© JULIETTE LÉVEILLÉ

« L’improvisation musicale a toute sa place dans les soins »

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Psychiatre et violoniste de jazz, Sébastien Theunissen étudie scientifiquement les émotions suscitées par la musique et recourt à la créativité musicale de ses patients pour traiter leur stress, leurs angoisses et leur dépression.

Sa profession : psychiatre. Sa passion : le violon. A l’hôpital de Jolimont, à La Louvière, Sébastien Theunissen tente de remettre dans la vie active des personnes anxieuses, en burnout ou déprimées. Pendant ses temps libres, il joue au sein d’une formation de jazz manouche.

Le fait d’être médecin et musicien oriente votre travail avec vos patients ?

Le jazz fait la part belle à l’improvisation, qui me fascine. Cela oblige à développer d’autres facultés mentales que lors d’une réinterprétation d’une oeuvre écrite sur partition. C’est précisément ce mode d’expression que j’essaie de mettre en oeuvre avec mes patients. Car il y a un gros frein à l’utilisation de la musique dans les soins : les personnes qui ne maîtrisent pas les codes musicaux s’empressent de vous dire :  » OK, je voudrais bien participer à une session, mais je ne suis pas musicien !  »

Lors de ces séances, comment utilisez-vous le son et la musique ?

Sébastien Theunissen.
Sébastien Theunissen.

De différentes façons. Ainsi, il m’est arrivé d’emmener des groupes de patients en studio. Ils y disposaient de guitares, de percussions et même d’un piano à queue. Il fallait que chacun trouve sa place et que certains ne prennent pas toute la place. Mais quel sentiment de fierté pour eux de se rendre compte qu’ils arrivent à obtenir un résultat dont ils se croyaient incapables ! De telles sessions produisent aussi du lien social, des discussions, des souvenirs. J’ai participé à une formation du guitariste argentin Alan Courtis, qui a développé une méthode pour créer de la musique avec des personnes atteintes d’un handicap mental sévère. Il a donné avec elles des concerts dans le monde entier. J’aime son idée selon laquelle la figure de l’artiste et celle du handicapé sont toutes deux des constructions sociales, des identités subjectives. Une rencontre est donc possible entre ces deux mondes. Une personne marginalisée par son handicap peut retrouver une place dans la société comme artiste.

Au centre hospitalier de Jolimont, que vous venez de rejoindre, vous participez à la mise en place de nouveaux dispositifs de soins psychiatriques en hôpital de jour. A quels types de pathologies êtes-vous confronté ?

Nos patients ont surtout des troubles anxieux et dépressifs. Ces maladies psychiques concernent 12 à 14 % de la population du pays, alors que la schizophrénie ne touche que 0,6 % de nos concitoyens. L’anxiété et la dépression représentent donc une charge énorme pour la société, en matière d’arrêts de travail de longue durée ou de présentéisme, de dégradation des relations conjugales et familiales, de surconsommation d’anxiolytiques, de somnifères et autres médicaments. Et cela alors que les symptômes sont le plus souvent légers ou modérés : tristesse, perte d’intérêt, indécision, apathie, émotivité, irritabilité, sommeil perturbé, voire tremblements et palpitations. Nous devons répondre à ce défi et être créatifs sur le plan thérapeutique. Un traitement médicamenteux ne suffit pas quand il s’agit de retrouver l’estime de soi, un rythme d’activité, une place dans la société et l’envie de faire des projets.

Une personne marginalisée par son handicap peut retrouver une place dans la société comme artiste

L’an dernier, vous avez collaboré, aux cliniques Saint-Luc, à Bruxelles, à des recherches scientifiques consacrées aux effets de la musique sur le cerveau et les émotions. Que vouliez-vous démontrer ?

Nous avons fait écouter à un groupe de patients atteints de troubles bipolaires des extraits musicaux tristes et joyeux. Ces morceaux étaient inédits, pour éviter toute influence de la mémoire sur leur humeur. L’expérience visait des patients stabilisés, donc sortis d’un épisode maniaque ou dépressif, mais qui s’expriment parfois de manière stérile et non canalisée. Nous voulions vérifier si, à l’écoute de l’enregistrement, les émotions changeaient plus vite chez ces personnes que dans le reste de la population. Le résultat le plus évident est un ralentissement plus significatif du débit de paroles chez les bipolaires. Deux hypothèses : soit la musique les distrait, soit elle les aide à se poser, à être moins dispersés.

Quelle utilité pratique a ce genre d’expérience ?

Lors d’entretiens psychiatriques, un fond musical approprié pourrait permettre de canaliser la logorrhée verbale de maniaco-dépressifs, les encourager à s’exprimer avec plus de clarté. Aucune étude n’a été réalisée sur le sujet et aucun de mes collègues psychiatres n’a testé ce mode d’échanges avec les patients, alors qu’ils prêtent une grande attention au cadre de l’entretien, à la disposition des chaises…

Peut-on considérer la musique comme un médicament, notamment contre la dépression ?

L’idée selon laquelle la musique est un médicament reste controversée. Je ne crois pas à une musique médicinale. La musique a néanmoins un rôle fondamental à jouer dans les soins. La parole est utilisée en psychothérapie, voire en chirurgie pour la détente musculaire. Pourquoi la musique ne jouerait-elle pas un rôle similaire ? Son influence sur les rythmes cardiaque et respiratoire est avérée. La musique permet de gérer la douleur ou de se relaxer avant un examen invasif. Le monde de la publicité et du commerce a d’ailleurs pris la mesure du pouvoir de la musique, qui peut favoriser le passage à l’acte d’achat, comportement étudié en neuromarketing. Dans les bars et boîtes de nuit, un volume sonore élevé fait augmenter la consommation de boissons. Les musiques d’attente au téléphone, dans les ascenseurs, sur les quais de gare évitent le malaise du silence et nous aident à patienter.

De plus en plus de personnes se déplacent avec des écouteurs sur les oreilles. Pourquoi ce profond besoin de musique ?

Nous dormons moins longtemps qu’il y a vingt ans et nous vivons de plus en plus sous pression, avec une injonction à être plus efficaces. La musique est dès lors devenue un moyen de passer rapidement d’un état à l’autre, de s’autodynamiser quand on se met en route le matin, de se détendre de retour à domicile. Ecouter de la musique encourage la conscience de soi et favorise le lien social : l’échange de fichiers MP3 entre jeunes marque l’appartenance à un groupe. La musique aide aussi à réguler nos émotions : avec nos écouteurs ou notre autoradio, nous écoutons un type de musique approprié à notre état du moment. Une étude récente révèle un phénomène paradoxal : l’écoute de morceaux tristes, comme la sonate Au Clair de Lune de Beethoven, peut apporter une consolation et combattre la mauvaise humeur.

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