Charles Michel veut un deuxième mandat, avec une dose de positionnement "anti-establishment". © Franky Verdickt/id photo agency - istock

Charles Michel, le mal-aimé : bilan de ces quatre dernières années

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Près de deux cent mille emplois créés. La paix communautaire préservée. Or, son gouvernement est vilipendé. Injuste ? Le Premier ministre fustige les  » pseudo-experts « , le microcosme médiatique négatif ou ces organisations qui font campagne pour le PS et Ecolo. Une posture anti-establishment. Grâce à laquelle il vise un Michel II en 2019.

Quatre ans après son arrivée au pouvoir, le gouvernement Michel voit le bout du tunnel. Sa vie chahutée peut se résumer en une symphonie en quatre temps. Le 11 octobre 2014, lors de sa prestation de serment, la suédoise – rebaptisée  » kamikaze  » par une partie de la presse – est accueillie par des quolibets, massifs dans l’opposition francophone. Un an plus tard, ses détracteurs les plus acharnés reconnaissent, surpris, que cette équipe réforme à tour de bras et qu’elle ira jusqu’au bout de la législature. Il s’ensuit une année de tensions entre partis flamands, arbitrée par le MR pour faire la synthèse. Avant un dernier accord festival, annoncé en grande pompe le 23 juillet dernier.  » Le résultat fort de toute une équipe « , se réjouit le Premier.  » Ceci n’est pas un accord « , analyse la presse flamande. En toile de fond, ce sentiment qui domine chez les libéraux francophones :  » Nous sommes des incompris…  »

Mettre la N-VA à bord a permis de la neutraliser

Le bilan ?  » Un sans-faute  »

 » Cette décomposition en quatre temps est une façon de voir les choses, relativise-t-on dans les travées du 16, rue de la Loi. Nous préférons insister sur la concrétisation des deux grandes lignes fondamentales de cette législature, qui ont confirmé le bien-fondé de notre choix posé il y a quatre ans, après le repli du PS et du CDH sur les Régions.  » Comme une ligne claire tirée, à l’heure du bilan, entre le mariage controversé avec la N-VA et la volonté de prolonger le bail en 2019, si l’électeur le permet. Tout d’abord, le  » jobs, jobs, jobs « , cette obsession fondamentale énoncée depuis les premiers jours se solde par un résultat implacable : plus de 190 000 emplois créés et une atmosphère à ce point propice au développement de l’activité qu’il faut désormais combler 135 000 places en pénurie.  » C’est la motivation de la dégressivité accélérée des allocations de chômage, relève-t-on au MR. Contrairement à la mesure similaire décidée sous Di Rupo, dont il reconnaissait lui-même qu’elle visait à faire des économies !  »

Ensuite, la paix communautaire a été préservée, mise au frigo lors des négociations avec les nationalistes.  » On oublie de le rappeler : mettre la N-VA à bord a permis de la neutraliser parce que dans l’opposition, elle aurait multiplié les surenchères communautaires « , se félicite-t-on au sein du pouvoir. Non sans ajouter que cet attelage détonant a permis de gérer l’imprévu : la menace terroriste et la crise migratoire.  » Sans renoncer fondamentalement à nos principes libéraux, défend-on au Seize. Nous ne sommes pas un pays prêt à basculer dans une culture sécuritaire. D’ailleurs, nous sommes allés bien moins loin que ce qu’a fait le président socialiste François Hollande, en France, après les attentats.  » En marge de la question migratoire, la polémique sur les visites domiciliaires a bien ébranlé l’aile gauche du MR, parce qu’elle touchait au sacro-saint principe de la propriété privée, mais elle a été gelée par Charles Michel.  » Depuis, 80 % des courriers que nous recevons nous reprochent de ne pas avoir été jusqu’au bout « , précise-t-on.

Début 2018, des manifestants réclament le départ du secrétaire d'Etat à l'Asile, Theo Francken, et du gouvernement fédéral dans son ensemble.
Début 2018, des manifestants réclament le départ du secrétaire d’Etat à l’Asile, Theo Francken, et du gouvernement fédéral dans son ensemble.© Frederic Sierakowski/Isopix

 » Franchement, ce bilan, c’est un sans-faute, fanfaronne Richard Miller, député et président du centre d’études du MR. J’avoue que je suis totalement à l’aise, même s’il y a eu des moments difficiles. Je suis responsable des programmes du parti depuis les années 1980 et je n’ai jamais vu un gouvernement appliquer à ce point notre politique, grâce à l’absence des socialistes.  » Le reflet d’un parti en lévitation, du moins en apparence.  » Hors de Belgique, on salue le fait que nous avons stabilisé le pays comme jamais, clame Charles Michel. A l’heure où partout en Europe, de l’Allemagne à l’Italie en passant par l’Espagne, le situation est compliquée.  » La Belgique, une oasis ? Dites-le à ceux qui ne cessent de vilipender la suédoise, semaine après semaine, d’un dossier à l’autre…

Les critiques ?  » Un microcosme bien-pensant  »

Le dernier accord estival conclu par la suédoise, avec son jobs deal, n’a pas dérogé à la règle des répliques au bazooka de la gauche.  » Le gouvernement Michel fait payer aux chômeurs sa mauvaise gestion budgétaire et sa mauvaise gestion de l’économie, dixit Ahmed Laaouej, chef de groupe PS à la Chambre, qui parle d’une coalition  » de la matraque sociale « . Je promets de pourrir la vie du gouvernement fédéral à la rentrée « , appuie Robert Vertenueil, président de la FGTB, qui veut bloquer le pays. Réplique de Michel :  » Nous défendons le travail, ils défendent le chômage. J’espère qu’ils ne vont pas pourrir la vie des Belges.  » Un jeu de rôle.

 » La FGTB, on s’en fout un peu, grince-t-on au MR. Elle se comporte comme un rappeur qui veut tout niquer. On ne s’attendait pas à autre chose de sa part, même si ces mesures ont été concertées.  »  » L’opposition cherche tous les moyens possibles, c’est le syndrome du « Caramba, encore raté », ironise Richard Miller. Sur chaque sujet, que ce soit le budget, le remplacement des F-16, la réforme de l’IVG ou le Kazakhgate, ils essaient de montrer que le gouvernement va dans le mur. Cela ne s’est jamais vérifié. Il est vrai que quand on fait des réformes structurelles, on touche forcément à des piliers, à des chasses gardées, et cela énerve.  » Au-delà de ces affirmations bravaches, le seul MR du côté francophone doit toutefois composer avec une opinion publique qui lui est majoritairement hostile au sud du pays et cela pèse régulièrement sur le moral des troupes.  » Il y a un sentiment d’injustice, reconnaît le député. Que l’opposition se trompe, d’accord, mais nous regrettons qu’elle ne reconnaisse jamais ses erreurs.  »

L’équation électorale est similaire à celle d’il y a quatre ans

Arrivé au Seize avec une réputation d’animal au sang-froid, Charles Michel a par moments perdu son flegme, tant face à ce tir de barrage qu’en raison des accusations selon lesquelles le vrai centre du pouvoir fédéral se trouvait à Anvers, chez Bart De Wever. Au risque de développer le sentiment amer d’être mal-aimé, malgré un investissement  » à 1 000 % « .  » Certains ont estimé que ce que j’exprimais était de l’amertume, constate-t-il. Ce n’est pas le cas. J’ai la volonté d’être délibérément offensif pour démasquer les analyses erronées. J’ai compris très tôt que des journalistes et des pseudo-experts, surtout du côté francophone, étaient des anciens adorateurs du PS qui haïssent désormais la N-VA. La bataille contre ce microcosme bien-pensant n’est pas simple. Mais je suis convaincu qu’il y a une grande différence entre cette perception, surtout bruxello-centrée, et la réalité de l’opinion publique. En Flandre, je suis très populaire. Et sur le terrain, en Wallonie, je reçois un superaccueil, comme ce fut encore le cas fin juillet à la Foire agricole de Libramont. Je suis convaincu qu’un tiers ou un quart de la population francophone ne partage pas ce rejet de notre politique. Ce serait suffisant pour que le MR obtienne une victoire électorale.  »

Ahmed Laaouej, chef de groupe PS à la Chambre, attaque régulièrement le gouvernement. Avec Raoul Hedebouw et Marco Van Hees (PTB).
Ahmed Laaouej, chef de groupe PS à la Chambre, attaque régulièrement le gouvernement. Avec Raoul Hedebouw et Marco Van Hees (PTB).© JEAN MARC QUINET/reporters

En début de législature, les libéraux pestaient déjà, pêle-mêle, contre la fronde syndicale, le peu de temps d’antenne octroyé à la RTBF ou les attitudes partisanes d’un certain nombre d’acteurs, que ce soit Solidaris, la Mutualité socialiste, accusée de distribuer à tout-va des tracts antigouvernementaux, ou les associations actives dans le domaine de la migration, aux analyses jugées unilatérales. Cette fronde s’est élargie, notamment à l’encontre du Centre d’action laïque, accusé d’avoir injustement attaqué la volonté libérale de sortir l’IVG du Code pénal.  » C’est la goutte qui a fait déborder le vase : il y a des instances financées avec de l’argent public qui font de la propagande et mènent des campagnes pour des partis politiques comme le PS et Ecolo, insiste-t-on dans les rangs libéraux. Ça ne va pas.  » Le MR est déterminé à mettre cette question sur la place publique lors de la campagne électorale. Il compte proposer une  » réforme du financement de la démocratie  » pour responsabiliser ces acteurs – ONG, syndicats, mutuelles… – et éviter qu’ils ne détournent les moyens reçus. Une réflexion déjà amorcée par la N-VA. Car en Flandre aussi, les critiques ont fusé à la suite de l’accord de cet été.  » Mais là, c’est davantage l’effet de certains observateurs désireux de faire le buzz, pour se profiler, sans arrière-pensées politiques « , nuance-t-on.

Au MR, on se pose aussi des questions d’organisation interne. Certains commencent à émettre de sérieux doutes au sujet des équipes de communication du parti, incapables d’arrêter le flux des attaques.

Un Michel II version anti-establishment

Conscient de la façon dont la politique évolue partout, le regard tourné vers les Etats-Unis de Donald Trump, la France d’Emmanuel Macron voire l’Italie de Matteo Salvini, Charles Michel se verrait pourtant bien prolonger son bail au Seize. En ajoutant, pour y arriver, une dose de positionnement  » anti-establishment  » et en capitalisant sur le  » bon sens populaire  » face à la fronde du  » microcosme bien-pensant « . Ce  » mal-aimé  » veut retourner cette énergie négative contre ceux qui la diffusent.

Un Michel II ? Le choix posé en 2014, qui était alors contraint et forcé, semble être devenu une évidence. Et l’équation est similaire à celle d’il y a quatre ans.  » Lors de la campagne, nous mettrons en évidence les deux grands schémas possibles, dit-on dans l’entourage du Premier. Soit un choc frontal entre la droite flamande et la gauche wallonne, comme ce fut le cas lorsqu’Elio Di Rupo a négocié avec la N-VA, ce qui débouchera inévitablement sur le confédéralisme. Soit la nécessité de conserver une capacité de gouverner au centre-droit raisonnable, pour réformer le pays.  » D’ailleurs, considère-t-on, l’attitude actuelle du parti de Bart De Wever serait facile à lire : il envoie des signaux pour menacer d’un retour du communautaire si la tentation d’une coalition entre le PS, PTB et Ecolo – prônée par la FGTB – l’emportait en Wallonie. Traduisez : c’est nous ou le chaos…

 » J’estime que cette configuration avec la N-VA a démontré que le fédéralisme fonctionne et je suis favorable à un Michel II au lendemain des élections de 2019, cela ne fait pas l’ombre d’un doute, conclut Richard Miller. Ce que l’on a fait, on a pu le faire parce que la famille socialiste était dehors. Et il reste énormément de travail pour continuer à réformer le pays, mais aussi pour peser sur la situation inquiétante au niveau européen. Charles Michel, désormais l’un des leaders européens les plus expérimentés, peut être à l’origine d’un renouveau de l’Union.  »

Mal-aimé, il lui reste désormais neuf mois pour conquérir le coeur des électeurs. Le temps d’une gestation.

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