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« Les fantasmes, c’est comme les rêves: parfois ils ne viennent pas jusqu’à la conscience »

Le Vif

Le fantasme sexuel a longtemps eu mauvaise presse : péché, perversion, signe d’immaturité sexuelle ou de frustration… La sexologie moderne a radicalement changé ce regard. Le fantasme, reflet de notre force créatrice, est un outil formidable pour épanouir la sexualité.

On admet depuis toujours que l’imaginaire masculin se nourrit d’images érotiques. Mais celui des femmes ? Étrangement, il devrait se satisfaire de câlins et de soupirs langoureux. Hé non !  » Surtout, dites bien aux femmes qu’il est normal d’avoir des fantasmes !  » Florence Loos et Carolle Graf organisent régulièrement des week-ends de parole entre femmes, autour de la sexualité.  » La plupart viennent là à la fois pour se rassurer sur le vécu des autres femmes et pour se rassurer sur le fait d’être ‘normales’ ou pas. Nous sommes tellement formatés par les multiples diktats qui entourent la sexualité…  » Et les fantasmes figurent bel et bien au menu des confidences.

Mais d’abord, c’est quoi un fantasme ? Beaucoup de femmes sont persuadées de ne pas en avoir. Pourtant il ne faut pas nécessairement avoir un scénario  » tordu  » en tête : une simple idée, une image, un mot émoustillant peuvent suffire à éveiller le désir, alimenter l’excitation ou déclencher l’orgasme. Bien utile donc.  » Quand on n’arrive pas à se lâcher pour laisser venir le plaisir, la seule évocation mentale du fantasme suffit souvent à déclencher le feu d’artifice ! « , confirme Florence Loos, qui ajoute :  » Mais les fantasmes, c’est comme les rêves : parfois on croit ne pas en avoir, alors qu’en réalité ils sont là mais ne viennent pas jusqu’à la conscience. Mais ce qui est intéressant, c’est que nous pouvons avoir plus de prise dessus que sur nos rêves. « 

D’après les théories de la sexoanalyse, nous avons tous un fantasme primaire, qui correspond aux premières excitations sexuelles que notre cerveau a engrammées. Cela remonte à l’enfance, et nous n’en avons pas toujours conscience, mais il est devenu la référence de notre vie sexuelle. Parfois malgré nous. Un exemple : une femme se choisit inlassablement des partenaires dominateurs et volages, et ces relations tournent chaque fois à la catastrophe. Peut-être a-t-elle un fantasme primaire qui la mène vers ce genre d’expérience amoureuse stéréo typée ? Si elle en souffre et souhaite sortir de l’ornière, il peut être utile de prendre conscience de la teneur de ce fantasme. Ainsi, à l’avenir, elle pourra mieux gérer cette attirance et choisir d’y céder ou pas, en toute connaissance de cause.

Culpabilité

Quels sont les fantasmes féminins les plus courants ? Les deux sexothérapeutes se concertent du regard :  » Le fait d’être dominée, voire prise de force et violée, le triolisme (relations à trois), ou encore faire l’amour avec une autre femme. Ce qui ne veut pas dire – soulignons trois fois ! – que les femmes ont envie d’être violées, d’avoir des relations à plusieurs ou de devenir lesbiennes. Le fantasme de viol, par exemple, peut refléter un idéal d’homme dominateur, fort et protecteur, dont les femmes rêvent quasi ataviquement depuis la nuit des temps, mais il permet aussi de se dédouaner d’une éventuelle sensation de culpabilité devant son propre désir (une attitude pas si rare) puisque ce n’est pas moi qui éprouve du désir, c’est l’autre, puisqu’il me prend de force’ « .

La culpabilité, parlons-en. Elle entrave le plaisir des femmes (et aussi des hommes d’ailleurs) depuis que nos cultures et nos religions se sont mêlées de baliser notre sexualité. Les fantasmes sont souvent liés à la transgression d’un de ces interdits. Transgresser est toujours excitant car notre psychisme aime à se rebeller contre les normes imposées. Mais ces transgressions, tout imaginaires qu’elles soient, véhiculent aussi leur pesant de culpabilité. Ce qui est nettement moins excitant… Un des secrets d’une sexualité épanouie réside sans doute dans la capacité à faire pencher cet équilibre précaire du bon côté. Avec des retours de balanciers parfois inattendus. Carolle Graf évoque les jeunes femmes de notre époque, libres dans leur corps et dans leur tête, qui un jour décident de se ranger, trouvent le père idéal pour leurs enfants à venir, l’épousent éventuellement et… s’ennuient aussitôt à mourir.  » Souvent, il y a là derrière un appauvrissement soudain de l’imaginaire érotique, comme si, en intégrant les représentations de ‘mère’, on s’interdisait tout à coup tout ce qui pimentait sa vie de ‘femme’. L’éternel antagonisme entre la madone et la putain a encore de beaux jours devant lui. « 

Jardin secret

Faut-il parler de ses fantasmes avec son partenaire ? À cette question, il n’y a évidemment pas de réponse toute faite. Être à l’aise avec ses fantasmes donne certainement envie de les partager. Dans son livre  » L’intelligence érotique « , la sexologue belgo-new-yorkaise Esther Perel a cette jolie expression :  » Le lit est un endroit où l’on peut jouer son ombre « . Entendez par-là qu’on peut s’y autoriser des rôles empreints de domination, soumission, voyeurisme, exhibitionnisme, etc. que l’on ne vivrait jamais dans la réalité. Participer au fantasme de l’autre, sans honte ni jalousie – et pour autant que le fantasme  » plaise  » à l’autre bien-sûr – c’est un gage d’intimité bien construite, une preuve de confiance, une promesse de désir renouvelé, un nouvel horizon de plaisir qui s’ouvre. A contrario, d’autres vous diront que nous sommes déjà dans une culture du couple fusionnel (qui est en soi un mythe irréel), et que tout se dire et tout partager n’est pas nécessairement la meilleure façon d’entretenir le désir. Le mystère, l’incertitude, la distance, le soupçon de jalousie… sont aussi des ingrédients du désir.  » Même si on décide de partager sa vie avec quelqu’un, on ne lui est pas lié en totalité et notre imaginaire peut être peuplé d’autres personnes sans que cela doive se savoir. La fidélité n’est pas exigeante à ce point ! « , conclut Carolle Graf.

Passage à l’acte

Quand un fantasme est partagé, la tentation est parfois grande de le réaliser. Sur ce point, les deux sexothérapeutes sont plus circonspectes :  » La plupart du temps, c’est décevant.  » Entre rêver de faire l’amour dans un ascenseur, et le faire vraiment, il y a une foule de petits détails prosaïques qui viennent dégonfler l’atmosphère hautement érotique de la situation ! Mais à ce stade-là, ce n’est pas grave. Au pire, on a perdu un fantasme amusant, quoique le fantasme  » raté  » puisse rester excitant, voire même nourrir d’autres fantasmes qui viendront le  » perfectionner  » par la suite. Là où c’est parfois plus dramatique, c’est quand on joue sur l’affectif, comme dans les relations à plusieurs.  » Voir soudain son ou sa partenaire faire l’amour avec quelqu’un d’autre peut se révéler très déstabilisant. Encore une fois, on ne peut pas faire de généralités, mais on constate souvent que cela crée dans la relation une brèche difficile à réparer, où s’engouffrent la jalousie, la perte de confiance en soi et en l’autre, et ce genre de sentiments négatifs.  » Prudence donc, avant de jouer avec le feu. Car finalement, l’imaginaire est riche de possibilités infinies ; mais pas la réalité.

Par Karin Rondia

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