Carte blanche

Comment décoloniser nos universités ?

Des crânes de Congolais sont conservés à l’Université libre de Bruxelles[1], ils sont issus de la conquête coloniale, extorqués pour certains à l’occasion des violences corporelles infligées par des Belges aux populations congolaises.

Les récents débats sur la restitution des biens culturels et des restes humains ont amené l’ULB à organiser une conférence sur le sujet le 15 février 2019. En tant que membres de la diaspora africaine, voici les raisons nous ayant poussé.es à refuser l’invitation à y participer.

Premier parti-pris : de la restitution comme enjeu à celui de la gestion

Devant initialement traiter de la restitution, des réflexions en amont du colloque ont débouché sur un glissement sémantique amenant les organisateurs à parler de « gestion des collections coloniales ». Le débat n’est-il pas biaisé d’avance ? Ne s’agit-il plus de restituer à l’instar de ce qu’a fait le Canada, les Etats-Unis ou l’Australie ? Nous décelons à travers cette opération, une reformulation implicite des enjeux faisant passer une question politique et sociale (réparations postcoloniales, critique des mécanismes de production de la race) dans le registre de la gestion professionnelle d’un patrimoine dont on ne semble pas vouloir problématiser le statut. En parlant de « gestion des collections » et non de restitution, les organisateurs de ce colloque ne semblent vouloir remettre en cause ni la prise ni l’autorité des sciences naturelles sur ces restes humains ; un parti-pris trop grand à nos yeux que pour participer à ce colloque en toute confiance.

Deuxième parti-pris : l’évacuation de la question du racisme contemporain

La question de la restitution ne peut être traitée en l’absence des enjeux liés au racisme anti-noir. Ceux-ci semblent pourtant ne pas faire partie du programme. Avoir à ce point délié restitution et racisme contemporain est pour nous le signe que l’ULB ne souhaite pas questionner en profondeur la trajectoire de ces restes humains. A nouveau un parti-pris, bien trop grand à nos yeux.

D’ici, nous entendons les défenseurs de la cause anti-raciste arguer du fait que les disciplines scientifiques – évoluant de la craniologie à la biologie des populations, en passant par l’anthropologie physique – se seraient défait depuis longtemps de tout ce qu’il y avait derrière elles de pensées biologisantes sur la race. Mais vouloir conserver une prise sur ces objets, et hériter ainsi de la transformation de dépouille sans sépulture, pour certains des ancêtres homicidés par des Belges, en « objet de science », revient à perpétuer le mythe d’une scientificité neutre pouvant s’offrir le luxe de ne pas situer les protagonistes dans une histoire coloniale, et de ne pas s’y situer. Or, ce geste de transformation en objet de science est ce qui dénie aux Africains le droit de se les approprier comme « ancêtres » et comme traces des violences coloniales et des contestations anticoloniales. Une telle « neutralisation » de l’histoire revient à faire de la colonisation, un « contexte » dont nous serions enfin débarrassé. Or, la question de la restitution est l’une des principales voies pour penser les modalités de fabrication de la race, les exigences de réparation, mais aussi, les conséquences de cette épistémologie coloniale sur les discriminations raciales contemporaines.

Rendre public le débat, ne pas servir de caution

Dès lors, nous ne souhaitons pas participer à un colloque où notre présence risque de cautionner des décisions institutionnelles qui, sur fond de discours innovants, ne font que reproduire les mêmes structures de pouvoir. Nous nous méfions de colloques instrumentalisant la présence des associations afro-descendantes pour dire qu’on a discuté en partenariat et qu’ « on a fait le job ».

Le débat sur ces crânes ne pourra être évacué après une simple conférence. La réflexion doit être plus profonde, questionner la trajectoire de ces restes humains, intégrer leur histoire à la production d’un savoir décolonial à l’ULB. Il est aussi de la responsabilité de ces lieux de savoir de débattre de la restitution des biens culturels comme des restes humains, mais encore des éléments de géologie, de cartographie, d’anthropologie, autant de prises hégémoniques, guerrières ou politiques, sur des territoires spoliés. Pour assumer cette responsabilité, il faut entreprendre un travail interne dans les universités et à l’ULB en particulier.

Créer un cadre : première étape pour décoloniser

Dans la pratique, l’ULB devrait entreprendre des réformes. Il n’y a par exemple pas de chaire spécifique sur ces thématiques, contrairement à d’autres universités prestigieuses telles que l’Université Berkeley en Californie ou à Leeds au Royaume-Uni. Aucune université belge n’a de pôle de « Black Studies » ou de « Critical Race Studies » étudiant l’existence de la race comme catégorie sociale en prise avec de multiples formes de pouvoir/savoir sur les corps. « Qui étudie qui, d’où? » est une question décoloniale de la plus haute importance. Décoloniser une université nécessite un diagnostic des carences en termes de politique de partage du pouvoir et une identification des mécanismes d’exclusion. L’année académique 2017-2018 a été l’ « année des diversités » à l’ULB. Quel est le bilan de cette année ? Quels sont les instruments que l’ULB met en place pour lutter contre le racisme institutionnel et scientifique, contre les discriminations raciales ? Trop peu d’universités belges ont pensé à instaurer un guichet anti-discrimination afin de donner suite aux différentes plaintes, dont certaines nous reviennent.

Combien de professeurs afro-descendants à l’ULB en 2019 ? Le sort des étudiants étrangers dont africains est particulièrement édifiant. Les universités belges n’ont pas de réelles politiques visant à alléger les frais d’inscription pour les étudiants étrangers hors UE ; ceux-ci ont fortement augmenté et dépassent de loin les frais des étudiants européens, pour les ressortissants de certains pays africains, latino-américains, etc.

Le débat sur la restitution doit s’inscrire dans une radioscopie du racisme institutionnel, scientifique et des discriminations dans nos universités et à l’ULB et déboucher sur des mesures concrètes reliant réparation et lutte contre les discriminations. Comment s’étonner de la recrudescence d’actes négrophobes si les universités prennent ces questions avec autant de « neutralité » feinte ?

Bamko Asbl

Café Congo

Change Asbl

Collectif Présences Noires

Galeries ArtDéCycles

Nouveau Système Artistique (www.afrobrusselscity.com)

Rumbacom

Laura Nsengiyumva (artiste)

[1] Michel Bouffioux, 2018.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire