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L’invisible gestion des fortes chaleurs par les autorités

Mélanie Geelkens
Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

La Belgique a eu chaud ! Et qu’ont fait les autorités ? Fédéralisme oblige, leur action a pu sembler (au mieux) dispersée. Mais elle n’a pas été inexistante. Et, contre toute attente, des mesures extrêmes n’ont pas été forcément nécessaires.

L’herbe n’est plus verte. Ni chez le voisin, ni ailleurs. Un tapis de foin brûlé qui pique les pieds. A moins de l’avoir plantureusement arrosée, et d’avoir ainsi dérogé à la seule instruction publique proclamée au cours de ces ardentes semaines. Encore qu’  » instruction  » soit un brin fort, une recommandation, plutôt : utilisez l’eau potable avec parcimonie.  » Et évitez tout gaspillage « , préconisait Céline Fremault, ministre bruxelloise de l’Environnement (CDH), dans les médias, le 26 juillet dernier.

La Belgique a transpiré comme jamais (52 jours d’été, plus qu’en 1976), et c’est tout ? Pas de plan global déployé à la française, avec sa page spéciale sur le site Web du gouvernement, baisse de 20 kilomètres/heure sur les routes de certains départements, circulation alternée en Ile-de-France comme lors de pics de pollution, interventions médiatiques d’une ministre de la Santé répétant les mesures prises pour aider sans-abris et personnes âgées… C’était sans compter sur le fédéralisme belge, qui complique toute communication coordonnée. Et puis, on a beau vivre un réel été malgré les orages et la pluie qui ont rappliqué, il n’y a en fait pas lieu de paniquer.

La situation était beaucoup plus critique l’année dernière

Bronzez en paix (pas trop, quand même, la déshydratation, tout ça, tout ça…), la canicule est sous contrôle. Celle de 2003 – qui avait tué 15 000 personnes (surtout âgées) en France et 99 chez nous (par rapport aux statistiques de décès sur les périodes estivales précédentes) – et sa gestion calamiteuse par les pouvoirs publics avaient engendré la mise en place d’un  » plan fortes chaleurs et pics d’ozone « . Toujours en application, il est chapeauté par la cellule interrégionale de l’environnement (Celine), celle-là même qui, parfois, en hiver, lance des alertes smog et avertit des pics de pollution. Or, pour l’instant, rien à signaler. Ni au niveau dioxyde d’azote, ni au niveau particules fines. Quant au taux d’ozone, le seuil d’avertissement européen a été dépassé à cinq ou six reprises, ce qui n’implique rien d’autre que d’informer des dangers et des comportements à favoriser.

Niveau 2 de la menace solaire

Question chaleur, en réalité, le pays n’a quitté la  » phase de vigilance  » – celle qui est automatiquement adoptée du 15 mai au 30 septembre chaque année – que le 20 juillet dernier (après une première alerte, fin juin). Pour entrer dans le niveau deux de la menace solaire, la  » phase d’avertissement « , résultant d’un savant calcul baptisé Tcumul (en gros, lorsque la différence, sur cinq jours, entre le seuil de 25 degrés et les températures maximales prévues est supérieure à 17 degrés). Celine avertit alors les cabinets régionaux concernés qui, à leur tour, alertent les services publics, les communes, les hôpitaux, les crèches, les maisons de repos, les CPAS… Toutes les structures susceptibles d’être en contact avec les personnes les plus exposées (jeunes, personnes âgées, isolées, défavorisées…) et qui prendront leurs propres mesures concrètes, inspirées des recommandations venues d’en-haut.

Céline Fremault, ministre bruxelloise de l'Environnement :
Céline Fremault, ministre bruxelloise de l’Environnement :  » Evitez tout gaspillage. « © JEAN MARC QUINET/reporters

Quant à la  » phase d’alerte « , la pire, elle n’a pas été déclenchée une seule fois en quatorze ans. Pas assez chaud, pas assez de pics d’ozone, pas de nécessité aux yeux des autorités d’intensifier les mesures induites par l’échelon intermédiaire.  » L’année n’est pour nous pas exceptionnelle, si ce n’est que les phases d’avertissement sont plus longues, souligne Philippe Maetz, collaborateur scientifique à Celine. Ce n’est pas comparable à 2003 ou même à 2006.  »

Idem côté eau. Sauf en Flandre, une question de manque de profondeur des nappes phréatiques, qui se remplissent vite et qui se vident également plus rapidement. Mais les réserves wallonnes et bruxelloises sont, elles, parfaitement distancées. Même si la consommation augmente,  » la situation était beaucoup plus critique l’année dernière, observe Benoît Moulin, porte-parole de la Société wallonne des eaux (SWDE). Car la période de chaleur en juillet était beaucoup plus courte, mais précédée de onze mois de déficit de pluviosité. Cette année, les précipitations ont été normales en hiver et le manteau neigeux est resté longtemps, ce qui est idéal « .

Bref, à part une dizaine de points de tension spécifiques (Hotton, Rochefort, Durbuy…), tout baigne. Pour le moment.  » C’est clair que si on vit encore un mois complet de sécheresse, ça deviendra problématique.  » La cellule wallonne de crise, qui rassemble politiques et acteurs du secteur, se réunit régulièrement pour faire le point.

Nouveau : une cartographie des
Nouveau : une cartographie des  » îlots de fraîcheur  » dans la Région bruxelloise.© Bruxelles Environnement – Fond de plan: Brussels UrbIS – CIRB IGN

Question de bon sens

Alors que faire, si ce n’est appeler à la modération ?  » On ne conseille d’ailleurs jamais aux citoyens de gaspiller l’eau « , sourit Marie-Eve Deltenre, responsable communication de Vivaqua. Question de bon sens. Que les pouvoirs publics s’emploient à rappeler : difficile en cas de canicule de faire dans l’originalité. Céline Fremault a toutefois tenté une nouveauté : une cartographie des  » îlots de fraîcheur  » dans la capitale, des endroits où le soleil tape un peu moins fort grâce au vent, à l’ombrage des arbres, la présence de points d’eau… Sinon, l’Aviq (agence wallonne pour une vie de qualité) recommande de boire suffisamment, d’éviter de s’exposer en plein cagnard, de s’habiller avec des vêtements amples en matière naturelle… Et, accessoirement, de n’abandonner ni bébé ni enfant dans une voiture stationnée. Ni animal, s’il fallait le préciser.

Certaines communes, quant à elles, luttent contre les flammes. A Tournai, une ordonnance interdit les feux de camp, d’artifice, les lanternes chinoises, voire certains barbecues publics situés trop près de végétations inflammables. D’autres combattent la solitude. A Huy et Wanze, les aînés reçoivent un coup de fil quotidien, histoire de voir si tout va bien. Thuin et Binche offrent une bouteille d’eau aux plus de 85 ans. La Louvière envoie une lettre reprenant conseils et structures vers lesquelles s’orienter. Bruxelles a ouvert une ligne d’appel gratuite et oriente les personnes isolées vers ses maisons de quartier. Quaregnon met à disposition de sa population une salle climatisée.

Moins centralisé, certes, que le plan canicule français. Mais pas inexistant. L’herbe n’est, décidément, plus verte nulle part.

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