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Être introverti n’est pas une tare !

Le Vif

Notre monde est dominé par un idéal d’extraversion… et c’est une perte pour la collectivité, car les personnalités introverties possèdent des capacités uniques qui restent trop peu valorisées.

Les personnes qui cherchent à se soustraire à une activité sociale sans raison valable (enfants, travail, maladie…) et expriment explicitement leur désir de passer du temps seules se heurtent souvent à l’incompréhension des autres et se voient rapidement coller une étiquette : outsiders, asociaux, grands timides ou incapables d’entreprendre. Des préjugés auxquels l’Américaine Susan Cain entend bien tordre le cou une fois pour toutes. Dans son bestseller soigneusement documenté, intitulé  » La force des discrets : le pouvoir des introvertis dans un monde trop bavard « , elle revendique donc son introversion et encourage les autres à faire de même.  » Nous n’avons pas besoin de pseudo-extravertis. J’ai longtemps adopté moi-même cette attitude, à tel point que je me suis retrouvée avocate à Wall Street, l’un des cadres de travail les plus extravertis au monde. Un peu triste, quand on sait que j’ai toujours rêvé d’être écrivain…  »

Ce  » mauvais  » choix de carrière n’était pas, chez elle, le fruit d’un choix conscient.  » J’ai fait ce que font énormément d’introvertis : internaliser ce que prescrit notre société et me plier à un idéal d’extraversion qui était, pour moi, contreproductif. Enfant, je devais m’entraîner à être extravertie, clamer mon avis haut et fort. Lorsque, pendant les camps de vacances, j’avais envie de me plonger dans un livre, il se trouvait toujours une monitrice pour m’inciter – non sans une certaine inquiétude – à me montrer plus sociable. Et finalement, je passais toutes les vacances à chanter à tue-tête et à faire du chahut avec les autres pendant que mes bouquins restaient à moisir au fond de ma valise.  »

Traitement des stimuli

L’introversion et l’extraversion sont étroitement liées à notre manière de traiter les stimuli.  » Les personnes extraverties puisent leur énergie dans les stimuli externes, tandis que c’est tout le contraire chez les introvertis, qui ont besoin de moments de calme pour compenser les phases de bruit et d’hyperstimulation. Contrairement à ce que l’on s’imagine souvent, ils ne sont pas forcément asociaux ou timides pour autant. La timidité trahit avant tout la crainte du rejet ou de la désapprobation des autres, ce qui n’a, en soi, rien à voir avec l’introversion. Les introvertis sont toutefois spontanément plus réfléchis et plus profonds dans leurs analyses, ce qui peut leur donner une fausse apparence de timidité. De la même manière, ce n’est pas parce que vous préférez passer la soirée seul chez vous que vous êtes forcément un affreux misanthrope : ce ne sont pas tant les contacts avec les autres que vous redoutez que l’excès de stimulation qui les accompagne « , clarifie Susan Cain. Précisons par ailleurs que, si elle parle fréquemment de  » l’introverti  » ou de  » l’extraverti « , il est en réalité très rare de rencontrer des profils aussi univoques.  » Il s’agit plutôt d’un continuum, car personne n’est complètement l’un ou l’autre. Pourtant, la plupart des gens se reconnaissent clairement dans l’un des deux types.  »

L’idéal d’extraversion

Notre société est de plus en plus modelée en fonction d’un idéal d’extraversion : écoles, lieux de travail, universités, tout doit être coulé dans ce moule dominant. Pour Susan Cain, il s’agit là d’une évolution extrêmement inquiétante.  » Les enfants qui préfèrent travailler seuls dans leur coin sont facilement considérés comme des ‘cas’ et les enseignants sont prompts à penser que les élèves les plus extravertis sont aussi les plus intelligents… alors même que les chiffres disent tout le contraire : les introvertis obtiennent de meilleurs résultats scolaires et possèdent généralement des connaissances plus étendues.  »

Ce culte de l’extraversion se reflète jusque dans l’organisation spatiale.  » Dans le monde du travail, les grands bureaux paysagers sont aujourd’hui devenus la norme. Plusieurs dizaines de personnes partagent ainsi un même espace, ce qui rend inévitables des interactions constantes avec les collègues mais aussi un bruit de fond permanent.  » Cadre qui ne convient pas à nombre de travailleurs car il bride leur créativité et leur productivité.  » C’est un frein tant pour eux que pour la collectivité et une importante perte de talents « , affirme Susan Cain. Elle-même est convaincue que la clé de l’épanouissement personnel et du succès social réside dans le respect de l’environnement optimal de chacun.  » Certaines personnes seront plus efficaces dans un cadre riche en stimuli, d’autres auront besoin d’un environnement très calme pour donner le meilleur d’elles-mêmes.  »

Nombre d’individus brillants – et non des moindres – sont ou étaient par ailleurs de grands introvertis, précise encore Susan Cain. Mark Zuckerberg, Bill Gates, Gandhi, Warren Buffett, Charles Dickens, Albert Einstein et Eleanor Roosevelt, notamment, travaillaient mieux loin de l’agitation, et Charles Darwin lui-même refusait régulièrement des invitations à dîner, préférant puiser son inspiration dans ses promenades solitaires dans la forêt. Einstein aussi appréciait  » la monotonie et la solitude d’une existence tranquille  » qui lui semblait stimuler sa créativité. Peut-être est-ce même à son goût de la solitude que l’on doit la théorie de la relativité !

Il faut de tout pour faire un monde

Les psychologues qui se sont penchés sur la personnalité des individus hautement productifs et créatifs ont observé qu’ils ont souvent un talent pour échanger et promouvoir leurs idées… mais aussi un côté introverti qui les pousse régulièrement à s’isoler des autres. D’après Susan Cain, il n’est d’ailleurs pas rare que cet isolement soit un facteur déterminant dans le processus créatif.  » Les bonnes idées ne se manifestent pas toujours au sein d’un groupe, que du contraire : cette dynamique collective peut, dans certains cas, entraver la pensée créative et la réflexion autonome. Nous avons en effet spontanément tendance à nous rallier à la personne la plus charismatique ou la plus éloquente, alors que ces qualités sont sans rapport avec la qualité de son discours. Obliger tout le monde à participer à un grand brainstorming en se disant que cela fera forcément émerger toutes les bonnes idées n’est donc pas une stratégie efficace.  »

L’objectif de Susan Cain n’est évidemment pas de dénoncer l’extraversion ou les facultés sociales. Elle plaide toutefois pour que des qualités un peu oubliées comme la réflexion et la richesse intérieure soient remises à l’honneur.  » Nous vivons aujourd’hui dans une culture qui célèbre la personnalité, greffée sur l’attraction et le charisme. Notre société occidentale préfère de loin les hommes ou femmes d’action aux personnalités contemplatives, alors que nous avons besoin des deux. Se focaliser exclusivement sur les qualités des extravertis appauvrit notre société. Mettez donc un terme à l’obsession maladive du travail de groupe et permettez à chacun de jouir d’un minimum d’autonomie et d’isolement s’il en ressent le besoin. Tout le monde a tout à y gagner.  »

Sources :

Susan Cain, La force des discrets : le pouvoir des introvertis dans un monde trop bavard.

TED talk Susan Cain

Introversion as a superpower, Tazeem Ahmad (journaliste à la BBC et professeur invité chez The School of life)

Par Thomas Detombe

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