Bart De Wever, conforté à Anvers, a toujours dit que le confédéralisme serait sur la table en cas de nouvelles discussions avec le PS. © ERIC DE MILDT/ID PHOTO AGENCY

La Belgique sera-t-elle ingouvernable après les élections de 2019 ?

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Une Wallonie plus à gauche, une Flandre à droite et une capitale verte : au lendemain du 26 mai 2019, notre pays risque-t-il le blocage absolu ? Dans les centres d’études des partis francophones, on tord – partiellement – le cou à cette perspective.

La Belgique est décidément un bien étrange pays. Ses deux communautés se regardent souvent avec des yeux écarquillés, comme deux étrangers sur la Terre. N’est-il pas incompréhensible, pour des électeurs francophones adeptes du cordon sanitaire autour de l’extrême droite, que la N-VA ne ferme pas la porte, par principe, à une négociation avec le Vlaams Belang à Ninove ? Le parti nationaliste a dû découvrir sur les réseaux sociaux une photo assortie d’un commentaire raciste, partagée par le chef de file de cette même liste, pour qu’il annule la réunion… De même, combien d’électeurs flamands ne se pincent-ils pas pour ne pas rêver en voyant le PS ouvrir des négociations avec le PTB, confirmant l’image d’une  » Wallonie, bastion communiste  » véhiculée par les nationalistes ? Fût-ce, de la part des socialistes francophones, pour démontrer l’ineptie des thèses de la gauche radicale.

Les lendemains des élections communales et provinciales du 14 octobre ont, une nouvelle fois, révélé un pays éclaté entre trois opinions publiques. Une Flandre ancrée à droite, une Wallonie toujours plus à gauche, une Région bruxelloise plus verte que jamais, le tout avec un éclatement prononcé du paysage politique : voilà le cocktail explosif qui risque de rendre la Belgique très difficile, voire impossible à gouverner, si les résultats se confirment à l’issue des élections législatives et régionales du 26 mai prochain.

A Ninove, il aura fallu la découverte d'une publication nauséabonde sur les réseaux sociaux pour que la N-VA refuse de s'asseoir à la table des négociations avec Guy D'haeseleer (à droite, Vlaams Belang).
A Ninove, il aura fallu la découverte d’une publication nauséabonde sur les réseaux sociaux pour que la N-VA refuse de s’asseoir à la table des négociations avec Guy D’haeseleer (à droite, Vlaams Belang).© BAS BOGAERTS/ID PHOTO AGENCY

« Le PTB, oui, est une menace »

Un blocage de longue durée après mai 2019 serait une prime aux thèses confédérales. Or, comme pour témoigner du surréalisme de nos contrées, les deux forces politiques francophones dont la progression permet de nouer des majorités progressistes un peu partout au sud – Ecolo et le PTB – sont des partis… qui revendiquent tous deux un visage très belge. Ecolo a transformé sa collaboration avec Groen en une alliance permanente au Parlement. Le PTB fait partie d’une même structure nationale avec le PvdA.

 » Pour ces deux formations politiques, la question belge n’est pas centrale, constate Corentin de Salle, directeur du Centre Jean Gol, service d’études du MR. Ce sont davantage des partis transnationaux, qui s’inscrivent dans une communauté d’idées plus large et qui ne s’embarrassent pas des questions communautaires, pour se concentrer sur leurs vraies préoccupations.  » L’environnement et la Terre pour Ecolo. Le social et la lutte des classes, pour le PTB. Cela étant précisé, le libéral distingue ces deux progressions. Non, les verts ne constituent pas une menace, même indirecte, pour l’avenir du pays.  » Il y a, bien sûr, moyen de travailler avec eux et nous partageons des valeurs communes « , dit-il. D’ailleurs, depuis le 14 octobre, Ecolo conclut tantôt des alliances avec le PS, tantôt avec le MR dans les communes où il est devenu un faiseur de rois.

 » Par contre, si le PTB venait à confirmer sa progression dans huit mois, cela pourrait en effet constituer une menace pour la Belgique, prolonge Corentin de Salle. Car ce n’est pas un parti démocratique. Et ce virage à l’extrême gauche accentuerait fortement le décalage entre le nord et le sud, donnant du grain à moudre à la thèse confédérale.  » Lors de la campagne qui s’ouvre dès à présent en vue du scrutin de mai prochain, les ténors du MR comptent d’ailleurs bien insister sur ce péril PTB qui met en danger la demeure belge. Une façon de rappeler que le fait de monter dans une majorité avec la N-VA, en 2014, a permis de mettre le communautaire au frigo. Inutile de dire que si le PS faisait entrer le PTB dans des coalitions dans l’une ou l’autre grande entité – Molenbeek, Charleroi ou Liège – , ce serait un argument choc pour ce MR sorti fragilisé du scrutin communal.

Dans les rangs socialistes, on ne renie pas le fait d’avoir tendu la main aux troupes de Raoul Hedebouw à Charleroi ou Molenbeek.  » Cela aurait été indécent de ne pas entendre le signal de l’électeur alors que le PTB atteint parfois 25 % des voix, avec des progressions spectaculaires « , explique-t-on à l’institut Emile Vandervelde, centre d’études du parti. Sans nier qu’il s’agit là d’une mise à l’épreuve du PTB, qui représente bel et bien une menace :  » C’est un parti populiste, qui propose des mesures a priori séduisantes, mais totalement impayables et qui ne concernent pas le niveau de pouvoir pour lequel les gens votent. Si ce parti se trouvait à une table de négociations fédérale en réclamant, comme il le veut, la révision des traités européens, ce serait un vrai problème. Lors des discussions que nous avons ouvertes dans certaines villes, nous essayons précisément de les confronter aux réalités.  » En clair, le PS tente de démasquer le PTB.

« La fragmentation est une opportunité »

Une Wallonie à gauche face à une Flandre à droite, serait-ce donc un risque ?  » Je ne crois pas que cela mette la Belgique en péril, poursuit ce responsable de l’institut Emile Vandervelde. Le phénomène n’est pas nouveau. Dans les années 1990, il y avait déjà un Vlaams Belang très fort et un parti libéral très à droite. Il y a eu des périodes où le PS était très fort. Tout cela n’a jamais empêché de gouverner le pays. Une des leçons de ce scrutin communal et provincial, c’est aussi qu’il n’y a pas d’effondrement de la gauche en Flandre : le SP.A est toujours là et Groen progresse. En Wallonie et à Bruxelles, le PS reste le premier parti. Il demeure une gauche sérieuse. La réalité politique est plus subtile qu’on ne la décrit souvent…  » Dans les rangs socialistes, on insiste encore sur le fait que les personnalités francophones du gouvernement Michel ont été sanctionnées : les ministres Marghem, Bellot ou Jeholet ont été battus. Une raison d’espérer.

Les projections faites par le Centre de recherche et d’information socio-politiques (Crisp) pour les parlements régionaux, sur la base des résultats des provinciales, montrent que la seule bipartite possible du côté francophone serait un binôme PS-MR, mais qu’il existe plusieurs possibilités de tripartites, dont un olivier PS-CDH-Ecolo ou une coalition à gauche toute PS-Ecolo-PTB. Sans oublier la jamaïcaine MR-CDH-Ecolo, reconduite par Maxime Prévot à la Ville de Namur.  » Par rapport aux précédents scrutins, nous négocions de façon plus mature et, quand c’est possible, nous imposons nos vues, tant au MR qu’au PS, en fonction de l’échiquier « , se félicite Christophe Derenne, directeur politique d’Etopia, le service d’études d’Ecolo. Traduction : Ecolo s’impose et ne choisit pas forcément son camp. Pas encore.

Selon Christophe Derenne, le paysage morcelé issu du scrutin est plutôt une bonne nouvelle.  » A nos yeux, cela ouvre le jeu démocratique, insiste-t-il. Cela offre davantage de possibilités de coalitions. Forcément, les deux grands partis traditionnels préfèrent une situation où ils dominent, pour dicter leur loi.  » La tête pensante d’Ecolo voit également d’un oeil favorable l’évolution au nord du pays.  » Du côté flamand, il y a une vraie polarisation entre la N-VA et Groen, qui devient un clivage structurant du paysage politique, relève le directeur d’Etopia. Tout indiquait que la N-VA resterait incontournable. Maintenant, elle s’aperçoit qu’elle a un caillou vert dans la chaussure. La progression de Groen permet, à terme, d’envisager d’autres alliances. Peut-être pas dès mai 2019, mais nous nous réjouissons de cette perspective.  » Parce que la N-VA représente tout le contraire du projet écologiste : conservatrice, ultralibérale, fermée sur la question des migrants…  » Et sur les questions climatique et énergétique, c’est elle qui bloque tout « , déplore Christophe Derenne.

Tant au PS que chez Ecolo, on se prend donc à rêver, prudemment, d’un basculement possible l’an prochain, pour balayer la suédoise. Une revanche sur 2014. Mais si des négociations devaient avoir lieu entre N-VA et PS, Bart De Wever le répète toujours : le confédéralisme serait sur la table…

Le PTB de Raoul Hedebouw est l'autre grand vainqueur des communales, avec les écologistes. Sa progression, plus forte du côté francophone, pourrait compliquer la situation belge en mai 2019.
Le PTB de Raoul Hedebouw est l’autre grand vainqueur des communales, avec les écologistes. Sa progression, plus forte du côté francophone, pourrait compliquer la situation belge en mai 2019.© JOHN THYS/BELGAIMAGE

« De retour en 2014… »

 » C’est vrai, nous avons l’impression d’être de retour en 2014 « , grince Corentin de Salle. Il résume le sentiment de libéraux qui ont assisté  » penauds  » aux résultats de ces communales 2018 et aux retournements d’alliances rapides dans des communes symboliques, à l’initiative du PS, avec l’appui d’Ecolo. De retour en 2014 ? A l’issue du scrutin régional et fédéral, le PS avait, là aussi, décidé de précipiter les choses en Wallonie et à Bruxelles pour convoler en justes noces avec le CDH, avec le soutien de DéFI à Bruxelles. En retour, le MR avait pris la décision  » kamikaze  » de se marier avec la N-VA au fédéral. Ce choix audacieux était dicté par la conviction libérale qu’il serait possible, une fois le communautaire mis de côté, de mener des réformes bloquées auparavant par le PS. C’était aussi un signal envoyé à la Flandre par Charles Michel sous le signe d’un  » Je vous ai compris  » de nature à tempérer les ardeurs indépendantistes. Autrement dit, la suédoise est une coalition probelge, d’autant plus improbable qu’elle est dominée par un parti nationaliste flamand.  » Peut-être n’avons-nous pas assez bien communiqué, estime le directeur du Centre Jean Gol. Ce scrutin montre qu’il y a 50 % des électeurs francophones qui ne voteront jamais pour nous. Mais pour le reste, il y a de la marge…  »

L’analyse faite lors de la petite réunion de crise tenue par le MR, lundi 15 octobre, pour examiner la déconvenue des communales, c’est qu’il reste possible pour le MR de se redresser en vue de 2019. En mettant son bilan fédéral et wallon en avant, tout en vantant les succès obtenus en matière de créations d’emplois. Ou encore en trempant le bleu dans le vert et en présentant des solutions écologiques  » plus pragmatiques, plus diverses, tenant davantage compte des réalités économiques que le discours gauchiste d’Ecolo « .  » Plus personne, chez nous, ne remet la suédoise en question « , conclut Corentin de Salle. Les électeurs, en revanche, pourraient lui signifier dans six mois une fin de non-recevoir. Sans forcément mettre à nouveau la Belgique dans le pétrin ?

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