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Climat : les jeunes ont-ils une plus grande prise de conscience politique aujourd’hui qu’hier ?

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Les manifestations pour le climat témoignent-elles d’un regain d’intérêt des jeunes pour la politique ? Pour Anne-Marie Dieu, coauteure de l’étude Mobilisation politique des jeunes francophones de Belgique, le rejet des attitudes politiciennes n’empêche pas l’intérêt pour les causes qui touchent à l’avenir de la société.

Directrice de recherches à l’Observatoire de l’enfance, de la jeunesse et de l’aide à la jeunesse (Oejaj) de la Fédération Wallonie-Bruxelles, Anne-Marie Dieu scrute les rapports entre jeunes et politique. En 2015, avec Anne Swaluë et Michel Vandekeere, elle a publié sous le titre Mobilisation politique des jeunes francophones de Belgique les résultats de deux études sur ce thème auprès de jeunes de 12 à 16 ans et de plus de 18 ans. Elle décrypte la mobilisation actuelle des jeunes pour le climat.

La mobilisation hebdomadaire des jeunes pour le climat témoigne-t-elle d’un intérêt renouvelé pour le débat politique ?

Pas nécessairement. Les recherches que nous avons menées montrent qu’une partie des jeunes restent intéressés par les questions politiques au sens large. Ces dernières années est surtout apparu un rejet de la politique de parti ou  » politicienne « . Les mêmes études ont révélé qu’un certain nombre de jeunes étaient intéressés ou en tout cas préoccupés par les grands enjeux, notamment liés à la nature, à l’environnement et à l’avenir de la planète. C’est sans doute le pas entre le  » je suis préoccupé  » et le  » je m’investis pour la cause  » qui est en train de se réaliser maintenant alors qu’il était moins fréquent auparavant. Mais je ne suis pas étonnée par l’évolution générale. Lorsque nous avons mené, en 2013, des enquêtes sur les jeunes de 12 à 16 ans (NDLR : publiées en 2015), 20 % trouvaient déjà très bien de se mobiliser pour une cause importante et ils pensaient que tout le monde devait le faire. Une telle proportion, c’est tout de même beaucoup pour des jeunes si jeunes.

Pour les jeunes les plus défavorisés, l’absence d’avenir, c’est demain, pas dans dix ans.

Que la lutte contre le réchauffement climatique soit une cause transpartisane facilite-t-il l’adhésion des jeunes ?

La cause est rassembleuse. Elle les concerne directement. Les mobilisations ne sont pas organisées par un parti. Donc, ils peuvent s’y retrouver assez facilement. Du reste, de nombreux jeunes, même si ce n’est pas dans les mêmes proportions, se mobilisent aussi sur la question des migrants. Tant au niveau du travail de terrain que dans les manifestations, on en rencontre beaucoup. Les jeunes démobilisés qui ne font plus rien, moi je n’y ai jamais cru.

Quand passe-t-on de la préoccupation à l’action ?

Cela requiert des conditions. La préoccupation doit être importante et les personnes doivent se sentir directement concernées. Les études révèlent aussi qu’il faut des supports à la conceptualisation de la thématique, des films, des livres, des figures charismatiques… On peut supposer qu’un film comme Demain, qui a été projeté dans les écoles, a eu un effet sur la conscientisation et que certains professeurs, mouvements de jeunesse ou organisations oeuvrant sur la question environnementale ont été des passeurs de ces préoccupations. Passeurs et outils conceptuels et symboliques sont donc nécessaires parce qu’ils donnent une argumentation plus forte aux interrogations latentes. On est arrivé à ce stade sur la question du réchauffement climatique et de l’avenir de la planète : la préoccupation est devenue centrale. Mais il n’y a pas de science exacte en sciences humaines. On ne peut donc pas prétendre qu’il est normal que ce phénomène se soit passé aujourd’hui plutôt qu’hier. Suffisamment de données produites ces dernières années ont cependant montré que le passage de la préoccupation à l’action était possible. En outre, les réseaux sociaux permettent que l’information circule de façon beaucoup plus large et les mobilisations en sont facilitées.

Anne-Marie Dieu, directrice de recherches à l'Observatoire de l'enfance, de la jeunesse et de l'aide à la jeunesse (Oejaj) de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
Anne-Marie Dieu, directrice de recherches à l’Observatoire de l’enfance, de la jeunesse et de l’aide à la jeunesse (Oejaj) de la Fédération Wallonie-Bruxelles.© DR

Les réseaux sociaux ont donc une double utilité, dans la circulation des informations de fond et sur la capacité de mobilisation ?

Autant les réseaux sociaux ont une responsabilité dans la diffusion des fake news et dans l’arbitraire de l’immédiateté, qui peut très vite faire voyager les utilisateurs d’une cause à l’autre, autant ils permettent de partager rapidement des informations qui vont servir de support à la mobilisation et de donner des mots d’ordre de rassemblement. Auparavant, les méthodes traditionnelles prenaient plus de temps ; ce qui nécessitait sans doute une force de conviction plus grande.

Voyez-vous des convergences entre la mobilisation des jeunes en Belgique et des précédents en Europe ?

Je n’ai pas fait d’étude sur cette mobilisation climatique. Je ne peux donc pas me prononcer sur ce cas particulier. Mais quand on analyse les études européennes et en particulier celle intitulée  » Génération Quoi ?  » (NDLR : réalisée en France en 2013, puis étendue à toute l’Europe en 2016), on note un retrait général de la politique traditionnelle et une grande peur de l’avenir, tant sur la question de l’environnement qu’au niveau de l’insertion via l’emploi. Les grandes préoccupations de la jeunesse sont communes à tous les pays européens. Cela peut aboutir à deux résultats. De superbes mobilisations démocratiques qui remettent le politique à sa place et le restaurent comme interlocuteur ; c’est ce qui se passe avec les manifestations actuelles en Belgique. Ou du populisme, du repli sur soi, du rejet de l’autre et de la peur à l’état brut. Il est important de s’appuyer sur les mouvements tels que celui auquel on assiste en Belgique parce qu’il se positionne dans l’espace démocratique pour faire bouger les choses.

Vous parlez d’une « partie de jeunes » plus sensibilisés aux grandes causes. Ce sursaut provient-il d’abord de catégories de jeunes plus éduqués ?

Dans nos recherches, on voit que les préoccupations d’ordre politique sur les grands enjeux sont partagées par l’ensemble des jeunes. Par contre, la structuration de celles-ci dans des organisations formelles ou des mouvements de jeunesse sont plus souvent le fait de jeunes issus de milieux socio-culturels, pas socio-économiques, plus favorisés. Là est l’enjeu démocratique. Dans cette perspective, nous oeuvrons pour que le politique soutienne beaucoup les organisations de jeunesse ou les centres de jeunes qui s’ouvrent à un public défavorisé. Pareille démarche demande un surcroît de formation pour pouvoir aller vers le jeune et celui-ci a besoin de davantage de marques de confiance pour se tourner vers ces structures. Des lignes de fracture existent effectivement. Dans l’enquête  » Génération Quoi ? « , il est clair que la crainte de l’avenir se manifeste plus auprès de jeunes qui sont à la marge, par exemple au chômage. Eux, ils n’ont pas d’avenir demain, pas dans dix ans. Donc, si on veut vraiment concerner tout le monde, il est impératif de mener un travail avec ceux que l’on est en train de perdre. Il y a aussi une réflexion à mener de la part des jeunes mobilisés pour le climat pour savoir qui il faut inclure dans leur mouvement et pour réfléchir à la jonction entre les questions environnementales et les revendications sociales.

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