© Montage Knack

Entre flamingants : le Mouvement flamand s’enlise dans le débat identitaire

Aujourd’hui, le Mouvement flamand se préoccupe plus de burkinis que des transferts communautaires, et suit sagement la N-VA, estiment certains membres éminents. Pour eux, « la N-VA détermine aujourd’hui l’image du nationalisme flamand ».

Quatre ans après l’appel au silence communautaire du président de la N-VA, Bart De Wever , toute la Flandre reste demandeur de rien. Toute la Flandre ? Non, un petit village résiste encore et toujours: Renaix/Ronse. Dans la plus grande commune à facilités flamande, tous les partis du conseil municipal, à l’exception du sp.a, ont adopté une motion « concernant l’abolition des facilités linguistiques à Renaix » le 18 décembre 2017.

C’était un son communautaire dissonant, qui a dû faire plaisir au trio que l’on appelle parfois la conscience flamande : les députés Hendrik Vuye et Veerle Wouters et le politologue Bart Maddens (KU Leuven). Peu d’autres membres du Mouvement flamand battent aussi régulièrement le tambour communautaire et réagissent aussi vivement lorsque la N-VA, pour reprendre les mots de Maddens, « abdique totalement » les questions flamandes.

Il n’y a pas que la N-VA qui est la cible de leurs critiques. En septembre, Vuye, Wouters et puis Maddens ont publié une série d’opinions étonnante sur Knack.be. « Le débat sur la Flandre de demain est plus qu’un simple débat islamique », écrivent-ils. Qu’un homme doit serrer la main à une femme, est-ce là soudain le but suprême du Mouvement flamand ? » écrit Maddens, qui accuse le Mouvement flamand d’être victime d’une « maladie du sommeil institutionnelle » et d’être trop faible pour remettre la communauté à l’ordre du jour.

Quiconque jette un coup d’oeil rapide aux médias nationalistes flamands verra immédiatement d’où vient le vent dans ces cercles aujourd’hui. Prenez Doorbraak.be. Cela peut sembler un détail, mais il est significatif que la catégorie communautaire ne vaille pas un onglet en haut de la page d’accueil alors qu’il y a une section, bien remplie, Multiculture & Vivre ensemble. Chez’t Pallieterke aussi, on accorde peu d’attention à la cause flamande, a avoué le rédacteur en chef Karl Van Camp à Knack en avril. « Cela se produit spontanément : il n’y a pas grand-chose à écrire sur le nationalisme flamand. » Enfin, Sceptr.net, l’extension en ligne de’t Pallieterke, est déjà totalement identitaire. Il se concentre principalement sur les méfaits des non-blancs.

Il en va de même pour l’ordre du jour du Club de débat flamand. Sur les douze débats qui ont été organisés au cours des trois dernières années, au moins la moitié ont porté sur des questions identitaires telles que l’islam, le multiculturalisme ou la migration. Un seul avait une approche communautaire, le reste concernait le climat, les tueurs du Brabant ou l’UE (où l’on peut aussi facilement trouver un dard identitaire). Si même le club qui dit commencer là « où les médias s’arrêtent » ne met plus la communautaire à l’ordre du jour, qui le fera ?

Et puis il y a eu les magouilles du Overlegcentrum van Vlaamse Verenigingen (OVV) (Centre de consultation pluraliste des associations flamandes). Il s’agit notamment d’organisations radicales telles que Voorpost et IJzerwake, mais aussi de l’Algemeen Nederlands Zangverbond, du progressieve flaminganten van Meervoud et du Willemsfonds libéral laïque. Le président est Willy De Waele, bourgmestre honoraire de Lennik. Son pluralisme a pris un grand coup quand six associations sont parties. Il s’agissait principalement de petits (Fonds du Prêtre Daensfonds, Fondation Lodewijk De Raet, VTB Kultuur et Fonds Rodenbach), mais aussi d’un géant : le Davidsfonds, qui compte 40.000 membres et 5000 bénévoles. Le sixième était Schild&Vrienden. La raison invoquée par l’organisation étudiante avant son départ était la suivante : « Ne pas nuire à l’image de l’OVV ».

Effet paralysant

Bart De Valck, ancien porte-parole du Taal Aktie Komitee et aujourd’hui président du Mouvement populaire flamand, ne veut pas s’exprimer sur la question OVV. Il dit qu’il ne peut pas les blâmer pour le fait que les médias amicaux ou autres n’écrivent que peu ou pas plus sur les questions communautaires. Ils peuvent difficilement continuer à répéter la même chose sans raison. La valeur d’actualité du communautaire est bien trop faible ».

Prenez Renaix. La motion de suppression des facilités peut bien être considérée au sein du Mouvement flamand comme une « fusée politique qui a été vue jusqu’à Bruxelles et Anvers » (dixit De Valck) ou même comme un  » deus ex machina  » (dixit Moons), mais en dehors de ça l’agitation n’était pas si grave. L’urgence d’un projet de loi de Vuye et Wouters visant à modifier les facilités de Ronse par une loi spéciale a été rejetée, de même que celle d’un projet de loi presque identique de la N-VA.

Qu’est-il advenu du mouvement qui a mobilisé des dizaines de milliers de personnes pour des marches à Bruxelles, ou qui a rassemblé des centaines de personnes lors de congrès sur l’indépendance flamande ? « La N-VA, voilà ce qui s’est passé » disent à l’unisson les membres du Mouvement flamand et les observateurs consultés par Knack. Le parti a convenu d’un moratoire communautaire avec les libéraux francophones du MR, en échange d’un « gouvernement fédéral de relance socio-économique ». Cet accord est scrupuleusement suivi par la N-VA. Et la domination du parti est telle que le Mouvement flamand ne peut que se calmer », dit Vincent Scheltiens, spécialisé en nationalisme et en construction identitaire nationale à l’Université d’Anvers. S’il y a une critique du Mouvement flamand, elle ne quitte jamais vraiment l’espace autorisé par la N-VA. »

La domination de la N-VA et du président Bart De Wever paralyse également le Mouvement flamand d’une autre manière, dit Maddens. « Tout comme le Vlaams Blok à l’époque, la N-VA détermine aujourd’hui l’image du nationalisme flamand. La crainte d’être associée à elle a considérablement réduit les possibilités d’engagement au sein du « Mouvement politique flamand non partisan ».

Maddens cite encore le fameux aspirateur de De Wever, qui lui a permis de vider le Mouvement pour remplir ses listes et ses cabinets. « Il ne reste donc tout simplement pas assez de personnes pour faire le travail que le Mouvement flamand devrait faire. »

La Volksunie ou le Vlaams Blok ont également pêché dans cet étang en période de croissance électorale, mais jamais de manière aussi intensive et surtout, souligne Hendrik Vuye, le travail était beaucoup moins complexe à cette époque. « Les réformes de l’État ont donné naissance à une technologie de pointe communautaire. Ce n’est pas qu’elle fonctionne si bien, mais elle est d’une complexité diabolique. Il faut un spécialiste comme nous ou Bart Maddens pour pouvoir discuter des numéros de l’INAMI ou de la législation linguistique bruxelloise. Et les discussions contemporaines telles que la mobilité exigent également plus de réflexion que, par exemple, le transfert de l’enseignement ».

De Valck (VVB) le dit ainsi : « Dans le passé, nous nous sommes battus contre des ennemis clairs, des gens comme José Happart (PS). Aujourd’hui, nous devons lutter contre les institutions et les lois. La stratégie de la francophonie qui consiste à tout complexifier a fonctionné ».

Le syndicat de la N-VA

Maddens pense peut-être que le Mouvement flamand devrait être un peu plus énergique, il sait aussi que son rôle a toujours été subordonné au travail qui a été fait dans les cabinets et services d’études pro-flamands. Même à l’époque où, par exemple, De Standaard et Gazet d’Anvers étaient encore très flamands et où les grands fonds culturels ont pu torpiller des accords politiques comme le Pacte d’Egmont, il y a eu une véritable traction. Mais même là, la N-VA abdique totalement. Et qu’en est-il de « l’Objectif V », le groupe de réflexion sur le confédéralisme que Vuye et Wouters avaient mis en place au sein de la N-VA ? « Personne ne sait ce qu’il s’y passe », souffle Maddens. « Les N-VA me disent parfois qu’ils travaillent beaucoup plus dur qu’on ne le pense dans le plus grand secret. Mais même Bourgeois n’en sait rien, alors j’ai des doutes sur ce bunker souterrain dans la Rue Royale où une nouvelle réforme de l’Etat serait en cours d’élaboration. »

De Valck formule deux ambitions pour lui-même et pour son Mouvement populaire flamand: « Je veux faire comprendre à la N-VA que nous pouvons être une sorte de syndicat pour eux. Les socialistes, les libéraux et les démocrates-chrétiens ont appris depuis longtemps que leur syndicat peut être critique, mais en même temps, ils peuvent jouer ensemble. Aujourd’hui, la N-VA a encore trop peur des critiques. Notre relation est encore un peu malaisée. » En outre, au printemps, il souhaite mener une campagne basée sur le modèle écossais et catalan. Nous devons nous adresser aux partis politiques, aux conseils municipaux et à la société civile à l’aide de dossiers concrets. Nous devons expliquer que chaque Flamand paie 25 euros par an pour la police et les services d’urgence en Wallonie, et que cet argent ne peut donc pas aller à notre sécurité et à nos soins. »

Cette ambition est entravée par l’identité, voire le cap anti-islamique pur et simple, du Mouvement flamand aujourd’hui. Selon Karl Drabbe, éditeur de Doorbraak, le Mouvement flamand vit à nouveau la situation qui a suivi le zwarte zondag (NDLR : le surnom de la première grande victoire électorale du Vlaams Belang en 1991). Le seul symbole flamand que l’on pouvait encore porter à l’époque était celui de la « Flandre contre le racisme ». Une fois de plus, un groupe de personnes adeptes du discours identitaire et anti-islamiste retombe sur le Mouvement flamand. Et vous trouverez toujours des gens qui y sont sensibles. »

Nouveaux Flamands

La N-VA frappe donc un double coup, selon Scheltiens. « Avec le réfrigérateur communautaire, elle n’a pas seulement retiré son carburant communautaire au Mouvement flamand, elle l’a aussi forcé à suivre son propre discours identitaire, de plus en plus féroce. Et cela confirme et renforce sa propre position. »

De Valck l’écarte d’un geste de la main. « Il est logique que la N-VA joue cette carte. Nous vivons une époque incertaine. Les jeunes que je rencontre en tant que président du Mouvement flamand populaire s’intéressent à la politique, ce qui signifie qu’ils réfléchissent à l’identité et craignent la migration. Ajouté au climat politique acommunautaire, cela explique le succès de Schild & Vrienden. » Il estime donc logique que le Mouvement flamand mène aussi explicitement le débat sur l’identité. C’est aussi vrai historiquement, n’est-ce pas ? Notre lutte contre la francisation était déjà identitaire. Qu’elle soit blanche, comme dans les années 1950 et 1960, ou colorée, comme c’est le cas aujourd’hui dans la région de Dendre, la francisation a conduit et conduit à l’aliénation. Ce phénomène explique les résultats électoraux spectaculaires de la N-VA et du Vlaams Belang dans le Denderstreek. »

Malformations d’état

Qu’est-ce que tout cela dit de l’avenir du Mouvement flamand ? Survivra-t-il à cinq ans de silence communautaire ? Willy De Waele, président de l’OVV, s’intéresse déjà à cette idée. « Ce blocage nous a déjà coûté plus de 50 milliards d’euros en transferts incontrôlés vers la Wallonie ! Cela et, bien sûr, le fait que la Belgique n’est pas une démocratie, mais un pays bloqué par les malformations d’État, prime sur tout débat identitaire ». De Valck craint « une génération qui ne s’intéresse plus à l’essentiel : que la Belgique ne soit pas une démocratie ». Pour Maddens, un statu quo prolongé obligerait le Mouvement flamand à changer de cap stratégique. Ensuite, nous devrions nous concentrer sur des dossiers concrets, plutôt que sur le grand idéal de l’indépendance. Le groupe de travail VVB sur les installations est donc une bonne idée. »

Que signifie tout cela pour le grand rêve de certains, l’indépendance flamande ? Celle-ci semble plus éloignée que jamais. C’est peut-être une bonne chose, estime Drabbe. Les Flamands ne sont pas du tout prêts à négocier. Il y a 25 ans, le Mouvement populaire flamand a lancé l’idée de l’indépendance. C’était en grande partie le mérite de Peter De Roover et Jan Jambon. Ils ont ressuscité le Mouvement populaire flamand. Après des années de surplace, ils ont réussi à faire descendre des gens dans la rue. Même à ce moment-là, on se disait que la prochaine étape consisterait à élaborer une feuille de route pour l’indépendance : quel en sera le coût, quand, combien cela coûtera-t-il ? Mais après plus de vingt ans, ce n’est toujours pas le cas. Pourquoi pas ? Peut-être parce qu’en ces années de prospérité, nous nous disputions aussi sous la Tour de l’Yser. Le déclin a peut-être commencé en 1996, avec le raid du Voorpost sur le pèlerinage d’Yser ? »

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