Aymeric de Lamotte

Le nouveau mouvement « Jump ! For Brussels » ou le mirage de la politique « hors des partis »

Aymeric de Lamotte Conseiller communal et avocat

Nicolas Vanderstappen et Quentin Van den Eynde, deux anciens militants du MR, lancent un nouveau mouvement politique  » Jump ! fort Brussels « , et comptent présenter une liste aux élections régionales de mai 2019.

Je leur souhaite bonne chance et beaucoup de courage dans cette tâche très difficile. Je me permets toutefois d’émettre quelques commentaires et critiques.

D’une part, les fondateurs de « Jump ! For Brussels » sont injustes envers le MR. Le MR a très largement consulté ses membres autour de sa réflexion doctrinale en 2016, et le fait à chaque fois lors de l’élaboration des programmes électoraux. Il est simplement logique qu’en définitive certaines personnes décident. En effet, tout processus de décision doit être un minimum pyramidal et organisé pour ne pas tomber dans la cacophonie. Trop de démocratie tue la démocratie. En outre, le MR laisse une grande liberté d’expression à ses élus et à ses membres. Je suis bien placé pour le savoir car je m’exprime fréquemment dans le débat public sur des sujets sensibles. Je ressens une grande liberté car personne ne m’a jamais rappelé à l’ordre. Tant que les arguments utilisés sont étayés, pesés, raisonnables, il me semble qu’il y a peu de chances qu’on tente de vous museler. En faisant le choix de travailler dans un cabinet ministériel, Quentin Van den Eynde s’impute lui-même une part de sa liberté d’expression. En effet, les plus proches conseillers d’un ministre étant en quelque part ses porte-paroles, le risque est grand que leurs opinions déteignent sur lui.

D’autre part, je crois à l’utilité des partis politiques. Je partage évidemment le constat de Nicolas et Quentin que la Belgique est trop particratique et que beaucoup de choses doivent être réformées – la suppression de la dévolution des votes de la case de tête qui permet presque aux partis de choisir leurs futurs députés, par exemple. Cependant, je crois à l’utilité des partis politiques car ils permettent de structurer le débat d’idées et de clarifier la grande pluralité des sensibilités qui s’expriment. Sans partis, le citoyen ne s’y retrouverait pas face à une offre politique beaucoup trop fragmentée et désordonnée. En outre, les belles promesses de « prise de décision en commun » sont en réalité souvent un leurre. Le mouvement français En Marche ! d’Emmanuel Macron nous en offre d’ailleurs un parfait exemple. En effet, rarement un basculement aussi considérable et net n’aura été opéré : Emmanuel Macron a professé l’horizontalité et « la délibération permanente« , comme il disait, durant toute la campagne présidentielle française, pour finalement incarner une présidence « jupitérienne« , où l’Assemblée nationale française fait de la figuration. Je préfère l’honnêteté des partis qui confessent un certain cloisonnement, selon moi inévitable, que l’hypocrisie de la délibération absolue et constante « hors des partis ». En réalité, ces « mouvements » se transforment assez rapidement en structures encore plus verticales que les partis traditionnels.

Enfin, un parti sans vision de l’homme et de la société ne peut durer. Nicolas et Quentin prétendent vouloir dépasser les clivages et se disent « urbains ». J’aimerais tout d’abord dire que je loue leur volonté d’insuffler plus de pragmatisme et d’efficacité dans la gestion bruxelloise qui est souvent un grand bourbier. Il est évident que le potentiel exceptionnel de Bruxelles est actuellement très mal exploité. Je pense toujours au 7 nouvelles stations de métro prévues à l’horizon 2025 à Bruxelles contre les 166 nouvelles stations d’ores et déjà construites en 12 ans à Madrid. De la réalisation, bon sang ! Les deux jeunes hommes oublient cependant que le discours politique ne peut être seulement un discours technique. Un mouvement/parti ne peut exister durablement s’il n’est soutenu par une vision de l’homme et de la société. Le grand mal du cdH, c’est d’ailleurs qu’il a renoncé au souffle doctrinal qui faisait sa spécificité. A part les techniciens et les entrepreneurs pur jus, la plupart des gens ont besoin de substance pour adhérer à un parti. A nouveau, si Emmanuel Macron arrêtait demain la politique, son mouvement, renommé La République en Marche !, s’effacerait instantanément avec lui. Désormais, on pose toujours la question du « Comment ? », avant celle du « Pourquoi ? ». Or, seule l’idéologie permet d’interroger la finalité d’une action politique. Une décision politique ne doit pas seulement être prise parce qu’elle est efficace, mais aussi parce qu’elle va nous permettre d’approcher un peu plus de l’idéal de l’homme et de la société que nous nous sommes forgés.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire