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FGTB : l’inévitable régionalisation ?

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

Tiraillé entre les partisans et les adversaires d’une régionalisation accrue, et entre certains Flamands et francophones, le syndicat socialiste joue de plus en plus à l’équilibriste. Les donnes socio-politiques différentes au Nord et au Sud du pays font tanguer le navire rouge. Chamboulements en vue ?

Le sujet n’est pas à l’agenda… mais tout le monde en parle : officiellement, la régionalisation accrue, voire la scission, de la FGTB fédérale n’est pas abordée dans les instances du syndicat. Informellement, c’est autre chose.  » Les militants en parlent aussi, glisse Daniel Richard, secrétaire régional interprofessionnel Verviers-Communauté germanophone, et régionaliste affiché. Ils se demandent à quoi cela rime de garder une structure fédérale si, décidément, plus aucune ligne commune n’est possible avec les Flamands.  »

La question n’est pas vieille comme le monde, mais pas loin. Ce qui est différent, cette fois, c’est le contexte socio-politique : le rapport de force issu des urnes, totalement différent en Flandre (plutôt à droite) et en Wallonie (plutôt à gauche) ; la représentation disproportionnée des votes francophones et flamands au sein du gouvernement fédéral ; et, toujours, une situation économique très peu homogène, des deux côtés de la frontière linguistique.  » Oui, des gens pensent à régionaliser la FGTB, confirme Robert Vertenueil, son secrétaire général. Pas parce que le syndicat est arrivé au bout de son modèle, mais pour prendre en compte la réalité politique et sociologique des Régions. Ça me paraît une réflexion saine et nécessaire. Mais nous ne nous organisons pas en fonction d’une éventuelle 7e réforme de l’Etat.  »

Robert Vertenueil, secrétaire général de la FGTB.
Robert Vertenueil, secrétaire général de la FGTB.© ERIC LALMAND/BELGAIMAGE

Parant au plus pressé, la FGTB tente d’abord de s’opposer aux mesures annoncées par le gouvernement fédéral, dans tous les secteurs qui la concernent : pensions, soins de santé, flexijobs… Avec un résultat pour le moins mitigé.  » En trois ans d’actions et de protestations, qu’a-t-on obtenu ? interroge un président de régionale. Rien.  » On sait que la grève passe mal dans la population, forçant toutes les organisations syndicales à repenser leurs modes d’action. Les Flamands du syndicat socialiste sont, eux, dans une situation inconfortable. D’abord parce que l’ABVV, aile flamande de la FGTB, est très minoritaire en Flandre. Participer à un mouvement de grève sans que la CSC en soit leur semble suicidaire. Ensuite, parce que dans leurs rangs ne figurent pas que des militants de gauche, loin s’en faut.  » Il n’y a plus une adhésion automatique aux idées socialistes quand on est à la FGTB « , constate un ténor namurois. Il y a, bien sûr, des électeurs de la N-VA ou de l’Open VLD au sein de l’ABVV. Il faut aussi les entendre… et les représenter en haut lieu. Certains syndicalistes flamands estiment ainsi qu’un mouvement de grève réclamé par les Wallons peut causer un tort économique à la Flandre. Donc, ils n’en veulent pas.

On comprend que l’appel à une  » union des gauches  » après 2019, lancé par le secrétaire général de l’interrégionale wallonne Thierry Bodson, ait fait froncer quelques sourcils en Flandre où la gauche ne pèse pas du tout du même poids qu’en Wallonie. Qu’Ecolo/Groen et le PTB/PVDA jouent la carte de l’unitarisme ne facilite pas les choses…  » Ce n’est pas l’approche de mobilisation qui est différente au Nord et au Sud du pays mais le rapport de force politique dans les Régions, insiste Thierry Bodson. Je rappelle que le nombre de jours de grève chez De Lijn n’est pas inférieur à celui des TEC. Mon appel à l’union des gauches avait été discuté au niveau fédéral. Mais sur le plan politique, les interrégionales sont autonomes. Le câblage du message est différent quand le message est politique.  »

Nico Cué, président de la centrale Métal CGSP.
Nico Cué, président de la centrale Métal CGSP.© KRISTOF VAN ACCOM/BELGAIMAGE

L’ABVV marche aussi sur des oeufs parce qu’elle ne veut pas donner du grain à moudre à Bart De Wever, président de la N-VA, qui honnit tout ce qui ressemble de près ou de loin à un syndicat.  » Mais sous ce prétexte, on ne fait plus rien, maugrée un ténor de la FGTB. Et cela n’a de toute façon aucun effet sur ce parti.  » Il y a deux ans, les Flamands de la CGSP (Centrale générale des services publics) avaient refusé de partir en grève alors que leur alter ego francophone y appelait… L’action organisée le 23 octobre dernier à Charleroi a été longuement discutée pour s’assurer qu’il n’y aurait pas de déséquilibre dans le suivi entre Flamands et francophones.  » L’envie de réagir face aux décisions du gouvernement fédéral est plus forte en Wallonie parce que, du fait de leur situation socio-économique difficile, les Wallons sont plus touchés, résume Angela Sciacchitano, coordinatrice des Jeunes FGTB. Du coup, les centrales les plus radicales attendent de la FGTB fédérale qu’elle soit elle aussi, plus radicale. Mais ce n’est pas possible à cause des Flamands.  » Au bureau fédéral, ce sont ces tensions que certains trouvent de plus en plus difficiles à vivre.  » Le sentiment existe, côté FGTB francophone, que l’on ne peut pas se laisser marcher sur les pieds « , résume Jean Faniel, directeur du Crisp (Centre de recherche et d’information socio-politiques).

De fait. Certains d’entre eux s’inquiètent de voir que les Flamands occupent de plus en plus l’appareil du syndicat, les services centraux, les services d’étude et la présidence de la majorité des centrales. Or, au sein du syndicat socialiste, une grande machine extrêmement décentrée, le pouvoir est aux mains des différentes centrales syndicales bien plus qu’au niveau du bureau fédéral. Toutes ces centrales, à part celle du métal, scindée en deux ailes régionales, s’articulent toujours sur une structure fédérale.

Herwig Jorissen, président de la centrale ABVV.
Herwig Jorissen, président de la centrale ABVV.© PHILIP REYNAERS/PHOTO NEWS

Depuis cinq ans, l’ABVV voit par ailleurs augmenter le nombre de ses membres, tandis que la FGTB wallonne est en recul. Entre 2012 et 2016, les affiliés de la première sont passés de 715 258 à 735 583, tandis que ceux de la seconde reculaient de 634 503 à 609 466. Ceux de Bruxelles étaient globalement stables, autour de 190 000.  » On commence à comprendre les frustrations que les francophones de la CSC, largement dominée par les Flamands, connaissent depuis longtemps « , soupire un secrétaire régional.

 » Les débats sont compliqués mais ils le sont tous, relativise Robert Vertenueil. Si j’écoutais les francophones, le pays serait à l’arrêt demain. Si j’écoutais les Flamands, il le serait dans trois mois. Mais dans les deux cas, j’insiste, le pays serait à l’arrêt. Alors, on trouve un compromis.  »

A la FGTB, ils sont très nombreux à plaider pour que le syndicat reste unitaire, insistant notamment sur le fait que les Flamands ne forment pas un bloc monolithique.  » A Anvers, l’alliance conclue entre Groen et le SP.A pourrait faire changer les choses au détriment de la N-VA de Bart De Wever « , remarque Antonio Cocciolo, président des métallos Hainaut-Namur.  » C’est vrai qu’il y a des différences entre les cultures syndicales en Flandre et en Wallonie, abonde Frank Moreels, secrétaire fédéral de l’Ubot (Union belge des ouvriers du transport et de la logistique). Mais on devrait renforcer nos actions, y compris à l’échelon international, plutôt que de se diviser au niveau régional. Chez nous, il y a unanimité contre la scission de la FGTB. Il faut une politique syndicale coordonnée entre les différentes parties du pays. Nous avons déjà des structures bruxelloise, wallonne et flamande. Il n’est pas nécessaire de faire plus.  »

La centrale Horval (alimentation, Horeca et services), elle, s’est penchée il y a dix ans sur la meilleure façon de conserver une structure unitaire avec des structures régionales plus souples.  » Les discussions n’ont pas toujours été faciles, se souvient Tangui Cornu, coprésident de la centrale. Mais notre unité en est sortie renforcée.  » Cette centrale professionnelle est la seule à disposer de deux coprésidents, l’un francophone, l’autre flamand alors que toutes les autres sont dotées d’un président et d’un secrétaire général de chaque rôle linguistique. A la FGTB, tous ont aussi en mémoire la régionalisation de la centrale des métallos, en 2006. Onze ans plus tard, personne ne voit clairement la plus-value qu’a apporté ce changement.  » Cet exemple ne nous sert pas de modèle pour nous inciter à régionaliser « , confirme Robert Vertenueil.

Au sein du syndicat socialiste, le pouvoir est aux mains des centrales bien plus qu'au niveau fédéral.
Au sein du syndicat socialiste, le pouvoir est aux mains des centrales bien plus qu’au niveau fédéral.© CAMILLE DELANNOIS/BELGAIMAGE

Et les Wallons entre eux ?

Les fgtbistes wallons eux-mêmes ne sont pas tous sur la même longueur d’onde. Liège est plus régionaliste et Charleroi, plus unitariste.  » Il n’y a pas de majorité pour régionaliser la FGTB, mais une minorité très agissante, qui tape sur le même clou depuis trente-cinq ans, tacle Antonio Cocciolo. Liège essaie régulièrement de glisser des revendications séparatistes dans les statuts de la FGTB. Nous, nous ne sommes pas demandeurs d’une scission de la FGTB fédérale. C’est l’unité des travailleurs qui fait notre force syndicale. Si on scinde le pays, le sud du pays perd 15 % de PIB (produit intérieur brut). Ce n’est pas de la rigolade ! Tout le monde sait que la Wallonie ne pourra pas s’en sortir.  »

Nous y voilà. Tandis que les uns songent à régionaliser l’appareil indépendamment de ce qui se passe pour l’Etat belge, les autres n’imaginent de modifier la structure que si l’Etat évolue lui aussi. Et là, nul ne sait, pour l’heure, à quoi s’attendre. Mais si la sécurité sociale, dont les allocations familiales ont déjà été régionalisées, le Code du travail ou les commissions paritaires sont régionalisées, la FGTB fédérale ne sera plus que coquille vide.  » Si on perd le caractère fédéral de la sécu, mécaniquement, la FGTB s’adaptera, assure Daniel Richard. Le principe est acquis, il n’y a même pas de débat là-dessus.  »

FGTB : l'inévitable régionalisation ?

Lors de la mise en place de la 6e réforme de l’Etat, la FGTB fédérale n’a pas agi autrement, cédant une manne financière à ses ailes régionales pour qu’elles puissent assumer les matières nouvellement léguées aux Régions. De quoi engager du personnel supplémentaire et muscler les services d’étude régionaux. Le même transfert de fonds et de personnel se produirait en cas de 7e réforme. Que resterait-il alors à gérer, au niveau fédéral ?

 » Si on touche à la sécu, on sera très hargneux « , prévient Tangui Cornu.  » Dans ce cas de figure, la FGTB implosera, embraie Antonio Cocciolo. Ça m’inquiète. On irait alors vers une concurrence entre Régions. Et les francophones risquent de devoir se disputer les morceaux qui restent.  » Du coup, la régionale Hainaut-Namur des métallos prépare dès aujourd’hui ses ouailles à l’hypothèse d’une 7e réforme de l’Etat. Un argumentaire  » contre  » commence à circuler dans les entreprises. Dans le cadre de la 6e réforme, sous le gouvernement Di Rupo, les allocations familiales ont pourtant déjà été régionalisées.  » Une erreur « , clament en choeur les responsables de la FGTB.  » Les coûts fixes de la gestion ont été multipliés par trois et les Régions finissent quand même par s’aligner l’une sur l’autre, constate Thierry Bodson. Tout régionaliste que je sois, je ne suis pas demandeur d’une régionalisation accrue de l’Etat. Quant à la FGTB, même si des matières sont régionalisées, on a intérêt à défendre des revendications communes au Nord et au Sud du pays.  »

Tout dépendra des hommes qui dirigeront, demain, la FGTB. Quelques départs de pointures sont annoncés dans les deux ans qui viennent : Rudy De Leeuw, président fédéral, Philippe Van Muylder, président de la FGTB Bruxelles, Nico Cué, patron des métallos francophones, Francis Gomez, patron des métallos liégeois et de la fédération Liège-Huy-Waremme…

L'exclusion de chômeurs longue durée sous le gouvernement Di Rupo a réduit les budgets syndicaux.
L’exclusion de chômeurs longue durée sous le gouvernement Di Rupo a réduit les budgets syndicaux.© DIDIER LEBRUN/PHOTO NEWS

Tout-puissants présidents

Comme si cela ne suffisait pas, les organisations syndicales, dont la FGTB, sont tenues de repenser leur structure, d’ici à 2020, en raison du rapprochement des statuts ouvriers et employés, acté en 2013. Le syndicat socialiste aura-t-il à l’avenir moins que ses six centrales actuelles ?  » On va vers leur maintien, mais avec des rayons d’action différents, précise Robert Vertenueil. Deux centrales pourraient toutefois fusionner : les métallos souhaitent un rapprochement ou une fusion avec la Centrale générale.  » La lutte sera âpre entre ceux et celles qui dirigent ces structures. La réflexion n’est d’ailleurs pas très avancée. Les patrons de centrales en discutent entre eux, laissant à l’écart tous les responsables interprofessionnels, garants d’une synthèse transversale et intercentrales.  » Les présidents de centrales sont tout-puissants, plus que le secrétariat fédéral, qui sert de cache-sexe, déplore un haut gradé de la FGTB.  » Je pense que la structure actuelle est néfaste à l’organisation, déclare un autre. L’autonomie est presque devenue un but en soi pour certains. Les centrales ne sont pas prêtes à lâcher du pouvoir. Du coup, il n’y a pas de réflexion sur la réorganisation de la FGTB.  »

Il y a pourtant une certaine urgence. D’autant que le syndicat traverse une passe difficile à travers ses caisses de paiement des allocations de chômage : certaines de ses régionales ont déposé un dossier d’entreprise en difficulté. L’exclusion des chômeurs de longue durée décidée sous le gouvernement Di Rupo a entraîné une réduction du budget alloué par l’Etat aux syndicats pour payer les allocations de chômage à leurs affiliés, puisque c’est l’une de leurs missions. Ensemble, les trois grands syndicats ont reçu l’an dernier 11,5 millions d’euros de moins qu’en 2014. A la grosse louche, une bonne moitié de ce montant a échappé aux caisses de payement de la FGTB. Perdre quelque 30 000 chômeurs exclus sur 1,5 million d’affiliés, ce n’est sans doute pas énorme, mais c’est suffisant pour devoir organiser des départs naturels sans remplacement parmi le personnel de ces caisses de chômage. A l’instar de la CSC, la FGTB songe à ne garder qu’un seul organisme de paiement centralisé en Wallonie mais rien ne se concrétise pour l’instant.

La perte de ces chômeurs signifie aussi, dans la plupart des cas, la fin des cotisations qu’ils versaient au syndicat.  » Notre rôle d’organisme de paiement constitue traditionnellement une porte d’entrée pour les affiliations, rappelle un responsable régional. Vu la prolongation du stage d’attente des jeunes, nous enregistrons une diminution de moitié de ces affiliations. On murmure dans les couloirs de l’Onem que les organisations syndicales seront étranglées par la diminution des attributions d’allocations de chômage.  » Certains se frottent déjà les mains…

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