Depuis 2015, l'Agence spatiale européenne travaille sur un projet de " village lunaire " qui serait construit grâce à l'impression 3D (ici, vue d'artiste de la base). Objectif ? Installer sur l'astre sélène une station permanente pour dix astronautes en 2030. © ESA/FOSTER + PARTNERS

Va-t-on remarcher sur la Lune ?

Le Vif

Disparition annoncée de la Station spatiale internationale, planète Mars trop éloignée, l’avenir des astronautes passera-t-il par notre petit satellite naturel ? Revue de projets sur fond de rivalité entre grandes puissances.

 » Bob ? Ici Gene. Je fais les derniers pas de l’homme à la surface, nous retournons à la maison pour un temps qui, je l’espère, ne sera pas trop long […]. Nous quittons la Lune comme nous sommes venus, mais nous reviendrons, avec la paix et l’espoir pour toute l’humanité.  » Et ils ne sont jamais revenus. Ni eux ni aucune autre puissance spatiale. Ce 14 décembre 1972, les Américains Gene Cernan et Harrison Schmitt sont les derniers à fouler le sol de notre satellite naturel. Ce sixième séjour humain marque la fin du programme Apollo, décidé douze ans plus tôt par le président John F. Kennedy, afin de démontrer la supériorité technologique des Etats-Unis sur l’URSS. Objectif accompli à un prix exorbitant (près de 150 milliards de dollars actuels), qui ne se justifie plus. La notion d’exploit est dépassée, le public s’en désintéresse. La Lune est délaissée au profit d’autres programmes axés sur une exploitation de l’espace plus  » utile  » : observation de la Terre, télécommunications, usages militaires, exploration du système, sans oublier la très dispendieuse navette spatiale. Puis vient le temps des premières stations en orbite, avec la soviétique Saliout (1971), l’américaine Skylab (1973), la station russe Mir (1986) et enfin la Station spatiale internationale (ISS). Lancée en 2000, celle-ci doit achever sa mission en 2024, voire en 2028 au plus tard.

Et après ? Faudra-t-il maintenir une présence de spationautes dans l’espace ? Si la question semble faire l’unanimité au sein des grandes agences nationales, de nombreux chercheurs dénoncent un coût élevé et un intérêt scientifique discutable.  » L’impact de l’ISS sur le public a beau être formidable, si vous comparez son utilité en termes de découvertes par rapport au télescope spatial Hubble… Il n’y a pas photo « , tranche Franck Montmessin, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique à Paris. Aller plus loin fait partie de la nature d’Homo sapiens. Plus loin signifie Mars. Y poser un pied fait rêver les entrepreneurs privés, les astronautes et les politiques, surtout outre-Atlantique.  » L’objectif américain demeure Mars, il n’y a aucune ambiguïté « , confirme Francis Rocard, astrophysicien et responsable du programme d’exploration du système solaire au Centre national d’études spatiales (Cnes), en France. Sauf que, même en augmentant un budget déjà conséquent (16,636 milliards d’euros), la Nasa ne pourra pas envoyer d’hommes sur la planète rouge avant 2036, voire 2055.

Le vaisseau Orion (ci-dessus) s'arrimera au complexe spatial (ici, imaginé par l'américain Lockheed Martin) destiné à accueillir les astronautes.
Le vaisseau Orion (ci-dessus) s’arrimera au complexe spatial (ici, imaginé par l’américain Lockheed Martin) destiné à accueillir les astronautes.© LOCKHEED MARTIN/SDP

D’ici là, que faire des  » héros de l’espace  » et des centaines d’emplois au sol qui dépendent d’eux ?  » Vous voyez la Nasa licencier tout ce petit monde et leur dire : « Revenez dans vingt ans » ? interroge Francis Rocard. Impossible.  » En 2015, elle a donc présenté un plan visant la… Lune. Pas question d’en refaire la conquête, mais plutôt d’utiliser son orbite afin de préparer des voyages plus lointains, vers Mars ou ailleurs. D’où l’idée d’une station orbitale, la Deep Space Gateway ( » passerelle vers l’espace profond « ), une sorte de base avancée en orbite aux missions potentielles multiples : permettre un retour éventuel à la surface de l’astre sélène, le coloniser, disposer d’une simple plateforme d’observation ou encore d’un site de ravitaillement. Si tout se passe bien, l’assemblage de ce Meccano géant commencera en 2020, et les premiers modules seront opérationnels dès 2024. Les astronautes rejoindront leur nouvelle demeure spatiale grâce à la colossale fusée SLS et le vaisseau Orion, deux programmes déjà lancés. En parallèle, l’agence américaine compte sur ses partenaires privés du monde aéronautique. Elle a signé des contrats avec cinq constructeurs : Boeing, Lockheed Martin, Orbital ATK, Sierra Nevada Corporation et SSL afin de mener des études, de réaliser des concepts d’habitats et de vaisseaux spatiaux et de concevoir un module de navigation pour Deep Space Gateway.  » Travailler sur l’exploration spatiale nous demande de développer de nombreuses technologies, confirme Steven Siceloff, porte-parole de Boeing à Houston. Avec Mars en ligne de mire, parce que Deep Space Gateway servira à préparer cette épopée.  »

Village lunaire

Dans la même optique de coopération, la Nasa a ouvert son programme à la communauté internationale. Les agences spatiales européenne (ESA), japonaise et canadienne ont rapidement répondu à l’appel. Même les Russes viennent de signer, après avoir constaté qu’ils n’étaient plus capables de mener à bien leurs propres projets.  » C’est triste pour eux, se désole Francis Rocard. Mais si vous regardez les trente dernières années, ils ont cumulé beaucoup d’échecs.  » En rejoignant Deep Space Gateway, les Russes pourront aussi plancher sur leur concept de base lunaire entièrement automatisée. Une vision largement partagée par l’ESA, qui, depuis 2015 et l’arrivée de son nouveau directeur général, l’Allemand Johann-Dietrich Wörner, caresse l’idée d’un  » village lunaire « . Construit par des robots puis éventuellement par des hommes, ce dernier servirait de base permanente durable auto-suffisante pour dix personnes en 2030, selon l’un de ses concepteurs, le Français Bernard Foing, astrophysicien et directeur du groupe de travail international pour l’exploration lunaire (ILEWG). Trop ambitieux ? Avec tous les progrès réalisés ces dernières années,  » on peut même envisager des humains sur la Lune vers 2025 « , argumente-t-il. Reste à savoir si un tel complexe lunaire serait vraiment utile.  » Il y a des raisons fortes  » d’y croire, se défend le chef de l’ILEWG, qui énumère une longue liste, de  » la renaissance humanistique hors de la planète Terre  » à  » l’inspiration et l’éducation des jeunes et du public « , en passant par  » l’exploration et l’utilisation des ressources « . Une référence à l’eau, ou plutôt à la glace lunaire, qui pourrait servir à fabriquer du carburant et faire de notre petit satellite naturel la station-service tant rêvée pour permettre à l’homme de partir à la conquête de l’espace profond.  » Certes, il y a de l’eau aux pôles Nord et Sud, mais on ne sait pas en quelle quantité ni comment l’extraire « , souligne Francis Rocard. Dépenser des milliards d’euros pour exploiter d’improbables réserves d’eau, le jeu en vaut-il vraiment la chandelle ? Sauf si notre petit satellite naturel renferme des richesses précieuses quasi inexistantes sur Terre. A l’instar de l’hélium 3, qui, théoriquement, permettrait la fusion thermonucléaire sans radioactivité. Il y en aurait suffisamment sur la Lune pour combler les besoins énergétiques terrestres pour des centaines d’années.  » Il ne faut pas mettre la charrue devant les boeufs « , tempère Francis Rocard. La fusion nucléaire demeure une technologie d’énergie que les scientifiques ne maîtrisent pas. Autant de raisons qui poussent l’ESA à rester sur ses gardes puisque, pour l’heure, l’Europe refuse d’engager le moindre euro dans son programme de village lunaire.

Deep Space Gateway, le programme de station spatiale en orbite lunaire (ici, le projet conçu par Boeing).
Deep Space Gateway, le programme de station spatiale en orbite lunaire (ici, le projet conçu par Boeing).© BOEING SDP

Mais, à trop tergiverser, les grandes nations spatiales historiques – Etats-Unis, Europe, Russie et Canada – pourraient se faire doubler par d’autres puissances qui, à leur tour, font de l’espace un enjeu nationaliste. C’est le cas de la Chine, dont le programme d’exploration lunaire Chang’e, une copie conforme d’Apollo, a débuté il y a seulement dix ans. Depuis, deux sondes ont été mises en orbite (2007 et 2010), puis un rover a mitraillé de photos la surface de la Lune (2013). L’empire du Milieu veut maintenant ramener des échantillons en 2019 et envoyer une autre astromobile sur la face cachée en 2020, ce qui serait une première mondiale.  » Je suis très impressionné par les Chinois, commente Francis Rocard. Ce que je constate, c’est qu’ils font ce qu’ils disent, et qu’ils le font à l’heure.  » Et lorsqu’ils disent qu’un premier taïkonaute foulera le sol sélène en 2036, sont-ils crédibles ?  » Pourquoi pas. Ils vont tellement vite et disposent déjà de toutes les infrastructures nécessaires « , renchérit Franck Montmessin. De son côté, l’Inde lancera, en 2018, la sonde Chandrayaan 2 – se composant d’un orbiteur, d’un atterrisseur et d’un rover lunaire. La Corée du Sud suivra de près avec l’envoi d’un satellite à la fin de 2018, puis d’un atterrisseur en 2020. Le Japon, enfin, planche sur Selene 2, un vaisseau qui pourrait se poser près du pôle Sud lunaire en 2021. Mais l’exploit le plus retentissant pourrait venir du secteur privé, notamment de la société SpaceX et son fantasque fondateur, Elon Musk. Après avoir promis Mars un peu trop rapidement, le milliardaire poursuit son programme spatial grâce à son lanceur Falcon, dont il prépare une version lourde. Et pour assurer son développement, il a déjà annoncé vouloir propulser le plus vite possible deux touristes autour de la Lune. Il y a quelques semaines, lors d’une conférence aéronautique à Adélaïde, en Australie, lorsqu’on lui a demandé d’en dire plus, Musk s’en est sorti par une pirouette :  » Nous sommes en 2017. Nous devrions déjà avoir une base lunaire. « 

Par Victor Garcia.

Equipé d'un petit robot, l'atterrisseur du projet américain Moon Express devrait toucher le sol lunaire en douceur.
Equipé d’un petit robot, l’atterrisseur du projet américain Moon Express devrait toucher le sol lunaire en douceur.© SDP

Lunar Xprize, une compétition internationale

Google,  » l’entreprise la plus puissante du monde « , a lancé en 2007 le Lunar Xprize, une compétition internationale dotée de 30 millions de dollars. Elle récompensera les participants en fonction des différents objectifs affichés : entrer en orbite lunaire, faire alunir un robot, lui faire parcourir au moins 500 mètres, mais aussi transmettre photos, vidéos et données à la Terre. Pour l’heure, subsistent cinq finalistes : les Américains de Moon Express, les Japonais du projet Hakuto, les Indiens de TeamIndus, les Israéliens de SpaceIL et la petite coalition Synergy Moon. Le nom du vainqueur sera dévoilé à la fin de mars 2018.

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