Les émojis, un " sujet éducatif positif, pour peu que leur usage soit cadré et intéressant ". © Attila KISBENEDEK/belgaimage

« Les émojis sont des ersatz d’émotion »

Le Vif

Pour le sociologue Dominique Wolton, ces petits dessins sont révélateurs de nos difficultés à communiquer.

Doit-on voir dans les émojis un appauvrissement du langage ou, au contraire, un enrichissement ?

Ni l’un ni l’autre. Ils sont plutôt un révélateur de la difficulté à assumer les contradictions de la communication humaine et du plaisir facile, à l’inverse de ce que produit la communication technique. Je m’explique : la technique est plus obéissante que l’homme. Tout est contrôlé, y compris les émotions : les émojis, c’est la communication  » parfaite « , sans altérité, la communication du même. Ce n’est pas le paradis bien sûr, c’est plutôt l’enfer. Avec les développements de l’intelligence artificielle et de l’homme augmenté, cette communication-là est encore amenée à se développer. Pourquoi engendre-t-elle une telle fascination ? Parce que les hommes, dans les pays riches, développés et démocratiques, ont enfin acquis la liberté de parole et en ont, hélas, découvert les difficultés…

Et quelles sont ces difficultés ?

Dans ce nouveau monde de la communication débridée, chacun cherche à échanger, mais l’interlocuteur est rarement au rendez-vous. Soit il n’est pas intéressé par ce que vous avez à dire, soit il n’est pas d’accord. Les immenses progrès de la liberté de parole et d’information ces dernières décennies se heurtent toujours aux difficultés de l' » incommunication « . Ce qui est paradoxal, mais finalement normal. D’où la préférence discutable pour la communication technique, beaucoup plus satisfaisante que la communication humaine… Mais tellement pauvre ! Il y manque les émotions, le temps, et tant d’autres choses…

Les émojis ne viennent-ils pas, justement, combler les lacunes de la communication par le texte, en remplaçant les expressions du visage, les gestes, le regard ?

Ils ne remplacent pas les émotions, ils en sont un ersatz. Une émotion sans risques, qui n’est confrontée à aucune altérité. Ils sont des objets, des signes, des hologrammes. En cela, ils sont parfaits pour l’individu qui les utilise, parce qu’il se trouve face à un miroir de lui-même.

Faudrait-il, alors, bannir les émojis de nos textos ?

Je dis oui aux artefacts à condition de ne jamais les confondre avec des êtres humains. Les émojis sont le symptôme d’une considérable solitude affective, parce que la réalisation du désir n’est jamais au rendez-vous. Tous ces artefacts nous amènent donc à réfléchir à une question importante : comment assumer la liberté individuelle ? Comment ne pas réduire la communication à une logique du même ? Comment affronter la question de l’altérité ? Comment éviter la fuite dans les interactivités techniques ? Ces émojis sont finalement le miroir de nos difficultés à assumer les grandeurs et les limites ontologiques de la communication humaine.

Par Camille Laffont.

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