori quand il est non structuré et joyeusement bordélique, court le risque d’être récupéré par des forces anti-démocratiques. Il peut aussi donner lieu à des dérapages racistes, homophobes… Pas d’angélisme, tous les gilets jaunes ne sont pas des Saints. Mais l’immense majorité d’entre eux sont animés d’une juste colère. Ils sont porteurs d’une parole forte, revendiquant un monde plus doux, plus humain.

Les progressistes de tous bords auraient tort de tourner le dos au mouvement des gilets jaunes. Frileux, réveillez-vous, en refusant la fatalisme, le peuple est peut-être en train, tout simplement, de réinventer l’utopie.

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