Maxime Mori, président de la Fédération des étudiants francophones (FEF) d'août 2016 à août 2018. © DR

Climat : « La possession matérielle empêche-t-elle l’engagement ? »

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Pour Maxime Mori, ancien président de la Fédération des étudiants francophones (FEF), l’individualisme que les réseaux sociaux auraient favorisé chez les jeunes n’exclut pas des mobilisations collectives sur des thématiques larges.

La mobilisation des jeunes pour le climat vous surprend-elle ?

La mobilisation, non. Son ampleur, oui. Elle ne m’étonne pas parce que l’enjeu climatique est connu depuis des décennies – il a commencé à être mis en exergue en 1987 avec le rapport Brundtland (NDLR : Notre avenir à tous , étude rédigée par la commission mondiale sur l’environnement et le développement de l’ONU sous l’égide de Gro Harlem Brundtland, qui fut aussi Premier ministre en Norvège) – et que plusieurs mouvements ont sensibilisé la population et les étudiants à la nécessité de prendre des mesures ambitieuses pour la planète. En revanche, l’engouement et parfois le très jeune âge des manifestants – par exemple des jeunes de 12 ans ou moins présents à la manifestation de dimanche 27 janvier – sont plus surprenants. Je n’avais jamais observé pareille tendance. En ce sens, c’est impressionnant.

La thématique environnementale permet-elle de mobiliser plus facilement les jeunes parce qu’elle est relativement consensuelle ?

Elle est effectivement consensuelle. Elle rassemble toutes les générations. Et les jeunes y voient la possibilité de s’accaparer un combat juste en faveur de la planète, ni politique ni idéologique. Mais s’ils étaient amenés à devoir se mettre d’accord sur les mesures à prendre, ils auraient évidemment plus de difficultés à fédérer tout le monde, comme le mouvement y parvient aujourd’hui.

Voyez-vous dans cette mobilisation un appétit nouveau des jeunes pour le débat politique ?

Les jeunes ont toujours eu à coeur de participer aux débats de société, d’une manière ou d’une autre. Certes, la nature de l’enjeu de l’environnement fait que les jeunes ont un sursaut. Mais ils ne réagissent pas que sur cette question. Si on creuse un peu leurs motivations, ils ont d’autres sujets de préoccupation, connexes à l’enjeu climatique, pour lutter notamment contre l’inégalité de la société.

Cette mobilisation dément-elle l’idée que les jeunes sont avant tout individualistes ?

Le premier débat auquel j’ai participé en tant que président de la FEF, sur RTL-TVI, portait sur la question :  » Les jeunes sont-ils fainéants ? Pour ou contre « . Mon contradicteur a martelé pendant vingt longues minutes que cela relevait d’un problème de santé publique et que la Fédération des étudiants francophones était incapable de se saisir de sujets de société. Par nature, la FEF traite de questions catégorielles ; elles sont très pointues et très techniques. L’enjeu climatique est plus large et plus consensuel. La méthode de mobilisation utilisée par les jeunes dans leurs manifestations pour le climat est très différente de celle employée par une association. A la FEF, comme dans un syndicat, on allait chercher l’étudiant, on l’encourageait à se mobiliser, par des assemblées générales notamment. Pour les marches contre le dérèglement climatique, un post sur Facebook suffit à mobiliser des milliers de jeunes. Cette façon de procéder interroge les syndicats ou les associations sur leur fonctionnement.

La mobilisation via les réseaux sociaux représente-t-elle un danger ?

La mobilisation d’un aussi grand nombre de personnes est permise par le cadre assez large de la revendication. Il n’est pas demandé aux participants d’aborder le fond de la question  » comment amorcer une transition écologique ? « . Dans ces conditions, il y a toujours un risque de récupération.

L’ampleur des rassemblements n’est-elle pas contradictoire avec la défiance croissante à l’égard des partis ou des syndicats ?

Je ne le pense pas. Elle témoigne du fait que les partis politiques n’ont pas envoyé un message suffisant de prise en considération du dossier du réchauffement climatique. Il suffit d’observer le nombre de sommets qui ont été organisés, de textes supranationaux que la Belgique n’a pas votés ou n’a pas négociés de façon suffisamment ambitieuse pour s’en convaincre. Cette mobilisation est en faveur du climat mais elle adresse aussi un message très clair aux politiques :  » Nous voulons une autre politique et nous vous mettons le couteau sous la gorge « , en quelque sorte.

La mobilisation pour le climat ne tranche-t-elle tout de même pas avec la vision d’une « génération réseaux sociaux » repliée sur elle-même ?

J’ai entendu beaucoup de politiciens dire lors de précédentes marches qu’ils ne comprenaient pas pourquoi les jeunes se mobilisaient et que ceux-ci devraient d’abord s’interroger sur leurs modes de consommation, avoir un smartphone, prendre des vols low cost…, une série d’arguments censés mettre leur individualisme en exergue. Rejeter la responsabilité d’un combat très politique sur les individus est dangereux. Cela occulte les projets collectifs qui pourraient et devraient être mis en oeuvre. L’image d’individualisme qui colle aux jeunes est inhérente au développement des réseaux sociaux. Mais cela n’enlève rien à la possibilité d’une mobilisation, comme on l’a vu ces dernières semaines. Les jeunes l’ont prouvé. Ils sont à l’origine du mouvement. En plus, c’est par le biais des réseaux sociaux que la mobilisation a pu aussi bien fonctionner… La possession matérielle empêche-t-elle l’engagement ?

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