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« L’antisémitisme profondément ancré dans l’idéologie djihadiste »

Le Vif

L’antisémitisme est profondément ancré dans l’idéologie salafiste et djihadiste. En outre, un terroriste disposant de moyens limités a davantage tendance à viser des symboles qu’une cellule puissante, qui privilégiera quant à elle une action de masse, a souligné auprès de l’agence Belga Thomas Renard, expert en contre-terrorisme à l’Institut Egmont, à la veille du début du procès de Mehdi Nemmouche devant la cour d’assises de Bruxelles.

En 2014, au moment de l’attentat au Musée juif de Bruxelles, les autorités ont déjà une vision assez claire de la menace. La problématique des combattants étrangers est connue, particulièrement en Belgique, et les services de sécurité travaillent de manière intense pour assurer un suivi de ces individus, rappelle le chercheur. « Ils sont considérés comme la principale menace terroriste, même si l’hypothèse d’un attentat n’est pas encore aussi tangible. L’attaque au Musée juif a concrétisé cette menace. »

La tuerie du 24 mai 2014 est le premier attentat commis en Europe par un « returnee » de l’État islamique, Mehdi Nemmouche ayant été reconnu par d’anciens otages de l’organisation comme l’un de leurs geôliers, au côté de Najim Laachraoui, l’un des kamikazes de Brussels Airport. Avant de se faire exploser à Zaventem, ce dernier avait d’ailleurs envisagé de commettre un enlèvement pour exiger, en échange, la libération de Mehdi Nemmouche.

Selon le journaliste français Matthieu Suc, les deux hommes faisaient partie, en compagnie d’autres membres des commandos de Paris et Bruxelles, de l’Amniyat, soit les forces spéciales de l’EI chargées notamment de planifier des attaques en Europe.

« Nemmouche peut être vu comme le premier auteur présumé d’une longue série d’attentats commis par cette cellule et qui se poursuivra avec Verviers, le Thalys, Paris, Bruxelles, ainsi que les projets qui n’ont pas été concrétisés comme l’aéroport de Schiphol », appuie M. Renard. « Ce réseau a-t-il été complètement démantelé? », s’interroge-t-il.

Celui qui comparaîtra dès lundi devant la cour d’assises en compagnie de Nacer Bendrer, accusé de lui avoir fourni des armes, vouait un véritable culte à Mohamed Merah, ressort-il de plusieurs de ses déclarations. Le terroriste toulousain, auteur de sept assassinats notamment dans une école juive en mars 2012, est une « grande figure du djihadisme francophone, à l’image de Khaled Kelkal », l’un des auteurs de l’attentat dans le RER parisien en 1995, souligne Thomas Renard.

« L’antisémitisme est profondément ancré dans l’idéologie salafiste et djihadiste. Les symboles juifs sont souvent visés. A Paris et Bruxelles, on a tué de manière plus indiscriminée, bien qu’à Zaventem, un type de passagers et de compagnies étaient plus particulièrement visé », rappelle le chercheur.

Le choix de la cible dépend également de la capacité d’action, explique-t-il. « En matière de terrorisme, le message est plus important que les victimes elles-mêmes. Si un groupe ‘fort’ peut réaliser une tuerie de masse, un groupe plus faible, à plus petit échelle, visera davantage des symboles comme un policier, un militaire ou un juif. »

Lorsqu’il a eu la parole à l’audience préliminaire, fin décembre, Mehdi Nemmouche, qui clame son innocence, est apparu comme l’anti-thèse de Salah Abdeslam. En avril, ce dernier n’avait pris la parole que quelques secondes pour affirmer qu’il ne plaçait « sa confiance qu’en Allah » et n’avait pas assisté à la suite de son procès devant le tribunal correctionnel de Bruxelles.

« Nemmouche n’est pas dans une action suicide et avait probablement comme objectif de recommencer », selon M. Renard. « Dans les milieux djihadistes, la prison était traditionnellement vue comme un échec, il valait mieux mourir en martyr », explique l’expert. « Des études montrent un certain changement pour les nouvelles générations, qui la considèrent comme un terrain de recrutement intéressant. Mais Nemmouche n’est pas dans cette voie. Il sait que les mesures de sécurité particulières dont il fait l’objet en prison ne lui donnent pas l’occasion d’être en contact avec d’autres détenus. »

Quant à son niveau de radicalisme, s’il affichait déjà des positions extrémistes dès ses 19 ans, il ressort également de témoignages proches de l’enquête que l’auteur présumé de l’attentat au Musée juif était un grand fan de Charles Aznavour et des Inconnus, des marqueurs de la culture occidentale à l’opposé des préceptes de l’État islamique.

« Cela témoigne bien de la situation de ces jeunes djihadistes européens pris entre plusieurs cultures et qui se radicalisent à un moment donné pour des raisons diverses », commente Thomas Renard. « Cela peut être la suite d’un parcours religieux, un mouvement social via un ami… Ils consomment du tabac et de l’alcool, écoutent de la musique alors que c’est interdit par l’organisation. Il y a énormément de paradoxes et de contradictions par rapport à l’EI, ce sont des individus tiraillés, qui pensent trouver une raison d’être, qui veulent parfois faire acte de rédemption par rapport à leur mode de vie en Europe. Et qui en général se rendent compte par la suite que les choses sont bien différentes de ce qu’ils avaient imaginé. »

De manière globale, plusieurs défis en matière de terrorisme vont se présenter en 2019, selon le chercheur.

« On a la perception d’une menace diminuée chez nous, mais ce n’est pas forcément le cas chez nos voisins. Les returnees qui vont sortir progressivement de prison vont mettre sous pression les services de sécurité qui doivent assurer leur suivi. Il y a la centaine de Belges qui se trouvent encore en Syrie et en Irak, et dont la plupart ne peuvent pas être localisés à l’heure actuelle. Vont-ils revenir en Belgique ou réapparaître ailleurs? Et avec quelles intentions? Il faudra aussi, à un moment, prendre une décision pour ceux qui se trouvent dans des camps de réfugiés et qui veulent rentrer. Enfin, le terrorisme d’extrême droite est en recrudescence. Il y a un potentiel et des réseaux, des groupuscules tombés dans l’oubli qui se voient à nouveau légitimés par certains types de discours, et des actes violents en pleine expansion. »

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