La performance Mount Olympus de Jan Fabre © Isopix

Harcèlement : de nouveaux témoignages accablent l’artiste Jan Fabre

Celine Bouckaert
Celine Bouckaert Journaliste au Vif

Mercredi, une vingtaine de collaborateurs et de stagiaires de Jan Fabre publiaient une lettre ouverte pour se plaindre du comportement de l’artiste anversois. Deux jours après leurs révélations, les quotidiens De Morgen et De Standaard relaient une série de témoignages de danseuses qui sont accablants pour Fabre.

Sous couvert d’anonymat, plusieurs employées font le récit de leur passage dans la troupe de Jan Fabre, Troubleyn. Fatiguées par le harcèlement de l’artiste, les danseuses ont claqué la porte. Bien qu’elles n’aient jamais travaillé en même temps pour la troupe, leurs récits coïncident. Toutes les trois, elles font d’état d’une ambiance toxique et de harcèlement sexuel.

« Nous n’avions pas l’intention de nous adresser aux médias, mais c’est lui qui a entamé ce débat en accordant une interview à la VRT en juin. Il y prétend hardiment qu’il n’y a jamais eu de comportement sexuellement transgressif dans sa compagnie. C’est inadmissible. Il faut savoir qu’à ce moment-là, deux personnes venaient de quitter Troubleyn à cause de #MeToo », expliquent trois danseuses interrogées par le quotidien De Morgen.

Insultes

Laila (nom d’emprunt) raconte son passage dans la troupe de Jan Fabre. Euphorique après avoir décroché un contrat dans sa compagnie, elle déchante rapidement et quitte la compagnie après six mois. « Il y avait un véritable climat de peur au travail. Nous travaillions très dur, et pas uniquement par passion. Nous avions peur d’être victimes de ses insultes. Sa méthode consistait en un système arbitraire de punition et de récompense. J’avais un petit solo dans la pièce par exemple, mais il me le prenait et rendait à tout bout de champ en fonction de son humeur. C’était extrêmement perturbant. Tous les matins, j’étais stressée en entrant dans le studio », raconte-t-elle.

Les choses n’en restent pas là. Lors de la tournée, Fabre exige tous les soirs qu’elle enlève son t-shirt lors du sound check. « Il n’y avait pourtant aucune raison de faire ça en slip », dit-elle. « Autour de moi, il y avait chaque fois des techniciens que je ne connaissais ni d’Ève ni d’Adam. Tous les soirs, j’appréhendais très fort ce moment d’humiliation. »

Âgée de 25 ans à l’époque des faits, Lizzy (nom d’emprunt) a vécu une expérience similaire. Au début, elle s’entend très bien avec l’artiste, le trouve génial et lui accorde toute sa confiance. « J’avais le sentiment qu’ensemble nous allions réaliser quelque chose de noble. Nous étions des guerriers de la beauté, et j’étais prête à aller jusqu’au bout », raconte-t-elle au Morgen.

Cependant, le vent tourne et rapidement le comportement de Fabre la fait souffrir. Engagée dans une production où elle doit chanter, elle demande à Fabre de préserver sa voix. « Pendant les répétitions, Fabre voulait m’entendre hurler. J’ai essayé de protéger ma voix, mais comme il criait tellement quand je ne faisais pas ce qu’il voulait, je faisais ce qu’il voulait. Après quelque temps, j’avais du sang dans la bouche quand je criais, mais on n’en tenait pas compte. Mes cordes vocales sont abîmées à jamais, et je n’ai pas pu participer au spectacle où je devais chanter », explique-t-elle.

Un soir de tournée, Fabre l’attire dans sa chambre d’hôtel sous prétexte de boire un verre avec les autres danseurs. Elle constate en entrant qu’elle est seule avec lui. Rapidement, il tente de l’embrasser. Quand elle refuse, il lui dit qu’elle ne doit pas compter sur un solo si elle ne couche pas avec lui. « Il regarde le lit avec ostentation et me dit que je sais ce qui me reste à faire. Je lui ai même demandé si je ne pouvais pas prendre le temps de tomber amoureuse », dit-elle. « C’est maintenant ou jamais », réplique-t-il. Elle finit par dire non, et quitte la pièce, sans recevoir aucune excuse de la part de l’artiste.

Lizzy a terminé la tournée, mais n’a pas prolongé son contrat. Elle souligne qu’il est très facile de se laisser piéger par l’artiste qui possède également un pouvoir financier. Elle ajoute que Fabre n’est pas le seul coupable. « Ses assistants sont au courant, le conseil d’administration est complice, et même les autres danseurs ont leur part de responsabilité comme témoins. Il n’y a personne qui s’oppose à lui, et quand vous le faites, le groupe vous abandonne à votre sort », déplore-t-elle.

Cocaïne

Interrogée par De Standaard, une danseuse raconte la manipulation dont elle a fait l’objet quand elle travaillait pour Fabre. Son témoignage anonyme est accablant pour l’artiste. « À moment donné, Fabre m’a demandé de participer à un projet photographique qui aurait lieu chez lui. Il payerait en liquide et ce serait sans contrat. Le concept était que je me masturberais, mais qu’il ne photographierait que mes yeux. Ce n’était pas clair si je devais faire semblant ou si tout devait être vrai. J’étais sous pression pour dire oui, parce que c’était peut-être une opportunité pour autre chose. »

« Lors de ces séances photo, il m’offrait du vin et plus aussi de la cocaïne, en me poussant à en prendre. Je n’avais jamais consommé de drogue de ma vie, mais je me sentais tellement mal à l’aise et gênée, que j’ai accepté la cocaïne, dans l’espoir que cela faciliterait les choses », raconte-t-elle. Pour la danseuse, c’est là la technique de Fabre. « Il est maître dans l’art de la manipulation, surtout de jeunes en début de carrière. Il se permet un comportement inapproprié sous prétexte de performance artistique », déclare-t-elle.

Jeudi, Fabre et sa troupe ont déploré être victimes d’un procès « sans aucune plainte officielle préalable ». La compagnie indique sur son site internet « qu’une personne de confiance » a été désignée au sein de l’entreprise et que des procédures existent pour dénoncer tout comportement inadéquat. Par ailleurs, « une frontière claire est maintenue chez Troubleyn: tout est fait dans le consentement mutuel et le respect. Personne n’est forcé de faire quoi que ce soit qui serait vécu comme inacceptable pour lui ou elle ».

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