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« Il n’y aura probablement jamais d’armée européenne »

Kamiel Vermeylen Journaliste Knack.be

Cette année, l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) célèbre son soixante-dixième anniversaire. Mais elle est sous pression, tant sur le flanc américain que russe. Pascal Heyman, le nouvel ambassadeur de notre pays auprès de l’OTAN, ne perd pas confiance : « Sur la scène internationale, on n’est pas respecté si on est faible ».

Pascal Heyman, conseiller diplomatique du ministre de la Défense Steven Vandeput (N-VA) jusqu’à fin 2018, n’y va pas quatre chemins : « Nous sommes de nouveau en compétition avec la Russie. L’intervention russe en Géorgie, en 2008, a été un signal d’alarme, et depuis le début de la guerre en Ukraine, en 2014, nous pouvons en être certains : l’époque post-guerre froide est révolue pour toujours. C’est pourquoi l’OTAN se concentre à nouveau sur l’autodéfense collective, qui est au coeur de notre organisation ».

Quand il s’agit de la Russie, le Premier ministre belge Charles Michel mise à la fois sur la réconciliation et la dissuasion. Début 2018, il a rencontré le président Vladimir Poutine dans sa résidence officielle, mais la Belgique participe également aux opérations de l’OTAN à la frontière russe dans les États baltes. Cette stratégie est-elle la bonne ?

Pascal Heyman : Notre pays doit éviter de tomber dans une logique de guerre. Nous avons tout intérêt à avoir des contacts directs avec la Russie, même s’ils ne produisent pas de résultats immédiats. Si tous les canaux se ferment, les malentendus risquent de s’aggraver.

Cela dit, vous n’êtes pas respecté sur la scène internationale si vous êtes faible, certainement pas par la Russie. C’est pourquoi il est tout aussi important que la Belgique se montre à la frontière russe et que nous surveillions l’espace aérien baltique. Bien sûr, la force de l’OTAN présente là-bas n’empêchera pas une invasion russe. Mais c’est ainsi que nous envoyons un signal aux Russes. En outre, nous ne devons pas oublier que Moscou est la cause des problèmes actuels, pas l’OTAN.

Ce dernier point fait, bien entendu, l’objet de discussions. La Russie soutient que l’OTAN s’est déplacée trop à l’Est après la guerre froide. Quand on est acculé, on fait de drôles de choses.

Tout État est autonome et a le droit souverain de rejoindre une organisation ou un groupe particulier. Compte tenu du contexte historique, je peux comprendre que Moscou n’apprécie pas, mais le droit à l’autodétermination prévaut.

Le président américain Donald Trump ne veut pas que la Géorgie adhère à l’OTAN, justement parce qu’elle défierait la Russie.

La Géorgie est en effet un dossier très difficile. Au fond, le pays est un très bon élève. Il fournit 800 forces armées pour la mission en Afghanistan ; ce qui en fait le deuxième contributeur. Cependant, le problème c’est que 20% de son territoire est occupé par la Russie, ce qui rend l’adhésion extrêmement sensible. Si on lance le processus d’adhésion de la Géorgie, on devra certainement s’attendre à une nouvelle réaction de la Russie. Néanmoins, la demande deviendra inévitable à long terme. Comment réagirons-nous si Tbilissi insiste pour avoir des explications? Si nous laissons le pays en plan, l’opinion publique géorgienne risque d’être désillusionnée.

À la fin de l’année dernière, les États-Unis ont annoncé leur intention de se retirer du Traité FNI parce que la Russie ne respecte pas les accords. Ce traité, qui interdit les missiles d’une portée de 500 à 5500 kilomètres, est-il condamné?

Sous la présidence de Barack Obama, il y avait déjà de fortes indications que la Russie développait un système de missiles contre le Traité FNI. Moscou a toujours nié, mais les preuves sont désormais indéniables. Washington a donné 60 jours aux Russes pour se conformer au traité. Dans le cas contraire, la clause d’annulation sera activée (la date limite est le 2 février, NDLR). Comme l’Europe risque d’être la grande perdante, nous essayons de convaincre la Russie que son système de missiles doit disparaître. Mais ça n’a pas l’air bon.

La Chine n’inquiète-t-elle pas surtout les États-Unis? Pékin n’a pas signé le Traité FNI et peut donc développer ces missiles sans aucun problème.

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les États-Unis ont un désavantage concurrentiel par rapport à la Chine. De ce point de vue également, il est compréhensible que les États-Unis remettent en question le traité. Idéalement, un nouveau régime multilatéral de maîtrise des armements sera mis en place en cas d’échec du FNI.

Donald Trump n’est pas le premier président américain à demander plus d’efforts à ses alliés de l’OTAN, mais ce message n’est jamais passé, pas même en Belgique.

Nous ne pouvons pas simplement supposer que nous pourrons nous cacher sous le parapluie de la sécurité américaine, mais entre-temps, la Belgique ne dépense qu’un petit pourcentage de son produit intérieur brut (PIB) en défense. Cela nous place en avant-derniers – ce qui n’est guère une position enviable.

D’ici 2030, cette part n’augmentera que légèrement pour atteindre 1,3 % du PIB.

Nous sommes beaucoup trop lents. Le gouvernement Michel I voulait que la Belgique se rapproche de la moyenne européenne (aujourd’hui, elle représente 1,5% du PIB, NDLR), mais d’autres États membres européens augmentent également leurs dépenses de défense. Nous continuerons d’accuser un retard par rapport à cette moyenne. Nos partenaires attendent beaucoup plus de nous. Le prochain gouvernement devra s’en occuper.

© Jelle Jansegers

Par rapport à il y a dix ans, le nombre de soldats belges participant à des opérations a diminué de 40%. L’OTAN en tient également compte.

Nous ne sommes plus actifs au Liban, où un groupe important de soldats belges ont participé à la mission des Nations Unies. A l’heure actuelle, à l’exception de la MINUSMA au Mali, il y a peu de missions de l’ONU qui sont utiles tant pour les pays partenaires que pour la défense belge. Le fait est qu’il est difficile de mesurer les contributions opérationnelles. Une opération à haut risque dans le nord de l’Afghanistan n’est-elle pas plus importante qu’une mission en Lituanie, par exemple ?

L’armée belge est en train de disparaître progressivement : en 2030, elle comptera encore 25.000 hommes et 1000 réservistes. En revanche en Allemagne, par exemple, on augmente le nombre de forces armées.

Encore une fois, les chiffres ne disent pas tout. Suite aux réformes de l’appareil de défense belge, le nombre de forces mobilisables d’ici 2030 sera supérieur à ce qu’il est actuellement. À l’heure actuelle, un grand nombre de militaires s’acquittent principalement de fonctions de soutien. L’objectif est de déléguer un certain nombre de tâches au secteur privé. Par exemple, à l’avenir, notre personnel préparera moins de repas et assurera moins de gardes. Cela nous permettra de nous concentrer davantage sur nos tâches essentielles.

Dans le secteur de la défense, on demande par ailleurs de suspendre temporairement la participation aux opérations à l’étranger. Cela ne risque-t-il pas de miner davantage la crédibilité de notre pays ?

En raison de la pyramide des âges, il y a effectivement un essoufflement, auquel nous devrons faire face dans les années à venir. Reste à voir comment se dérouleront les recrutements. Quoi qu’il en soit, nous devons éviter de réduire ce que nous savons faire.

Parlons de l’Union européenne. De plus en plus de voix s’élèvent pour que l’Union soit plus indépendante. Cela ne minerait-il pas l’OTAN ?

Le problème c’est que personne ne sait exactement ce que signifie cette « autonomie stratégique » de l’UE. Les États membres vont-ils soudainement développer ou acheter toutes les ressources mises à disposition par les États-Unis par l’intermédiaire de l’OTAN ? Il n’y a ni la volonté ni l’argent, surtout vu le Brexit. C’est pourquoi personne en Europe ne conteste l’importance de l’OTAN. Les chefs d’État européens se targuent parfois d’une « armée européenne » dans leurs discours, mais soyons clairs : il n’y a pas d’armée européenne et il n’y en aura peut-être jamais. Si les alliés européens de l’OTAN dépensent davantage pour la défense à l’avenir, cela renforcera les capacités militaires de l’OTAN et de l’UE. Si, à un moment donné, l’OTAN ne ressent pas le besoin d’intervenir, les pays européens peuvent mener des opérations dans l’intérêt collectif de l’Union.

Washington vient de dégrader le statut diplomatique de l’UE sans notification préalable. Cela ne prouve-t-il pas que l’Europe perd en importance pour les États-Unis ?

Je ne crois pas, non. Il y a maintenant plus d’acteurs sur la scène mondiale dont les Américains doivent tenir compte – en tant qu’acteurs mondiaux, ils doivent simplement élargir leurs horizons. Il est clair, cependant, que nous devrons tous fournir davantage d’efforts pour maintenir l’important lien transatlantique.

De plus, depuis la Guerre froide, il n’y a jamais eu autant de soldats américains que maintenant. Vous pouvez dire ce que vous voulez de Trump, mais l’engagement des États-Unis sur le sol européen reste énorme.

L’OTAN n’a actuellement aucune compétence pour les nouvelles menaces que représentent les migrations et le changement climatique. L’OTAN est-elle suffisamment préparée à l’avenir ?

En mer Égée, l’OTAN a surveillé les eaux turques et grecques contre les flux migratoires illégaux, une opération que l’Union européenne n’a pas pu mener seule en raison des sensibilités territoriales. Mais d’une manière générale, nous en faisons encore trop peu pour l’instant. Nous devons également nous demander si l’OTAN est l’organisation la plus appropriée pour résoudre la question des migrations. Voulons-nous vraiment répondre aux vagues de migration par des moyens militaires, sauf dans des circonstances extrêmes ?

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