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Mal de dos, levez-vous !

Le Vif

Bienheureuse la minorité de ceux qui n’auront jamais mal dans le bas du dos. Mais moins malheureuses, parmi les autres, les personnes qui ont chassé les fausses croyances circulant autour de la lombalgie et se donnent, ainsi, les moyens de vivre debout

Vous êtes du genre… coincé ? C’est normal et même le lot de 70 % d’hommes et de femmes. Une fois au moins dans leur vie, la lombalgie tombe sur leur dos comme la misère sur la terre. Au programme : douleur, douleur et encore douleur (ou gêne, gêne et encore gêne) là, quelque part entre la dernière côte et le pli fessier. Se bouger est difficile, hasardeux. Le moindre mouvement fait peur. Ou mal… Ou les deux ! Docteur, est-ce que c’est grave ? Sans doute pas : les lombalgies dites spécifiques, c’est-à-dire liées à une pathologie comme, par exemple, un cancer, une maladie inflammatoire ou une tumeur, sont minoritaires. Il n’empêche : la lombalgie commune (dite aussi non spécifique) est déjà, à elle seule, suffisamment pénible à vivre comme ça.

« D’après les diverses études consacrées à la lombalgie aiguë commune, explique le Pr Jean-Pierre Valat, rhumatologue à l’hôpital universitaire de Tours (France), on considère que 90 % des cas évoluent favorablement et guérissent en quatre à six semaines. En réalité, la pratique clinique nous confirme que l’on ne tient pas compte, dans ces chiffres, des récidives : le pronostic n’est donc pas aussi bon que cela et, un an après leur crise, un grand nombre de personnes continuent à ressentir des douleurs modérées ou sévères, même si elles ne consultent plus forcément leur médecin pour ce problème. » De fait, confirme le Pr Yves Henrotin, professeur de kinésithérapie et de revalidation fonctionnelle à l’université de Liège et président de la Belgian Back Society, 30 % des malades développeraient une forme chronique (supérieure à trois mois) et récurrente de ce mal. Ces malades génèrent, à eux seuls, une large part des dépenses consacrées à la lombalgie. Ils posent, de surcroît, une question fondamentale, qui concerne d’ailleurs aussi tous ceux qui sont passés par ce fichu mal de dos et s’en sont plus ou moins bien tirés : ont-ils vraiment reçu les traitements les plus adaptés et, surtout, les plus efficaces ? Il y a franchement de quoi en douter…

« Trop largement encore, les thérapies mises en £uvre lors d’une lombalgie reposent, tant chez les médecins que dans le grand public, sur des croyances inexactes et des critères scientifiquement dépassés ou non fondés, admet le Pr Henrotin. Or les comportements et les traitements qui en découlent ne sont pas anodins : ils favorisent la kinésiophobie (la crainte du mouvement) et le sentiment de vivre une catastrophe. » La lombalgie risque alors d’évoluer défavorablement, avec une entrée possible dans un état chronique ou les rechutes.

Ainsi, par exemple, on croit toujours, mais à tort, que l’ostéopathie suffit à tout régulariser. Que le port d’une ceinture spéciale règle le problème. Et, surtout, que le repos prolongé favorise la guérison. En réalité, en cas de crise aiguë, deux jours alités semblent être un maximum. « L’entièreté du traitement et de l’attitude du médecin va consister, au contraire, à favoriser le retour à une mobilité normale », détaille le Pr Henrotin. Pour ce faire, le praticien doit utiliser de manière judicieuse les antalgiques et/ou les anti-inflammatoires. Mais, aussi, impliquer le patient dans un programme de gymnastique et d’activités physiques appropriées. Enfin, diverses dispositions, y compris ergonomiques, peuvent s’avérer indispensables sur le lieu de travail afin de permettre, progressivement, une reprise totale des activités professionnelles.

Les études les plus récentes montrent que si le patient ne va pas mieux entre 4 et 6 semaines après la crise, ses chances d’amélioration et de guérison s’amenuisent. « Pendant cette phase critique, une action rapide et, surtout, une bonne prise en charge sont donc essentielles, rappelle le Pr Henrotin. Il ne s’agit pas de rester à se morfondre chez soi pendant ce laps de temps. »

Lors de la première consultation, très souvent, les patients supplient les praticiens de les soulager et, s’il vous plaît, rapidement. « Avec des médicaments et du repos », suggèrent-ils, sans réaliser qu’ils se placent du même coup dans une attitude passive. Pour autant que le médecin suive les dernières recommandations scientifiques en matière de lombalgie, son discours, son attitude et son message risquent de les décevoir…

Un examen clinique complet confirme l’existence d’une lombalgie commune : le recours à des examens techniques n’est généralement pas nécessaire. Une fois posé ce diagnostic, il ne s’agit pas de se contenter d’expliquer seulement la raison médicale de l’origine du mal de dos : disque avec une hernie, racine coincée, etc. Il faut écouter le malade, le rassurer, dédramatiser la situation, lui rappeler que la lombalgie n’est pas grave et que l’on en guérit. Le praticien devra, aussi, faire comprendre que, pour retrouver des fonctions normales, le lombalgique va devenir un partenaire actif du traitement… et passer aux exercices ! En effet, la meilleure attitude thérapeutique (et la seule à être scientifiquement prouvée !) est liée à l’apprentissage du mouvement approprié. Le malade doit donc absolument comprendre que s’il bouge, il ira mieux.

« Ce qui fonctionne, c’est la gymnothérapie, avec une association de différents types d’exercices (abdominaux, étirements, etc.), avec ou sans instruments spécifiques. Une étude récente démontre que l’on est encore incapable de distinguer lesquels donnent les meilleurs résultats. Les plus efficaces sont donc ceux qui soulagent le plus chaque patient, au cas par cas. Et si, après quelques séances, certains exercices n’entraînent aucun progrès, voire des douleurs, il faut les éviter », relève le Pr Henrotin.

Toutefois, à elle seule, cette première thérapie n’est pas suffisante : un reconditionnement physique, proposé dans des centres spécialisés (avec du vélo, du step, du tapis roulant, etc.), sous contrôle et manière adaptée à chacun, complète le traitement. « On ignore encore si le déconditionnement physique est une des causes de la lombalgie, admet le Pr Henrotin. En revanche, il ne fait aucun doute que les lombalgiques souffrent en général d’une telle absence de condition physique. »

Bouger et bien bouger, avec des programmes intensifs (pour donner de bons résultats, ils doivent durer au moins six semaines) : la clé de la guérison ? Sans doute, mais pas seulement. « Pour trouver des réponses aux problèmes des 30 % de malades chroniques, on mène de nombreuses recherches sur l’importance des facteurs psychosociaux (les situations familiales ou professionnelles, par exemple) liés à la lombalgie. Ces causes ne seraient pas suffisamment prises en compte », avance le Pr Henrotin. Dans les centres spécialisés (comme les écoles ou les cliniques du dos ou les centres d’approche pluridisciplinaire de la lombalgie), on trouve en tout cas des ergothérapeutes et des psy- chologues… Néanmoins, souligne le Pr Valat, « les études manquent encore pour mieux déterminer une meilleure approche des récidives et des lombalgies récurrentes ».

La récente recommandation européenne détaille ainsi sur 50 pages le nombre d’études nécessaires et souhaitables pour sortir enfin la lombalgie de la méconnaissance ! Ceux qui, d’ores et déjà, plaident pour une approche multidisciplinaire de cette maladie rappellent ainsi, par exemple, qu’il ne serait pas inutile de s’intéresser davantage aux interactions entre la lombalgie chronique et les troubles du sommeil. Ou aux troubles de la sexualité rencontrés chez un grand nombre de malades. En Belgique, dans un premier temps, des recherches sur les fausses croyances en la matière permettraient déjà sans doute d’avancer… pour autant que l’on trouve ensuite les fonds pour une campagne de prévention qui rappellerait les quelques certitudes scientifiques des médecins. Avec, en tout premier lieu, celle-ci : si vous en avez plein le dos, secouez-vous et acceptez d’apprendre à bouger !

Archives janvier 2005)

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