Bart De Wever © FRANKY VERDICKT

« De Wever s’est vengé de la politique fédérale »

Le 14 octobre, les hauts responsables politiques du pays se sont battus pour leur survie et celle de leur parti. Le politologue Carl Devos évalue leurs chances pour les élections nationales de 2019.

À Anvers, la N-VA de Bart De Wever a conservé ses sièges. Sa coalition avait encore une faible majorité. Une fois de plus, cela lui a permis de se déclarer lui-même et son parti vainqueur des élections.

Carl Devos : Une belle performance, mais le résultat d’Anvers était tout juste. S’il avait eu 278 voix de moins – moins de 0,1% du nombre total – le dernier siège aurait été attribué au PVDA et non à la N-VA. Alors De Wever n’aurait pas pu dire après coup : « Nous avons réussi ! » Il avait besoin de cette phrase d’ouverture pour prétendre que la N-VA avait gagné les élections, ce qui n’était pas le cas. Je n’ai pas trouvé son explication si convaincante. Sa coalition a perdu un siège, l’opposition en a gagné un, la N-VA a reculé en nombre de voix. Ailleurs aussi, c’était beaucoup moins bon que prévu. Ce n’était pas une victoire fantastique, comme il l’a prétendu dans son « discours de victoire ».

Pourtant, De Wever est l’un des grands gagnants, en raison de son approche intelligente après les élections. Sur VTM, on pouvait clairement voir comment il s’est ouvert aux socialistes dans l’après-midi du 14 octobre, avant même que les résultats ne soient complètement connus. C’est ainsi qu’il a pu forger une nouvelle coalition, et surtout : faire un travail urgent. Il doit donner de la visibilité au côté plus soft et plus chaleureux de la N-VA. Il ne peut pas le faire par ses propres moyens. Il a besoin du sp.a pour le faire de manière crédible. Dans un an ou deux, il pourra prétendre avoir toujours été un nationaliste socialement sensible. Et pendant ce temps, il envoie le signal au CD&V et à l’Open VLD qu’il ne dépend pas d’eux.

De Wever donne ainsi le signal pour 2019 : le marché est ouvert. Dans le paysage politique fragmenté et instable actuel, il est de plus en plus difficile de prévoir quelles coalitions se formeront. Le PS et la N-VA ? Vous ne pouvez pas l’exclure complètement. Il y a de fortes chances que les prochains gouvernements flamand et fédéral aient une composition différente. La N-VA a appris une leçon importante : ce n’est pas parce qu’une coalition semble cohérente, comme le gouvernement de centre droit de Charles Michel (MR), qu’elle peut aussi mener une politique cohérente. Certainement pas si les plus grands concurrents continuent leur bataille électorale au gouvernement. Depuis 2014, le MR et surtout le CD&V ont bloqué le projet de centre droit de De Wever, perturbant son paradis. À Anvers, il se venge de la politique fédérale, sublimée par la figure de Kris Peeters (CD&V). La formation d’une coalition à Anvers est une vengeance pour quatre années de coalition au sein du gouvernement fédéral.

Le CD&V aussi s’est targué d’avoir gagné le 14 octobre, mais c’était une pâle victoire. Bruges est la seule ville importante où le parti a remporté le mayorat. Peu à peu, le CD&V devient un parti sans héros ni célébrités.

Pour moi, l’épisode le plus douloureux du 14 octobre, c’est l’exode de Kris Peeters. Dès la formation de 2014, la question se posait constamment : qui est l’homme fort du CD&V, Kris Peeters ou le président Wouter Beke ? Tout le monde voyait Peeters Premier ministre, jusqu’à ce que Beke promeuve soudainement Marianne Thyssen au poste de commissaire européen et que Peeters doive se contenter du poste de vice-premier ministre. En conséquence, le CD&V a obligé son vice-premier ministre – au profil Unizo – à freiner pendant quatre ans et à bloquer toute question de la droite, ce qui est fatal pour sa crédibilité. Ensuite, Beke demande à Peeters de croiser le fer à Anvers avec Bart De Wever, sachant bien que Peeters est assez vaniteux pour se lancer là-dedans. En échange, Peeters demande, en cas d’échec, de revenir à Anvers en 2019 en tant que tête de liste – il suffit de lire les interviews dans les journaux.

Le 14 octobre, il apparaît que l’opération Peeters a échoué. Promptement, Peeters est envoyé au Parlement européen. Pour un politicien comme lui, c’est un camp de punition. Il est toujours impatient de se gouverner lui-même, mais dans le meilleur des cas, il pourra poser une question à l’un ou l’autre commissaire européen. Ainsi s’achève le parcours dramatique d’un homme politique qui a fidèlement exécuté les ordres de son parti en ennuyant son monde pendant quatre ans. À présent, ils s’en débarrassent.

Je pourrais encore comprendre les adieux de Kris Peeters si son départ – ou celui de Pieter De Crem – s’inscrivait dans un renouvellement plus large du parti. Je n’en vois pas. Au contraire, les « usuals suspects » réapparaîtront, les Hilde Crevits, Servais Verherstraeten et Joke Schauvliege de ce pays.

En effet, le 14 octobre, le CD&V s’est maintenu, mais seulement parce que la N-VA a dû abandonner son projet d’être le plus grand parti local en Flandre en 2018. C’est pourquoi je ne comprends pas très bien que le CD&V montre si peu de signes d’agitation. Alors que depuis le 14 octobre, les signaux d’alarme au sp.a retentissent de manière si assourdissante que les socialistes ne sont plus capables d’entendre les signaux du monde extérieur, au CD&V tout semble paisible.

Numériquement, le sp.a est plus grand que Groen. Mais mentalement, Groen semble plus grand. Groen peut-il supplanter le sp.a en tant que leader de la gauche ? Meyrem Almaci est une présidente forte. En arrière-plan, elle supervise la direction de nombreux pourparlers de coalition après le 14 octobre.

En même temps, les écologistes flamands sont trop vite sûrs de la victoire. Il ne fait aucun doute que le 14 octobre a été une victoire électorale importante pour Groen. Mais cette manière adolescente d’en faire une  » vague verte  » donne immédiatement l’impression qu’il s’agit surtout d’une stratégie de marketing. Groen n’est pas seulement devenu une machine professionnelle, mais surtout un parti dur guidé d’une main ferme et plus sûr de lui. Dans les milieux politiques, les écologistes flamands sont qualifiés d' »arrogants », mais aussi de « non fiables » – ce serait l’une des raisons pour lesquelles De Wever a choisi le sp.a à Anvers. Dans leur esprit, Groen est le principal parti de gauche, mais en fin de compte, il s’agit aussi de peser sur la politique. Aujourd’hui, le s.pa peut encore faire mieux. L' »utilité » d’un vote de gauche lors des prochaines élections pourrait bien se faire au détriment de Groen.

Carl Devos
Carl Devos© FRANKY VERDICKT

À Ninove ou Denderleeuw, le Vlaams Belang a connu des succès remarquables. Le président du parti Tom Van Grieken est d’humeur gagnante et semble même faire peur à la N-VA.

Lorsqu’il a pris ses fonctions, il y avait beaucoup de scepticisme à l’égard d’un président qui ressemblait à un vendeur. Mais Van Grieken a grandi. Lors d’un récent débat très controversé pour le club flamand de débat national, Van Grieken ne s’est pas laissé intimider par un pitbull comme Theo Francken. Ce dernier a même admis qu’il s’inspirait parfois du Vlaams Belang.

Van Grieken profite de l’impuissance de son principal rival. Il insiste sur le fait que la N-VA se heurte aux limites de ce qui peut être réglé par les lois et les politiques. Qu’il y a une différence entre l’orateur et le décideur politique en Theo Francken. Aux prochaines élections, il pourrait devenir un client en colère : pour la N-VA, mais aussi pour le sp.a – du moins si le VB commence à faire des revendications sociales crédibles, et devient ainsi attractif pour ceux qui se reconnaissent dans la colère des ‘gilets jaunes’. La seule chose qui l’empêche encore de grandir, c’est le pouvoir de Filip Dewinter. La crise de Marrakech l’a rendu beaucoup plus fort.

Finalement, les élections communales de Charles Michel (MR) étaient-elles bonnes ou mauvaises ?

À première vue, il s’agissait de mauvaises élections pour le Premier ministre. Et le MR a perdu dans de nombreux endroits en Wallonie et à Bruxelles, même dans sa commune de Jodoigne. En même temps, c’était un choc de voir que le PS n’a pas implosé, que la Wallonie est encore plus à gauche qu’avant – et Bruxelles beaucoup plus à gauche. Pour cette raison, ces élections étaient peut-être très bénéfiques pour le MR. Soudain, il y a une prise de conscience : nous avons trop fait d’avance à la N-VA, nous sommes devenus trop à droite. Manifestement, le 14 octobre a été le réveil dont le MR avait besoin. Le parti organise un congrès après l’autre pour réintroduire un libéralisme plus social.

En même temps, Charles Michel se montre plus affirmé que jamais. Il a saisi l’occasion de la crise de Marrakech pour faire passer la N-VA pour un parti indécent, et c’est ce qu’aime entendre la Belgique francophone. Et quand De Wever gérera Anvers avec le sp.a, Michel aura aussi de la marge pour faire négocier avec le PS. D’une certaine manière, Charles Michel a eu la chance que son parti ait subi des dommages le 14 octobre. C’était également le cas de la N-VA, mais tout le parti ne semble pas s’en rendre compte. Alors que tous les membres du MR se sont réveillés: « Houston, we have a problem ».

En conséquence, pendant la crise de Marrakech, nous avons vu un Premier ministre renaître et une N-VA qui, à un moment crucial, n’a pas eu la vigilance nécessaire pour réagir de manière appropriée. Lors des prochaines élections, on verra lequel de ces deux partis a le mieux géré la gifle du 14 octobre.

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