Groupe du vendredi

Ce que j’ai appris des patients psychiatriques : la force de la sensibilité

Groupe du vendredi Forum composé de jeunes provenant de divers horizons qui prennent du temps pour la réflexion et le débat

Entre un quart et un tiers des membres de notre société répond à un moment de sa vie aux critères d’un diagnostic psychiatrique. On qualifie parfois ce groupe de vulnérable.

Il est vrai qu’il s’agit d’une partie de la population qui doit avancer dans la vie en faisant preuve de vigilance, mais ces personnes possèdent aussi de nombreux talents susceptibles d’enrichir notre société et peuvent nous apprendre bien des choses sur notre mode de fonctionnement actuel. Si nous les abordons en respectant la force de leur sensibilité, nous leur épargnerons non seulement la souffrance supplémentaire de la stigmatisation, mais nous les aiderons aussi – et nous-mêmes par la même occasion – à apporter une contribution donnant plus de sens à notre société.

Tôt ou tard, nous avons directement ou indirectement affaire à des personnes confrontées à des défis d’ordre psychique

Tôt ou tard, nous avons directement ou indirectement affaire à des personnes confrontées à des défis d’ordre psychique. Ma fonction de psychiatre en formation m’amène à entrer chaque jour en contact avec ce groupe de personnes.

On les compare parfois aux canaris que les mineurs emmenaient avec eux pour détecter les émanations du dangereux méthane dans les entrailles de la terre. Hyper sensibles, les canaris perdaient rapidement connaissance en présence de faibles concentrations de grisou, avertissant ainsi les mineurs du danger imminent. Cette métaphore reconnaît que les personnes souffrant de symptômes psychiques ont quelque chose à dire à sur notre vie quotidienne effrénée. Mais je ne vois pas mes patients comme de petits canaris vulnérables. Ils sont à mon sens ceux qui sont inconsciemment suffisamment courageux et forts pour exposer quelques points sensibles de cette société.

La conjonction complexe de la prédisposition génétique, des difficultés rencontrées pendant le développement et d’un contexte social éprouvant augmente notre vulnérabilité aux symptômes psychiatriques. Cela arrive aux gens et n’a rien à voir avec le libre arbitre. Mais cette vulnérabilité entraîne souvent par la même occasion une sorte de sensibilité particulière.

Dans son doctorat, le Professeur Erik Thys a démontré de manière convaincante le lien entre créativité et troubles psychiatriques. Il semble qu’un groupe de personnes entretienne un contact plus étroit avec cette dimension créative. Le Stanford Journal of Neuroscience s’est fondé sur des preuves tant physiques que chimiques pour déclarer dès 2007 que les états de conscience observés pendant certaines maladies mentales et pendant la créativité présentent de grandes ressemblances.

Je suis frappé de constater d’expérience que bon nombre de personnes atteintes d’un trouble psychique accordent singulièrement moins d’importance aux attentes sociétales superficielles. Je les vois se développer au fil des crises qu’elles traversent ou ont traversées. Beaucoup vont dégager une certaine sérénité et accorder de la valeur aux aspects plus fondamentaux de la vie. Ces personnes présentent souvent une dimension religieuse, dans le sens originel de re-ligare, lier à nouveau. Elles ont parfois, indépendamment de toute conviction religieuse, la profonde conscience que nous sommes d’une manière ou d’une autre reliés en tant qu’êtres humains et que derrière la réalité se cachent des principes plus vastes qui nous portent et nous aident à donner du sens. Leur contact avec cette dimension quasiment spirituelle peut contribuer à apporter un équilibre dans une société qui tend au toujours plus, plus vite, plus grand et plus impressionnant. Le silence guérisseur, la sérénité comme source de compréhension, le développement à travers la douleur peuvent tous nous inspirer.

Bon nombre de modèles visent actuellement à faire en sorte que les gens fonctionnent à nouveau et le plus rapidement possible comme avant. Mais toute la question est de savoir si ce sont ces personnes qui doivent s’adapter à une société malade ou si cette société a quelque chose à apprendre de ce groupe grandissant d’individus qui nous signalent que nous faisons tourner le moteur à très haut régime.

Je me sens d’une certaine manière connecté à ce groupe de personnes. Je suis revenu différent de mon immersion de 90 jours avec Dixie Dansercoer dans le désert de glace blanc et infini de l’Antarctique. L’intense tranquillité qui régnait là-bas formait un contraste saisissant avec l’interminable succession de stimuli à laquelle nous nous exposons quotidiennement ici. La simplicité de l’Antarctique a été une source d’inspiration, et je retrouve un désir de simplicité similaire chez bon nombre des personnes avec lesquelles je travaille. Leur maladie les force souvent au calme, à un mouvement vers l’intérieur, à une rupture avec les attentes sociales et à une redéfinition de leurs projets d’avenir. Dans un certain sens, elles vivent toutes une aventure.

La symptomatologie psychiatrique nous confronte à notre propre vulnérabilité. On a vite fait d’émettre une remarque dénigrante par ignorance et incompréhension. Je blêmis de voir à quel point nous dédaignons parfois sans réfléchir les personnes qui présentent ces symptômes. Et si nous les abordions plutôt à partir de leur force et les aidions à se développer à travers leur crise, à gagner en profondeur à travers leur douleur et leur apprenions à entrer en contact avec la force de leur sensibilité dont nous avons tous beaucoup à apprendre ? Cette sensibilité se cache en chacun de nous et nous pouvons tous nous laisser inspirer par le courageux périple entrepris par ces personnes souffrant d’une maladie mentale. Un psychiatre ou un psychologue n’est pas absolument nécessaire pour ce faire. Cela commence par des amitiés, des familles, des collègues, dans des mouvements sociaux ou des associations sportives. Cela commence par chacun d’entre nous.

Sam Deltour est explorateur polaire, psychiatre en formation et membre du Groupe du Vendredi, une plateforme politique pour jeunes d’horizons divers soutenue par la Fondation Roi Baudouin www.groupeduvendredi.be

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