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Les antidépresseurs ne suffisent jamais à guérir un patient

Le Vif

Maggie De Block estime que les Belges prennent trop d’anti-dépresseurs. Certains patients en consomment depuis des années sans avoir jamais consulté un psychiatre. Cependant, la véritable guérison n’est possible qu’à condition de privilégier une autre approche du problème.

Une dépression ne vous tombe pas dessus d’un coup, contrairement à ce que beaucoup croient. Mais elle peut servir de tremplin pour aller bien mieux après…

Voici une manière de voir la dépression que vous ne trouverez dans aucun manuel de psychiatrie. Et pour cause, elle s’inspire directement de la pratique quotidienne de son auteur, le Dr Etienne Payen, médecin généraliste et psychothérapeute dans la région de La Louvière. Cette approche pleine de bon sens se résume dans une  » courbe de la dépression  » (voir schéma).

Le premier trait de génie du Dr Payen est d’avoir déplacé le projecteur généralement braqué sur la phase de dépression symptomatique, celle que tout le monde connaît ou croit connaître), pour mettre en lumière la période qui précède, et qu’il a nommée  » phase de déni « . Son autre originalité est d’arriver à convaincre ses lecteurs que la dépression est un vécu douloureux dont on sort immanquablement grandi. D’où le titre de son petit ouvrage : La dépression positive. Le dessin de la courbe est simple, presque naïf. Pourtant, s’identifier à ce petit skieur sur la ligne du temps permet de comprendre le cheminement qui prend sa source quelque part (le déni) et qui aboutit aussi quelque part, dans un meilleur à venir dont nous pouvons mesurer à l’oeil nu l’éloignement ainsi que la difficulté des épreuves qui nous en séparent.

La phase de déni

Notre petit personnage évolue au départ dans la  » sinusoïde de la vie « , avec ses inévitables hauts et bas. Puis un jour, presque sans qu’il s’en rende compte, un grain de sable vient s’incruster. Banal. Une tension dans le couple, un conflit de bureau, une aventure extra-conjugale… C’est tellement insignifiant que notre homme (ou femme) n’y accorde pas beaucoup d’attention, alors qu’en réalité ce problème va miner son existence à bas bruit. C’est le début de la  » phase de déni « , le refus d’avouer aux autres et à soi-même que l’on s’engouffre dans une impasse. Car feignant d’ignorer le problème, on feint tout autant d’ignorer qu’il existe une solution. Mais une solution qui demande généralement plus d’énergie que de laisser les choses en l’état…

Cette phase de déni peut durer des mois ou des années. Ce sera la période des bobos divers et inexplicables, insomnies, fatigue, coup de blues même, mais rien de bien sérieux. Le Dr Payen, quand il porte sa casquette de généraliste, connaît bien ces symptômes.  » À ce stade, on vient consulter le médecin du corps, la souffrance n’est pas psychique. On n’est pas prêt à une remise en question. On ne l’envisage même pas.  » Certains se verront d’ailleurs prescrire des antidépresseurs à ce stade, quand le médecin perçoit une souffrance latente derrière le symptôme, mais ces médicaments seront généralement inopérants, puisque le problème de base n’est pas abordé.

Le fond du fond

Une chute, par définition, c’est rapide. On ne s’arrête pas à mi-chemin du toboggan. On n’a pas le temps de se rendre compte de ce qui arrive qu’on se retrouve au fond du trou. Et à force d’avoir utilisé toute son énergie à masquer un problème, il arrive que l’on lâche finalement prise pour une broutille.  » Donner à cette descente le nom de dépression n’est pas le plus important. Ce qui compte, c’est que enfin, on est obligé d’entendre sa souffrance.  » Notre petit bonhomme vient de faire sans le savoir, un pas très important : celui de reconnaître l’existence d’un problème et de l’exprimer.

Il y a cependant encore du chemin à parcourir. Le  » fond du fond  » est aussi le fond de la souffrance. Le Dr Payen distingue clairement ces patients-là de ceux qu’il reçoit en médecine générale ; il ne soigne d’ailleurs pas les mêmes personnes avec les deux casquettes.

 » Dans mes consultations de psychothérapeute, je reçois des gens en réelle urgence, qui viennent de tomber et qui sont encore groggy, et d’autres qui sont dans la phase de reconstruction progressive, avec qui on va progresser ensemble vers un mieux. Pour les premiers, il n’y a qu’une chose à faire : pleurer, souffrir, dormir… Il faut parfois prendre le temps de se reposer, d’assumer sa dépression en l’annonçant aux proches. La situation évoluera inévitablement mais il faut aussi savoir qu’on ne fera pas l’économie de la souffrance.  » À ce moment-là, les antidépresseurs peuvent s’avérer utiles : ils aident à prendre le recul nécessaire pour regarder lucidement le chemin qu’il reste à parcourir pour sortir du ravin. C’est en cela que la combinaison d’une psychothérapie et d’antidépresseurs est considérée comme le meilleur traitement de la dépression.

Les antidépresseurs, un chauffage d’appoint

De nombreuses personnes hésitent à prendre des antidépresseurs par crainte d’en devenir dépendantes, tandis que d’autres imaginent que la pilule magique va pouvoir résoudre tous leurs problèmes. La réalité se trouve entre les deux. Comme l’écrit le Dr Payen :  » Il faut garder à l’esprit qu’un patient uniquement traité par antidépresseurs ne sera jamais guéri au sens strict du terme. Tout au plus verra-t-il son état s’améliorer et les symptômes qui l’ont amené à consulter s’atténuer, voire disparaître. La vraie guérison ne peut venir que du changement d’attitude de la personne vis-à-vis de son problème.  » Il établit une comparaison amusante avec un propriétaire de maison délabrée où le vent et le froid s’engouffrent. Tant que dure la belle saison, ce n’est pas trop grave. Mais quand l’hiver approche, il lui faut opérer un choix entre commencer des travaux de rénovation ou installer un chauffage d’appoint. Etienne Payen connaît, comme tous les médecins, des personnes qui  » se promènent  » sous antidépresseurs depuis des années sans avoir jamais consulté de psy. Sur sa courbe, il les situe comme évoluant en permanence à la limite du déni et de la chute, sans jamais craquer. Ces personnes pressentent que la remise en question serait trop douloureuse et trouvent plus confortable de rester douillettement blottis sous leur  » couverture médicamenteuse « . Car, comme il se plaît à le souligner,  » le seul risque de la psychothérapie, c’est qu’elle fonctionne, et qu’il soit impossible de revenir en arrière « .

Mieux que mieux

Peut-on aller jusqu’à dire que traverser la dépression est une épreuve salvatrice, une délivrance, une ouverture ? Pour le Dr Payen, guérir de la dépression est une première chose : le retour au bien-être, la disparition de la douleur morale, une certaine sérénité. C’est déjà très bien et beaucoup s’en contentent. Mais la cerise sur le gâteau, c’est de grimper jusqu’au deuxième plateau. Celui-là qui fait dire à certains :  » Je me sens tellement mieux que je ne me souviens même plus pourquoi j’ai fait une dépression.  » Notre skieur remonté de l’abîme saute dans une montgolfière et se déleste de tout ce qui l’encombrait pour démarrer une nouvelle vie !

Quand il écoute d’anciens patients, le Dr Payen se dit chaque fois étonné de constater à quel point ils donnent l’impression d’avoir laissé derrière eux une  » petite vie sans grand intérêt  » et d’avoir gagné dans l’aventure des ailes pour s’envoler. Alors, faut-il voir la dépression comme un mal nécessaire pour découvrir qui l’on est réellement et arriver à mieux comprendre les autres ?

Par Karin Rondia

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