Jean-Marc Nollet, figure de proue d'un parti désormais " organisé ". © BRUNO FAHY/BELGAIMAGE

Comment Ecolo se prépare au pouvoir

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Portés par des sondages flatteurs, encouragés par une vaste prise de conscience écologique et installés au centre du jeu politique, les verts se voient déjà revenir dans tous les gouvernements du pays avec, pour objectif, de ne pas répéter les erreurs du passé. Donc en laissant le moins de place possible au hasard.

Il paraît que Jean-Marc Nollet n’arrête pas. Le nouveau coprésident écologiste, qui est probablement là pour longtemps, le murmure à l’oreille de certains.  » C’est quand on laisse le moins de place au hasard qu’il fait le mieux les choses « , chantonne-t-il, avec cette rigoureuse obstination qui le caractérise. Son parti, Ecolo, n’est plus la formation laminée par la défaite de 2014 et striée par les tensions internes qui s’ensuivirent. Servi par un air du temps auquel son souffle a contribué, Ecolo est aujourd’hui un parti organisé. Si organisé que nos entretiens se sont accompagnés d’une prévenance, envoyée par le directeur de la communication écologiste à tous ses parlementaires :  » Hello. Nicolas De Decker a visiblement entamé un tour pour sonder l’état du parti. Pouvez-vous me faire savoir si vous êtes contacté, pour en discuter préalablement.  » Si organisé qu’Ecolo se prépare à triompher, le 26 mai prochain, d’une campagne dont il aura constamment fixé l’agenda. Si organisé qu’il travaille déjà sur des participations au pouvoir que les objurgations de la plus ancienne coprésidente, Zakia Khattabi –  » depuis les élections communales, mon mot d’ordre est de ne pas nous laisser aveugler par la victoire d’octobre. Certains me reprochent même de ne pas l’avoir assez savourée  » a-t-elle tenu à nous signaler – ne suffisent pas à présenter comme autrement qu’inévitables.

Pour continuer à surfer sur la vague verte, Ecolo doit veiller à en prolonger les puissants rouleaux.

Entre victoire programmée et pouvoir assuré, la métaphore qui revient le plus souvent, dans ce parti de surdiplômés en sciences sociales, procède de l’astronomie. Voire d’une astrologie renforcée de numérologie. Car l’alignement des planètes, répète-t-on à tous les étages de la maison verte, n’a jamais été aussi favorable à Ecolo, et 2019 suit 2009 aussi sûrement que 2009 succédait à 1999, qui furent autant de triomphes électoraux. En ne laissant de place au hasard que pour qu’il fasse le mieux les choses, cette fois le parti estime avoir lui-même pesé sur son horoscope. Si bien qu’on y pense déjà éviter à 2024 les présages funestes de 2004 et de 2014, où Ecolo, en plus d’avoir dû licencier des centaines de cabinettards, dut également se séparer de la moitié de ses 120 employés. Aujourd’hui, ils sont une septantaine, entre employés du parti, du centre d’études Etopia, d’Ecolo J et collaborateurs parlementaires, à travailler pour une organisation partisane resserrée. C’est peu, mais le resserrement donne la possiblité de suivre une ligne, tracée par la coprésidence, imprimée à partir de foisonnantes notes internes, commentée par un observatoire politique et sociétal (naguère composé de Jean-Marc Nollet, Georges Gilkinet, Bénédicte Linard, échevine d’Enghien, et de John Pitseys, 11e candidat sur la liste régionale bruxelloise), discutée en bureau politique. Et, surtout, appliquée par tout le monde.

En cas de participation aux prochaines majorités, Alain Maron pourrait se voir confier un portefeuille à Bruxelles...
En cas de participation aux prochaines majorités, Alain Maron pourrait se voir confier un portefeuille à Bruxelles…© DIDIER LEBRUN/PHOTO NEWS

La vague qui roule

Cette ligne qu’ont portée Zakia Khattabi et Patrick Dupriez doit tout faire revenir de l’écologie et tout y faire arriver : le climat, la mobilité et l’énergie, bien sûr, mais aussi les inégalités, les migrations ou la gouvernance. Cette ligne verte, dite  » radicale-réformiste « , doit également changer le statut du parti, à la fois mieux organisé grâce à des cadres mieux formés, et mieux intégré à des mouvements sociaux qu’il accompagne sans les absorber. Les marches pour le climat, les initiatives locales autour de la qualité de l’air, les chaînes humaines autour des centrales nucléaires, voire la plateforme citoyenne d’accueil des migrants furent autant d’actions auxquelles participèrent sans les avoir organisées les écologistes, auxquels les participants sauront gré de ce soutien peu invasif. Cette forme d’action commune, qui ne doit pas avoir l’air de l’être, c’est celle de la  » génération E « , celle d’un parti qui veut  » être engagé ensemble « , comme il l’a proclamé dès janvier 2018, celle d’un parti qui veut recevoir cette  » colère optimiste « , la partager, mais ne pas sembler l’instrumentaliser. Et faire infuser ses éléments de langage. Dès le printemps 2018, une cellule com déjà gonflée de confiance lance une incantation pour les élections communales :  » La vague verte va déferler sur la Belgique « , annonce-t-elle dans plusieurs formations internes. La vague a déferlé jusque sur les Unes des journaux qui, tous sans exception, reprirent l’expression à leur compte dès le soir du scrutin : ou quand dire, c’est déjà faire. Le hasard bien préparé a laissé, ensuite, une place à 35 000 lycéens et, deux fois, à 70 000 citoyens, générations engagées ensemble sur le pavé bruxellois pour réclamer une lutte plus énergique contre le réchauffement climatique. Mais, jusqu’au 26 mai, il reste encore presque quatre mois pour dire et pour faire que l’engagement ensemble se traduise par une régénération électorale.

Pour continuer à surfer sur la vague verte, Ecolo doit veiller à en prolonger les puissants rouleaux. Pas question de se laisser, comme vont tenter de le faire tous ses adversaires, entraîner dans d’autres eaux que climatiques : migratoires, où baigne la N-VA, communautaires, où plonge DéFI, socio-économiques, où nagent PS et MR. C’est ainsi que les stratèges verts comptent entretenir ce mouvement social inédit, en articulant l’accompagnement, voire l’encouragement, d’une mobilisation aux apparences apolitiques avec des initiatives plus explicitement politiques ou législatives. La séquence de ces derniers jours sur la loi climat peut, à cet égard, servir de modèle : dans la foulée de la marche pour le climat du dimanche 27 janvier, une série d’universitaires pas trop défavorables aux partis verts (on y trouve un ancien conseiller de Jean-Marc Nollet et une ancienne tête de liste Groen !) proposent une  » loi climat « . Le lundi qui suit, Jean-Marc Nollet et Meyrem Almaci, son homologue flamande, déposent une proposition de loi climat reprenant ces dispositions, sur laquelle les autres partis ne purent que se positionner, pour, comme les francophones, et contre, comme la droite flamande, mais qu’importe : tout aura encore tourné cette semaine autour d’un énième rouleau de vague verte.

... et Stéphane Hazée à Namur ?
… et Stéphane Hazée à Namur ?© BELGAIMAGE

La réforme qui bascule

Ensuite, il y a la dynamique strictement partisane, propre à cette deuxième partie de campagne – chez Ecolo comme ailleurs, on prépare octobre 2018 et mai 2019 comme deux phases d’une même portée. La deuxième mi-temps a commencé avec le remplacement de Patrick Dupriez par Jean-Marc Nollet à la coprésidence au lendemain des communales. Les têtes de listes, désormais, sont connues. La campagne régionale, fédérale et européenne sera formellement lancée par un congrès à Bruxelles, au Botanique, le 17 mars, où seront dévoilés le slogan et le programme écologistes. Il s’agira de continuer à faire tourner le débat autour de son propre agenda. Il faut qu’Ecolo dispute son match à domicile, sur ce terrain climatique qu’il connaît le mieux. Pour ne pas se faire déborder, avec comme contre-exemple la campagne de 2014, dans laquelle Ecolo avait surtout cherché à défendre en évitant d’affirmer des positions trop tranchées, il portera cette fois quelques mesures emblématiques sur ses sujets de prédilection. Dans l’appareil écologiste, où on ne veut pas trop laisser de place au hasard pour qu’il fasse bien les choses, et donc pas non plus d’espace pour des fuites, on les appelle des  » réformes basculantes « , quelques-unes par niveau de pouvoir. Elles devront permettre aux écologistes de conserver leur position de souffleurs de l’air du temps, et leur éviter de devoir se positionner par rapport à des coalitions privilégiées, ou contre un adversaire déterminé, la N-VA, Charles Michel, le PS, etc.

Marches pour le climat : les verts y ont participé sans les avoir organisées...
Marches pour le climat : les verts y ont participé sans les avoir organisées…© ANDRIEU/REPORTERS

Puis, si tout se passe bien, si le sort de 2009 est déjoué, où un sondage annonça Ecolo à 25 %, ce qui fit de ses 18 % une relative déception, et ce qui fait que, cette année, le seuil officiel de qualification d’une vague verte a été établi à 15 %, on pourra enfin passer aux négociations gouvernementales. Si, bien entendu, tous les scénarios postélectoraux sont déjà minutieusement examinés, les hypothèses privilégiées sont celles que suggère l’évidence. D’abord que les exécutifs régionaux se constituent plus vite qu’un gouvernement fédéral dont la naissance dépendra du caractère contournable ou pas de la N-VA. Ensuite qu’à Bruxelles l’isolement du MR semble irréversible, et l’été 2017 a montré, après le  » coup  » de Benoît Lutgen, une communauté de sentiments entre Ecolo, DéFI et PS. Enfin qu’en Wallonie, l’arithmétique parlementaire pourrait rapprocher les deux grands partis, PS et MR, qui ne pourraient pas, mathématiquement et politiquement, faire sans le vainqueur vert annoncé. Qui devra trouver un moyen de mettre en oeuvre ces réformes basculantes, censées résumer la  » colère optimiste  » de la génération E avec, ici encore, les expériences de 1999 et de 2009 comme contre-exemples. Les ministres verts y avaient, pense-t-on au siège du parti, travaillé de manière trop transversale.

Ils se focaliseront ici sur leurs quelques réformes basculantes. Elles seront exposées en campagne, bien sûr, mais, dans les premières heures de l’après-scrutin, on peut s’attendre à voir Ecolo poser des conditions, comme il le fit en juillet 2017 pendant les négociations pour de nouvelles majorités régionales, comme il le fit en décembre 2018 pendant les négociations pour une nouvelle majorité fédérale, et comme il le fit la semaine passée pendant les négociations pour une majorité spéciale pour la loi climat. Mais qui seront-ils, ces ministres ? Jean-Marc Nollet devrait rester à la coprésidence. Zakia Khattabi également, sauf si, elle l’a déjà dit, elle peut prendre la tête du gouvernement bruxellois, où Alain Maron et Zoé Genot ou Barbara Trachte pourraient figurer. A Namur, Stéphane Hazée et Bénédicte Linard font figure d’aspirants impétrants. Mais le futur casting pourrait receler quelques surprises, déjà en préparation. Parce que la vague verte attire de nombreux surfeurs, à qui un hasard bien préparé offrirait une belle place.

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