A l'école du Tivoli, à Bruxelles, on organise le " cercle magique ", qui réunit élèves et enseignants dans un groupe de parole que tous apprécient. © hatim kaghat

Apprendre la bienveillance dès 5 ans, c’est le pari de cette école bruxelloise

Soraya Ghali
Soraya Ghali Journaliste au Vif

Dans un quartier bruxellois populaire, une directrice veut d’abord faire acquérir aux enfants des compétences socio-émotionnelles. Elle a été séduite par les fondateurs de l’asbl Bienveillance à l’école, actifs dans une dizaine d’établissements depuis deux ans. Premier bilan.

 » Le continent est traversé par la prise de pouvoir des partis du rejet, des radicalismes et du populisme ; les sociétés sont en perte de cohésion sociale et de destinée commune.  » Constat posé, Claude De Lathouwer, médecin spécialiste en stomatologie, ex-directeur d’hôpital, avance une solution :  » Il y a un besoin urgent de bienveillance. Beaucoup de bienveillance.  » Il faut donc, à ses yeux, s’y entraîner. Dès la troisième maternelle,  » parce que l’éducation demeure la voie royale et qu’à cet âge, les petits sont moins formatés que ceux qui les éduquent.  »

Depuis trois ans, Claude De Lathouwer et Danielle Apostel, animatrice socio- culturelle et coach en développement personnel, ont mis au point le programme de développement affectif et social intégratif (Prodasi), dispositif très concret pour vivre ensemble. Leur ambition est de mobiliser le pouvoir politique (qui n’a donné aucun écho), de l’intégrer structurellement à la pédagogie générale, de la maternelle au secondaire, et d’y former déjà les futurs enseignants.

Elaborée aux Etats-Unis sous l’appellation Prodas, testée et validée à grande échelle au Québec, la technique s’est exportée jusqu’en Belgique, où elle est mise en oeuvre, par exemple, dans la prévention à la violence. Elle vise à développer trois compétences sociales : la conscience de soi, l’estime de soi et l’interaction sociale – des savoir-être, en quelque sorte. Le concept de Claude De Lathouwer et Danielle Apostel en est une émanation, désignée par le label Bale (Bienveillance à l’école).

Les différents outils

L’école du Tivoli, établissement bruxellois logé dans un quartier populaire et multiculturel, y recourt. Présentant, sans en avoir l’étiquette, toutes les caractéristiques d’une institution socialement et culturellement ségrégée, elle s’est muée en une  » école bienveillante « . Avec, à sa tête, Michèle Masil qui, depuis plus de dix ans, confronte ses réflexions personnelles aux réalités scolaires en milieu peu tempéré. Des constats en série, des questionnements, et de la consternation :  » Les bulletins, les points, les prix entraînaient chez les élèves de la rivalité, de la frustration, un sentiment d’être jugés, un manque de confiance envers les adultes et, en définitive, un rejet de l’apprentissage dès l’âge de 10 ans. On peut les évaluer autrement, valoriser leurs réussites tout en leur montrant leurs erreurs pour progresser.  »

L’école a aussi mis en place une série d’outils : le conseil citoyen, où siègent les élèves de la 3e maternelle à la 6e primaire ; les bracelets verts qui valorisent les enfants qui se sont distingués et leur permet d’assurer de petites responsabilités au sein de l’école ; la réunion matinale  » Quoi de neuf ? « , où on peut raconter tout ce dont on a envie ; et la méthode Bale, le top,  » parce qu’elle ne vient pas s’ajouter aux autres dispositifs, mais vient irradier toute la communauté scolaire. Elle va réellement en profondeur, agit comme un ciment.  »

L’école teste le programme, construit sur le groupe de parole, depuis deux ans : 400 élèves et 16 enseignants ont adopté ce  » cercle magique « , une fois par semaine durant le temps de classe. L’enseignant et ses élèves s’installent en rond et les participants se rappellent les règles :  » Quand je parle, je parle de moi et je dis  »Je » ; je ne cite aucun prénom ; on écoute les autres sans se moquer ; ce qui se dit ici reste secret et je ne le répète à personne ; et j’ai le droit de me taire.  »

L'enseignant, au milieu de ses élèves :
L’enseignant, au milieu de ses élèves :  » ça nous rend plus accessibles. « © hatim kaghat

Le déroulement de la séance

La séance dure une demi-heure. Première phase : l’enseignant propose un thème de réflexion, parmi toute une liste :  » J’ai un pouvoir unique « ,  » Je suis fier de moi quand… « ,  » Un jour, quelqu’un m’a aidé « ,  » Je suis triste, en colère, joyeux quand… « ,  » Un jour, j’ai menti « ,  » Mon meilleur souvenir de vacances « ,  » Une histoire qui m’a plu « … Il laisse le temps aux élèves de se remémorer un instant de leur vie en rapport avec le sujet. Le maître se lance, puis invite les enfants à raconter leur instant. Deuxième phase : il demande de se rappeler ce qui a été dit. Dernière étape : le maître tente de synthétiser les réponses, d’en déduire les convergences, les interventions qui diffèrent. Il questionne les enfants, un stade précurseur de l’empathie : se sont-ils retrouvés dans la peau de l’autre ? Se sont-ils reconnus dans les propos de l’autre ? Rania, 11 ans, se souvient quand, après un cercle intitulé  » Un jour, on m’a blessé, c’était pour rire, mais je me suis senti mal « , un camarade qui s’était reconnu lui a demandé pardon. Il y eut des épisodes plus difficiles, quand l’un de ses condisciples a confié sa solitude, le rejet qu’il suscitait, son chagrin.

La méthode exige que l’enseignant s’implique personnellement, affectivement et accepte de se mettre physiquement au niveau de ses élèves, en s’asseyant dans le cercle, au milieu d’eux.  » Ça nous rend plus accessibles, souligne Séverine Geubel, institutrice en 1re et 2e années. Les enfants ont beaucoup de plaisir à nous entendre, à découvrir que, nous aussi, nous avons été petits, qu’il nous arrive d’avoir peur, de commettre des erreurs.  »

Ni thérapie, ni déballage

Pour autant,  » pas question de dévoiler notre vie intime. Il s’agit de raconter avec sincérité des souvenirs d’enfance, des détails « , déclare Soumaya Garoud, institutrice en 5e et 6e primaires. Michèle Masil assure que la qualité de la relation entre l’enseignant et ses élèves est un élément déterminant du développement du cerveau, des apprentissages et du climat scolaire.  » Un enfant heureux d’aller à l’école apprend mieux.  » Un enfant qui, quand il rentre à la maison,  » parle en priorité des faits relationnels qui se sont déroulés à l’école, soit ce qui le marque émotionnellement « . Et cette relation, c’est le prof qui la pilote et en est responsable. Sans y avoir été très formé… Claude De Lathouwer et Danielle Apostel, qui ont fondé la Fondation d’entraide et solidarité ainsi que de l’asbl Bienveillance à l’école, offrent donc cette formation de proximité (trois jours + deux ans d’accompagnement rapproché).

Cette bienveillance revendiquée permet-elle vraiment un meilleur vivre- ensemble ?  » C’est un projet à long terme, mais les premiers effets bénéfiques se font sentir. Le Prodasi instaure un climat d’acceptation « , répond Michèle Masil. Le programme permet à l’élève de se connaître, de reconnaître et d’exprimer son ressenti (et non les faits), pour ensuite le gérer. Il renforce sa confiance en ses capacités et se crée une image positive de lui-même. En retour, prenant l’habitude d’écouter l’autre sans l’interrompre et sans juger, il découvre d’autres manières de réfléchir, d’aborder un problème, et donc de développer son empathie. CQFD.

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