Bertrand Draguez

« Faisons-nous face à une épidémie d’indifférence en Belgique? »

Bertrand Draguez Président de Médecins Sans Frontières Belgique

Faisons-nous face à une épidémie en Belgique ? Pas d’une maladie infectieuse mais d’indifférence? Nous dirigeons-nous vers une société où le repli sur soi fait jurisprudence, où le rejet de l’autre devient « normal », sans gêne et sans scrupule?

Une société où même les femmes et hommes politiques dépassent le politiquement correct en affichant clairement la xénophobie comme composante essentielle de leur programme électoral? Une société où les individus et organisations qui aident les personnes réfugiées ou migrantes sont criminalisés? Une société où le racisme s’étale dans les commentaires sur les sites d’information, se like, se tweete, où l’empathie s’érode, où les murs et barbelés poussent telles de mauvaises herbes, où les frontières se ferment les unes après les autres?

En tant que président d’une organisation humanitaire dont le mandat est non seulement d’offrir des soins aux personnes qui en ont besoin et ce, sans distinction d’appartenance religieuse, politique ou encore d’orientation sexuelle, notre mission consiste également à dénoncer les situations inacceptables auxquels nos patients et nos équipes font face.

Aujourd’hui, je fais le choix de tirer la sonnette d’alarme pour dénoncer cette montée d’indifférence. En 2014, le monde s’insurgeait contre la propagation de l’épidémie d’Ebola créant un sentiment de peur; peur que cette maladie vienne nous toucher ici, chez nous en Europe. Notre société s’était alors indignée en le criant haut et fort…Pourtant aujourd’hui, ce même virus continue à faire des ravages à l’est de la République démocratique du Congo…mais le silence règne. Pourquoi ? Parce que cela se passe loin de chez nous ? Parce que cela ne nous affecte pas directement ?

Ceci est inquiétant pour l’évolution de notre société et remet en question des valeurs fondamentales. C’est notre responsabilité, une responsabilité quotidienne. Il s’agit des mots, gestes ou regards que l’on porte envers les autres. Dire non à l’indifférence implique avant tout d’être conscient de nos actes et de nos pensées: suis-je au courant de cela ? Est-ce que je trouve cela acceptable ? Est-ce que je fais partie de cette tendance, ou est-ce que je combats cette indifférence ? Est-ce que je dois intervenir, dans la vie, sur les réseaux sociaux ? Heureusement, je pense qu’ensemble nous pouvons arrêter la progression de cette maladie.

Ne pas être indifférent, c’est choisir de ne pas laisser des êtres humains mourir en pleine mer, de ne pas accepter qu’un hôpital soit bombardé au Yémen ou en Afghanistan

Ne pas être indifférent, c’est choisir de ne pas laisser des êtres humains mourir en pleine mer, de ne pas accepter qu’un hôpital soit bombardé au Yémen ou en Afghanistan. C’est choisir de venir en aide aux personnes vivant dans la rue près de la Gare du Nord à Bruxelles. C’est choisir de dénoncer le prix de médicaments exorbitant qui empêche les patients atteints d’hépatite C, de tuberculose ou du VIH d’avoir accès à un traitement. C’est également mettre en lumière les conditions de femmes au Liban, au Pakistan ou encore en République centrafricaine qui n’ont pas accès à des infrastructures sanitaires décentes pour donner la vie. C’est aussi se battre contre la malnutrition, la malaria ou le choléra qui tuent chaque année des milliers de personnes. Pour Médecins Sans Frontières, dire non à l’indifférence, c’est choisir d’être là où les besoins sont les plus criants.

Nous sommes convaincus que nous pouvons changer les choses en montrant notre engagement dans la vie quotidienne: dans nos relations, avec les personnes assises à côté de nous dans le bus ou le métro, dans notre comportement sur les réseaux sociaux, dans le regard que l’on porte sur un sans-abri, un demandeur d’asile ou quelqu’un que l’on estime « différent ». Ou en disant tout simplement « stop » à la surenchère de racisme et haine qui met en danger notre société. Un autre monde est à la portée de chacun d’entre nous. C’est un monde qui se construit par les actes, par l’entraide, par l’espoir.

Je sais aussi que nous ne sommes pas seuls dans cette bataille. Aujourd’hui en Belgique, nous assistons à des élans de générosité, de mains tendues vers l’autre. Que ce soit lors d’actions qui permettent de récolter des fonds pour la lutte contre le cancer, le handicap ou la pauvreté. Leurs succès montrent que les citoyens se positionnent contre l’indifférence. Grâce à ces encouragements, je suis certain que nous pouvons continuer à transmettre des valeurs telles que l’humanité, la solidarité et l’empathie, par le biais de nos actions dans le monde entier.

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