Carte blanche

L’ONEM respire … et les CPAS s’essoufflent!

Ces derniers jours, plusieurs organes de presse se sont fait l’écho de l’intervention du ministre de l’Emploi fédéral, Kris Peeters, se félicitant dans sa note de politique générale de voir le budget des dépenses ONEM connaître une forte diminution depuis 2013.

En effet, on peut constater que ces dépenses diminuent de 30,8% sur 6 ans. Faut-il s’en féliciter ? Si l’on ne regarde que cette facette de la réalité, pourquoi bouder son plaisir ? Mais par contre, si l’on a un regard global sur la vie en société alors il faut s’en inquiéter. Voyons quelques éléments pour approfondir cette perspective :

  • Kriss Peeters lui-même assure en juillet 2017 que « Lutter contre la pauvreté est une priorité« . Il réitère sa position quelques mois plus tard lors de la sortie de l’annuaire 2017 « pauvreté en Belgique »[1]. Nous citons le ministre de l’Emploi, mais nous pourrions citer l’ensemble du Gouvernement, car il y a une omniprésence du message de lutte contre la pauvreté. Ce sont les paroles. Les actes par contre nous montrent une lente, mais continue érosion de notre système de sécurité sociale. Or, c’est bien ce système qui est le plus grand garant de la lutte contre la pauvreté. En 2017, 15,9% des Belges [2] étaient en situation de risque de pauvreté. Sans notre sécurité sociale, ce serait 43,1 % de la population qui serait en situation de pauvreté.
  • Si les dépenses de l’ONEM connaissent une forte diminution ces 6 dernières années (moins 30,8%), on ne peut passer sous silence que les dépenses du revenu d’intégration des CPAS ont, sur le même laps de temps, augmenté de 57,9%. Autrement dit, même si l’on peut se réjouir de l’entrée à l’emploi de certains allocataires, force est de constater qu’une partie des chômeurs qui sortent des allocations de chômage arrivent dans les CPAS. A cela ajoutons que les dépenses des aides sociales accordées par les CPAS accusent un accroissement annuel à deux chiffres. Ceci renforce le phénomène marqué de transfert de la protection sociale de la solidarité fédérale vers la solidarité locale et on peut ainsi parler d’une réelle « communalisation de la sécurité sociale ». En réalité, ce à quoi nous assistons, c’est à un déplacement de la protection sociale du système assurantiel, universel et horizontal vers un système assistantiel individualisé et vertical.
  • Au-delà de ce transfert vers les CPAS, un autre groupe d’ex-allocataires de l’ONEM échappe à toute analyse. Constitué de personnes que l’on peut nommer de « vulnérables invisibles » [3] ce groupe ne bénéficie plus d’aucune protection sociale : il a quitté l’Onem, il ne dispose pas d’un travail et ne s’adresse, ni au CPAS, ni à aucune autre institution sociale (c’est le phénomène de « non accès aux droits sociaux » et, en particulier au revenu d’intégration qui, en Belgique, varie entre 57 et 73%) [4].

La population nourrit cette peur de plus en plus tangible de « tomber ». Le sentiment de ne plus être à l’abri, renforcé par le vécu d’un voisin ou d’un membre de la famille qui perd son emploi, et qui contribue à générer une angoisse collective par l’idée que bientôt tout le monde y passera, y compris nous. On peut estimer que cette société est mal inclusive pour les jeunes et qu’elle leur dessine peu de perspectives. Ainsi, 29 % des jeunes wallons et 33,2 % des jeunes bruxellois se présentant sur le marché du travail n’ont pas d’emploi en 2017[5]. Le nombre de bénéficiaires du revenu d’intégration âgés de moins de 25 ans a cru de 31,18 % de 2013 à 2017, dont une augmentation de 64,56 %, des étudiants qui émargent au CPAS[6].

La société se précarise, perd de son sens, n’a plus d’objectifs, se sent déboussolée et instable et ne sait plus à quoi se raccrocher et fini par s’habiller de gilets jaunes pour tenter de faire entendre sa désillusion.

Dès lors, peut-on se glorifier de « bons » résultats financiers de l’ONEM ? Le simple constat de cette vérité budgétaire est trop court, car cela ne dit qu’une partie de la réalité sociale et cela ne dit absolument rien de ce que cachent les statistiques. Cela ne dit rien de l’érosion de la sécurité sociale ; cela ne dit rien de la précarisation de la société ; cela ne dit rien de la peur des citoyens quant à leur avenir ; cela ne dit rien de l’horizon qui se bouche pour les plus jeunes ; cela ne dit rien de la perte de confiance de la population quant à la capacité des politiques à résoudre leurs problèmes.

Nous pensons qu’il faut certes dire la vérité, mais toute la vérité et rien que la vérité.

R. Cherenti – Directeur général de CPAS, Collaborateur scientifique à l’UMons

B. Antoine – Directeur général de CPAS, chargé d’enseignement à l’UMons

[1] Willy Lahaye, Isabelle Pannecoucke, Jan Vranken & Ronan Van Rossem (éd.), Pauvreté en Belgique, Universiteit Gent / UMons, 2017.

[2] La Wallonie approche quant à elle les 22%. Alternative : en Wallonie 21,2% de la population vit dans un ménage dont le revenu net équivalent est inférieur au seuil de pauvreté (IWEPS – 1.09.2018)

[3] Willy LAHAYE, Emilie CHARLIER, Vulnérables mais invisibles, Bruxelles, PAUVéRITé, n°11, mars 2016

[4] Bouckaert N. et Schokkaert E., première évaluation du non recours au RI, RBSS, 2011, p. 613.

[5] IWEPS

[6] Chiffres : SPP-intégration sociale

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